Bonjour ! Les heures qui viennent vont marquer une trêve dans notre agitation inutile. Le temps s'arrête. Noël est la Fête des enfants et de l'Amour. C'est aussi une trêve pour les aventures de ROSE qui reprendront le 5 janvier 2009. Aujourd'hui il est question de donner un visage à ROSE : le sien ou celui d'une autre ?
Ils règlent l’addition et prennent congé du barman. Au moment de sortir, le réalisateur se retourne vers le fond de la salle et fixe l’estrade vide.
YANN Est-elle capable de souffrir ? Et si ses yeux, quand elle souffre, gardaient toujours cette indifférence ? L’indifférence, à l’écran, peut passer pour de la souffrance, non ?
CHRIS Dans un regard vide, le spectateur met ce qu’il veut.
YANN, soudain frappé par la justesse de la remarque Ce serait la négation de l’acteur ?
CHRIS De l’acteur qui surjoue, oui. Il vaut mieux encore qu’il n’exprime rien.
YANN C’était la théorie de Bunuel. Mais ce n’est pas la mienne. L’acteur, derrière son regard indifférent, doit ressentir la douleur dans son âme. Sinon, il ne touchera personne.
LE BARMAN Moi, je me souviens de Gabin, et bien Gabin, il avait toujours la même expression et tantôt elle faisait rire, tantôt elle faisait pleurer. Comment vous expliquez ça, dans le métier ?
YANN On ne l’explique pas, mon ami... on ne l’explique pas.
LE BARMAN, sentencieux Ah, il y a loin de la coupe aux lèvres !
YANN, sans comprendre Allez, au lit, le petit ! (au barman) Bonsoir, buvez-en une dernière à ma santé ! à jeudi !
Il donne une tape sur l’épaule du scénariste et ils sortent. Le barman hausse les épaules et se sert une coupe de champagne.
(Le rideau tombe sur la fin de cette scène. A suivre.)
Le car roulait sur les routes mouillées du Nord et traversait des paysages sinistres. Villes d’usines, peuplées d’ouvriers. Nous jouions pour eux seuls, dans des cinémas de quartier trop exigus pour y planter nos décors. Pas de loges, un public bruyant qui faisait grincer les fauteuils et que nous n’arrivions pas vraiment à dérider. C’est dans l’un de ces cinémas que nous avons vécu notre premier bide, Fernandel débitant son texte au pas de course, son manteau sur les épaules à cause du froid qui envahissait le plateau, filets d’air glacé, odeur de pisse venue des lavabos tout proches, Guy V. se payant un trou de mémoire face à un Alain N. pétrifié, Rellys tombant les quatre fers en l’air, Ardisson sautant trois répliques d’un coup, tout y était, tout, et jusqu’aux maigres applaudissements qui accompagnèrent notre déroute. Ce soir-là Fernandel s’est retiré dans sa chambre d’hôtel sans dire un mot.
UN LONG VOYAGE DANS LA NUIT de Eugène O"’NEILL, adaptation de Pol QUENTIN
Créée au Théâtre Hebertot le 21 novembre 1959 dans une mise en scène de Marcelle Tassencourt, cette pièce sombre d’un auteur américain célèbre obtint un grand succès aux Etats-Unis. Elle révèle le mal secret dont l’auteur a souffert toute sa vie et qui se résume en une phrase : on ne guérit jamais de son enfance. Pierre Vaneck, Jean Davy, Gaby Morlay, ont interprété ce texte très fort, adapté par Pol Quentin. Gustave Joly, critique à l’Aurore, nous en parle.
« Scrupuleusement mis en scène par Marcelle Tassencourt, dans un cafardeux décor de Jacques Marillier, la version française de Pol Quentin nous restitue fidèlement l’atroce et morne climat de l’original. Il serait vain de comparer les interprètes d’aujourd’hui à leurs calarades tankees d’il y a deux ans : l’évanescente Florence Eldridge et l’impérieux Frederic March. Gaby Morlay, dont c’est la rentrée au théâtre, a su, dans un rôle qui lui est particulièrement propice, nous ouvrir le paradis dérisoire de son héroïne, où l’oubli est fait de souvenir. Jean Davy est, avec autorité, un tyran domestique à l’inavouable ladrerie. Pierre Vaneck, Michel Ruhl, un Caïn et un Abel excellement typés. Christiane Muller, une soubrette effrontée qui lève le coude comme ses maîtres, avec une spontanéité très irlandaise. « (L’Aurore)
C’est bien, il ne s’étend pas sur le côté morbide du texte, et il cite tous les comédiens. Est-ce que ça donnait envie d’aller voir la pièce ? Rien n’est moins sûr….
Le scandale du monde est ce qui fait l’offense. Et ce n’est pas pécher que pécher en silence. MOLIERE - Tartuffe
C’est bien une réflexion de tartuffe, ça… Mais ce soir, tous les péhés seront pardonnés. Et moi, je vous donne rendez-vous l’année prochaine pour la suite des aventures de ROSE, la chanteuse aux deux visages. Passez de joyeuses Fêtes.
Bonjour, J moins deux, Noël va prendre le devant de la scène mais vous aurez encore à lire aujourd'hui et demain les divagations de Yann et de Chris autour du personnage de ROSE. L'année prochaine vous ferez la connaissance de celle qui va donner quelques surprises aux deux hommes. Et chacun de vous lui prêtera un visage, une voix... Pour ma part, pas de doute, ROSE c'est Vanessa... mais chut.
YANN, changeant de ton Il y aura très peu de rôles secondaires autour du pianiste et de la chanteuse.
CHRIS, sur le même ton Des gens qui ont, eux, une seule vie. Ils regardent nos deux héros comme des êtres venus d’ailleurs.
YANN Sauf, à la fin, celle qui va détourner le pianiste de sa femme. Une fille sans le quart de la grâce d’elle, sans beauté, une dévergondée très bien dans sa peau, très malicieuse... Elle va le faire basculer du côté de la vie réelle, la vie du jour.
CHRIS Il abandonnera son piano. Sa femme restera seule à chanter, et elle ne voudra plus quitter le monde de la nuit.
YANN Elle deviendra célèbre à ce moment-là. Mais elle aura perdu son âme.
CHRIS Je vois bien, oui... Je te suis complètement.
Le réalisateur se laisse tomber sur son fauteuil et regarde le scénariste avec reconnaissance.
YANN C’est plutôt moi, qui t’ai suivi... Tu as raison, il faut une histoire de coeur, mais très simple, sans larmes, sans éclats de voix. Une profondeur de sentiments qui passe par les regards, seulement les regards...
CHRIS Tu dis qu’elle n’a pas de regard.
YANN Elle, la chanteuse, le modèle... Mais je vais te trouver une comédienne qui aura un regard, crois-moi...
CHRIS Pourquoi ne pas la faire tourner, Elle ?...
YANN Non, non... Elle restera un mirage.
(Ils se lèvent et vont lentement vers le bar. Il se tourne vers le scénariste et lui prend le bras.)
Il faut qu’elle reste un mirage, n’est-ce pas ? Elle n’est là que pour nous montrer le chemin.
La Cadillac stoppe net sur un chemin de campagne, le car pile derrière et nous regardons Fernandel descendre de sa voiture. “ Elle est pas belle, cette auberge, peuchère ? Venez, on minge là !” Fernandel s’asseoit au milieu de la longue table dressée à la hâte. Il nous regarde avec un petit sourire nous battre pour être le plus près de lui. Il est heureux. Des moments comme celui-là, il y en a eu beaucoup, beaucoup. Il se savait malade. Il savourait ce qu’il aimait le plus dans la vie : la scène et la troupe. Il voulait multiplier les occasions d’être heureux. Parfois dans une ville, Frank son fils venait le voir. Entre les deux hommes, une immense complicité. Fernandel était fier de son fils. Frank savait-il que son père allait bientôt disparaître ? Parmi nous, personne, j’en suis sûre, pas même Robert Thomas, non, personne n’en a jamais parlé. On le voyait appuyé au décor avant d’entrer en scène, son manteau sur les épaules dans les courants d’air, les yeux fermés comme s’il répétait son texte, mais non il prenait son élan, il cherchait en lui le dernier souffle de son bonheur de jouer. Personne alors n’osait l’approcher.
de Friedrich Durrenmatt au théâtre de l’Ambigu (reprise le 15 mai 1961 dans une mise en scène de Hubert Gignoux, avec Valentine Tessier dans le rôle titre.)
Voici ce qu’en a pensé André CAMP, de RTF ( !)
Le texte français de J.P PORRET était excellent, le travail des acteurs en est simplifié. Ainsi est-il efficace, direct, cohérant. Sous la direction intelligente d’Hubert Gignoux les personnages vivent, s’agitent, chantent en choeurou déclament avec un bonheur constant. Et puis, ils sont stimulés, entraînés par une présence, à leurs côtés, exceptionnelle agissante : celle de Valentine Tessier, grande dame du théâtre qui incarne, ici, une « vieille dame » avec une autorité, une vigueur qui marquent ce rôle à jamais. Et l’on dit qu’en juin la saison théâtrale est terminée à Paris ? Ce n’est pas vrai quand la Comédie de l’Est s’y produit. Décidément, il serait temps que l’on créât un centre de province permanent… à Paris !
La Pièce a été reprise en 1995 spécialement pour le Théâtre des Célestins à LYON avec Line Renauud dans le rôle de Claire Zahanassian, dans une mise en scène de Régis SANTON.
Bonjour ! cette semaine sera courte, puisque jeudi se célèbre la divine naissance et que le monde entier, même s'il ne se met pas toujours à genoux, marque l'évènement en faisant "la Fête"... Aujourd'hui, dans la scène 11 de ROSE AUTOUR DE MINUIT, le réalisateur et le scénariste reviennent sur les origines du jazz et du monde de la nuit.
YANN Oui, bien avant. Les speak-easy, on les appelait. Ces bars de la Nouvelle-Orléans où jouaient des gens comme... Duke Ellington, Big Bill Bronzy…. le blues, tout ça…Ce devait être dans les années vingt... Dans ces bars venaient tous ceux qui se sentaient trop seuls pour aller se coucher. Une nouvelle espèce humaine... Les gens de la nuit...
CHRIS Des gens de la nuit, il y en a toujours eu.
YANN Oui, mais autrefois, ils allaient dans les tavernes sans autre but que d’apaiser leur soif d’alcool et de filles... Ceux-là perdaient vite conscience... Combien voyaient le jour se lever ? L’ambiance des bouges avaient quelque chose d’avilissant. Depuis l’avènement du jazz, les gens de la nuit regardent filer les heures sans bouger, bercés par cette musique qui éveille tous les sens.
CHRIS C’est vrai... Ils boivent autant, mais avec élégance...
YANN Voilà ! Le jazz a la suprême élégance des musiques divines. Dans un bar, l’homme oublie d’où il vient et où il va...
Le piano de Bill Evans égrène les dernières notes du morceau, puis s’arrête. Les deux hommes semblent s’éveiller d’un rêve.
Les villes s’offraient à nous. On partait à la découverte. Chacun de nous menait sa vie de son côté. Lorsque le jour commençait à tomber, le coeur se serrait, l’estomac se nouait, le trac entrait en nous. On se retrouvait pour la répétition, les mains glacées. On pénétrait sur le plateau inconnu, on plaçait nos pas dans ceux des comédiens venus de la nuit des temps. On mesurait l’impact de nos voix sur l’étendue noire et glacée de la salle vide. La peur nous vidait la tête de tout ce qui n’était pas la pièce. Fernandel, lui, arrivait en maître des lieux, partout. Il respirait la poussière des cintres comme l’air des sommets. Il prenait possession de la scène avec jouissance. Il nous donnait sa confiance, son bonheur d’attendre le public, son désir de se donner à lui. On l’admirait, on l’aimait. Il nous aimait aussi, cela se voyait.
DOUZE HOMMES EN COLERE de Reginald Rose, version française de André Obey au théâtre de la Gaîté-Montparnasse
Pour une fois, je laisse tomber les critiques, qui sont toutes élogieuses, pour reprendre le texte de présentation de l’Avant-Scène. (1er novembre 1958)
Pour sa réouverture sous une nouvelle direction -celle de Michel Fagadau et de Michel Vitold - la Gaîté-Montparnasse a réussi un coup de maître. Son premier spectacle, DOUZE HOMMES EN COLERE, a reçu un tel accueil de la part de la critique que sa saison paraît d’emblée assurée. Il est réconfortant de constater que l’effort que représente la remise en état d’un théâtre (qui était glorieux, certes, mais vétuste) soit aussitôt récompensé. Constatation également avec l’ensemble de la critique, la coïncidence entre la sortie à Paris du film de Sidney Lume tet Henry Fonda, et la présentation de la pièce d’André Obey tirées l’un comme l’autre de la même œuvre écrite pour la télévision par Reginald Rose. Avec DOUZE HOMMES EN COLERE, la télévision inspire pour la première fois et en même temps, le thhéâtre et le cinéma. Belle matière à comparaison. Si la version cinématographique américaine a été, parfois, préférée pour certains à la version théâtrale française, nous adopterons, quant à nous, le verdict de Thierry Maulnier qui conclut par un prix d’excellence ex-aequo. Vous aimerez certainement connaître les noms des douze comédiens de la pièce : Jean Carmet, Georges Atlas, Georges Géret, Robert Moor, Fulbert Janin, Paul Mercey, Paul Bonifas, Jean-Marie Amato, Jean Michaud, Michel Vitold, Jean-François Calvé.
Bonjour, Nos deux compères se sont embarqués dans une discussion sur la nuit et le jazz qui les a un peu écartés du sujet de leur scénario : ROSE. Mais ils y reviendront bientôt. Après le week-end, c'est promis. Miss COMEDIE, elle, donne ses impressions sur le théâtre, pour que l'on ne se fourvoie pas sur ses intentions... Qui m'aime me suive, en quelque sorte...
YANN Tu veux dire quel décor ? Une ville, des cafés, un bureau où elle travaille le jour, méconnaissable, des rues où il marche, lui, sans but, un peu paumé... Elle ne sait pas très bien ce qu’il fait de ses journées... Ils se retrouvent le soir et ils s’aiment à nouveau en se regardant par-dessus le piano... Une vraie double vie.
CHRIS Oui... Il faut presque qu’on s’imagine que ce sont des personnages différents la nuit et le jour.
YANN se lève et arpente le bar Regarde comme la nuit transforme les gens. Imagine : un soir, un bar... Un homme qui rêve appuyé au bar... Son voisin de palier arrive par hasard, s’approche de lui, ils échangent quelques mots... Ils se trouvent sympathiques, ils vont boire ensemble une longue partie de la nuit. Dans l’autre vie, la vie en plein jour, ils s'ignorent. Ils ne se sont pas reconnus.
CHRIS Moi je crois qu’ ils se sont reconnus. Seulement là, ils se sont soudain trouvés différents. La nuit leur a révélé à chacun un autre visage, plus ouvert, plus sincère. YANN, rêveur La nuit et la musique.
Ils se taisent un instant et le piano de Bill Evans devient plus présent, les notes s’écoulent doucement.
YANN La musique de jazz a transformé l’ambiance des bars. Ca date de quand...? 1936 ?
Mon blog ne s’adresse pas aux intellectuels. Non pas que j’écrive pour une population d’abrutis, mais je ne prétends pas enseigner le théâtre, ni faire des révélations sur le sens caché d’un texte, ni analyser les motivations profondes d’un auteur, non mon blog est un blog de divertissement, tout simplement. D’ailleurs, mon répertoire de prédilection est surtout fait de comédies, plus ou moins légères mais toujours écrites avec un souci d’élégance, mes modèles sont des gens comme Pinter, Saunders, Reza, Oscar Wilde mais notre époque est en train de voir éclore des talents très prometteurs dans le genre. J’adore ce répertoire-là en tant que spectatrice, mais aussi en tant que chroniqueuse car je suis capable d’en parler. D’autres pièces, plus graves et inspirées par des idées métaphysiques ou politiques, me donnent à réfléchir, m’émerveillent parfois, et si l’interprétation est à la hauteur, me remplissent d’un bonheur enfantin. J’en sors ébranlée, sous le charme, mais je suis incapable d’analyser mes sentiments, à part de rares exceptions. C’est pourquoi vous ne trouverez jamais dans cette rubrique mes impressions sur une pièce de Brecht ou de Gorki. Ce qui est normal pour un blog signé Miss Comédie, non ?
La troupe est une et indivisible. En chacun de nous est le texte, morceau par morceau, et notre confrontation sur le plateau est le fin mot de l’histoire... La route est notre attente du mystère. Comment serons-nous ce soir ? Comment sera la salle, le public, quel esprit soufflera sur cet espace clos ? Nous regardons le paysage défiler, les reliefs s changer. Le soleil sèche les gouttes de pluie sur les vitres du car. Nous reprenons espoir. Nous ne connaissons pas la routine. Chaque voyage qui commence est un autre voyage, une autre découverte.
Nous partions souvent tôt le matin, lorsque la distance à parcourir était longue. Les comédiens ont alors le visage pâle et les cheveux défaits, ils n’aiment pas la lumière crue du matin. Certains sont beaux dès le réveil. Les autres les regardent à la dérobée, sous le charme malgré eux. Ils savent que la beauté attend son heure. Demain, elle sera sur eux. J’ai vu souvent ces caprices de la nature.
Création le 22 septembre 1960 au Théâtre Antoine, avec Annie GIRARDOT dans le rôle titre, mise en scène par Jean MEYER.
Jean AUDOUARD, du Canard Enchaîné, écrit :
« J’ai positivement adoré l’IDIOTE, le nouveau triomphe de Marcel ACHARD… Tant de mérites rassemblés en trois actes laissent béat d’émerveillement. »
et Claude SARRAUTE, de France Observateur : « Le personnage est dessiné de main de maître, fouillé jusque dans ses moindres recoins. Il bouge, il vit, il retient…
et encore Jacques LEMARCHAND, du Figaro : « Voilà une admirable comédiennen , Annie GIRARDOT, retirée pour de longgs mois - des années peut-être, on ne sait plus - de la circulation. »
Ils étaient dans l’air du temps : ACHARD, GIRARDOT… Comme le temps passe.
Le scandale du monde est ce qui fait l’offense. Et ce n’est pas pécher que pécher en silence. MOLIERE - Tartuffe ________________________
Comme tous les vendredis, le rideau tombe pour le week-end. Rendez-vous lundi pour retrouver Miss Comédie dans l'amiance scintillante de l'approche de Noël.
YANN, pensif Oui... pourquoi pas ? On les retrouverait tous les deux le soir dans leur bar... Employés modèles le jour, musiciens de troisième zone la nuit. Mais le fil conducteur de tout ça ?
CHRIS Telle que tu le démarres, c’est un sujet pour la Métro Goldwyn Mayer, avec de Niro et Kim Basinger. Un thriller tourné à New York avec un budget record. (un temps) Je voyais plutôt une histoire triste d’un type floué, un mec falot qui a une femme trop belle pour lui et qui finit par la perdre.
YANN Trop sombre ! Je veux bien imaginer un mec falot qui a une femme trop belle pour lui... Oui... Et le spectateur est persuadé qu’il va finir par la perdre, et tout prête à le croire et puis...
CHRIS Elle reste avec lui ?
YANN Mieux que ça : c’est lui qui s’en va, et elle est inconsolable.
CHRIS, éclate de rire Ah, tu m’as eu ! En effet, c’est beaucoup moins sombre !
YANN, riant à son tour C’est aussi sombre, mais moins convenu !
Ils restent un moment à regarder cette idée flotter dans l’air.
CHRIS C’est pas mal...
YANN Hein ?
De nouveau ils restent pensifs et boivent quelques gorgées de whisky. Le couple se lève et sort lentement du bar, en se tenant par la main. Le barman lit le journal sur le bar.
La tournée est l’expression même de la fugacité du théâtre. Partir ensemble, emporter avec nous les artifices, les accessoires et les déguisements, tout l’arsenal du rêve et avec lui tous les secrets d’une alchimie mystérieuse entre le spectateur et son double, le comédien. Nous sommes une famille avec ses clans et ses inimitiés masquées. Les rôles sont en nous et nous manipulent, on n’y peut rien. Le jeune premier est amoureux de la jeune première, comment éviter cela ? Soyons juste, il y a aussi des révoltes contre ces sentences dictées par le texte. Parfois les amants de la scène se mettent à se haïr et chaque instant du quotidien est un affrontement ou une fuite. La famille calme le jeu, les entoure. Mais qu’ils consomment leur passion ou qu’ils la refusent, ils sont à l’abri de toute intrusion étrangère.
Aïe ! sujet dangereux. Tout ce que vous allez lire n’engage que moi.
Depuis que je passe en revue les critiques de pièces des années 60-70, je prends conscience de leur aménité, de leur indulgence, par rapport aux critiques d’aujourd’hui. On dirait que les critiques d’aujourd’hui sont des chiens hargneux qui n’ont de plaisir qu’à mordre ceux qui font des choses. Il y a aussi les critiques ironiques qui pratiquent l’humour corrosif, histoire de montrer qu’ils ont tout compris mais que là, on ne la leur fait pas. Ils s’attaquent presque toujours à des spectacles qu’ils n’ont pas aimé. Ne serait-ce pas plus drôle de parler des spectacles qu’ils ont adoré ? C’est valable aussi pour le cinéma. J’ai lu un jour une critique parfaitement inique, venimeuse, hors sujet, visant incontestablement à nuire et non pas à juger. Elle était signée d’un journaliste du Monde. Il s’attaquait à un très beau film qui a reçu un accueil excellent dans les salles et derrière son propos un peu trop exalté pour être honnête, on sentait une animosité personnelle contre le réalisateur. Toujours ces histoires de clans. On encense les gens qui font partie de son clan, on démolit ceux du clan opposé. D’ailleurs, les créateurs eux-même ne se respectent pas entre eux. On est revenu au temps de Versailles où les querelles de cour faisaient florès. On pourrait gloser une nuit entière là-dessus, mais ça ne changera pas la face du monde.
CHRIS Ce n’est pas elle qui te fascine, mais le trouble qu’elle provoque autour d’elle. Elle n’est qu’un miroir qui vous renvoie vos propres fantasmes.
YANN Tu dis “vous” comme si tu étais réfractaire à son charme.
CHRIS Je ne la considère que comme un sujet de scénario.
YANN Mais, misérable, comment peux-tu mener à bien une histoire si tu n’es pas fasciné par tes personnages ?
CHRIS C’est trop tôt... Je ne la connais pas encore... Il faut que je m’attache...
YANN Là, tu me rassures. Alors laisse-moi te dire comment je la vois, moi, cette histoire avec elle... CHRIS, prenant des notes Oui, allez, aide-moi un peu.
YANN, d’abord hésitant, est pris peu à peu par son sujet L’histoire pourrait commencer par un hold-up. Dans une grande banque. Elle serait la secrétaire du Directeur et elle verrait toute la scène sur l’écran vidéo de son bureau. Elle resterait impassible...
CHRIS, ironique ... naturellement.
YANN ... Naturellement. Mais elle a vu les trois malfrats, dont l’un opérait à visage découvert. Une scène violente et très rapide. Les mecs repartent avec un sac de fric. Un employé de la banque a balancé une clef de coffre.
Fernandel est assis à l’arrière de la Cadillac. Tina, son habilleuse, est devant, près du chauffeur. C’est une femme discrète, environ 50 ans, une Marseillaise de la campagne qui le suit depuis ses débuts. Elle parle peu et ne se lie pas avec les membres de la troupe. Avec le chauffeur (je ne me souviens plus du nom du chauffeur) ils forment un couple soudé par une identique dévotion à leur maître. Mais je n’ai jamais su s’ils étaient mariés ou non.
C’est ainsi que nous avons sillonné les routes, en France, en Belgique et et Suisse, pendant trois mois hors du temps, comme des saltimbanques. Je dirais que c’est pendant ces longues heures passées dans le car à traverser ces villages dans l’anonymat le plus absolu, que j’ai perçu la réelle beauté d’un métier - le théâtre - dont l’essence même est de passer au travers du monde sans laisser de traces. Rien que des souvenirs qui s’estompent avec le temps...
LA TETE DES AUTRES - de Marcel Aymé dans une mise en scène de André BARSACQ décors de Jean-Denis MALCLES avec MOULOUDJI et Rosy VARTE
Ca c’est une affiche alléchante. En revanche, quand on lit la critique, on prend peur.
Ce vaudeville noir reste, aussi bien, pendant les premiers actes, une charge à fond de train contre la magistrature. Le nouveau 4ème acte a le mérite (que n’avait pas l’ancien) de « rester dans le sujet ». Mais il était difficile de trouver des rebondissements, des développements supplémentaires. Les personnages semblent tourner en rond dans leur histoire en cherchant comment en sortir. Valorin en sort, lui, les pieds devant. « Unhappy ending ».L’innocence ne paie pas.
Paul GORDEAUX (France-Soir)
Les autres critiques ne valent pas mieux. Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir. Et puis : 4 actes ! On n’a plus le temps, aujourd'hui, de rester 3 heures au théâtre !
HORTENSIA Vous jouez de nous comme des totons ! Vous lasserez bientôt notre patience. LE COMTE Tous les metteurs en scène de génie font ainsi. Encore heureux que je ne hurle pas, que je ne déchire pas les brochures. Il n’y a pas de mise en scène de génie sans crise de nerfs. L’insulte est la monnaie courante, quelques très grands metteurs en scène vont jusqu’à la gifle. Et ne croyez pas que cela soit gratuit. Cela se sent toujours, après, quand on écoute la pièce, si le maître a été vraiment viril. Une pièce mise en scène par un homme poli, il est bien rare que cela sente le génie. Enchaînez, Sylvia, encaînez.
YANN Bon. Mais tu ne vas pas me faire croire qu’elle est fidèle.
CHRIS C’est là, où l’on peut se mettre à rêver. Deux cas de figure : Elle le trompe, il le sait, et il ne dit rien parce qu’il aime ça.
YANN Il aime ça ?
CHRIS Oui, il aime l’idée que sa femme le trompe, parceque tous les hommes la désirent mais elle n’appartient qu’à lui. Orgueil.
YANN Orgueil, oui.
CHRIS Deuxième possibilité : elle le trompe et il ne dit rien parce qu’il a peur qu’elle le quitte s’il se montre trop jaloux. Lâcheté.
YANN Orgueil ou lâcheté. Mais là, tu fais intervenir le mari comme un personnage essentiel.
CHRIS Oui. Il devient plus intéressant que la femme.
YANN C’est dommage...
CHRIS Je crois que tu lui prêtes un mystère qu’elle n’a pas. Elle est lisse et dure, fermée et fascinante quand elle est sur scène, négligée, faible et ordinaire lorsqu’elle sort du décor. Si tu la rencontrais un matin revenant de faire ses courses, tu ne la reconnaîtrais pas.
YANN, rêveur Elle me fascinerait encore. Elle me fascine en bloc.
Un baiser torride. Assis côte à côte face au public, le clown et l’Américaine faisaient connaissance sur un ton plutôt mondain quand soudain sans crier gare je devais lui sauter au cou et lui rouler un patin. Nous n’avions jamais répété ce passage, je vous l’ai dit. Le soir de la première, avant d’entrer en scène il m’avait prévenue :: “Il faudra le faire durer, hein ?” et devant mon air affolé : “Quoi, je te dégoûte, peut-être ?” mais il avait ajouté sérieusement : “Je te ferai sentir quand il faudra s’arrêter. Jusque-là, reste bien sur moi.” Ce soir-là, je me jetai sur lui dans un état second, ignorant la suite. Il me maintint fermement contre lui. Et je découvris son jeu de scène avec stupeur. Les yeux exorbités, agitant bras et jambes dans une tentative de fuite, faisant mine de tomber de sa chaise, la bouche collée à la mienne, il faisait du grand Fernandel. Pris par surprise, le public réagissait exactement comme il l’avait prévu : un immense éclat de rire, mêlé de cris et d’applaudissements frénétiques. C’était Guignol. Tétanisée, je réalisai vite qu’il fallait jouer le jeu. Nous comptions donc les secondes. Je maintenais le contact. Peu à peu, les applaudissements s’espaçaient, les rires faiblissaient. Je sentis l’étau se désserrer autour de mon bras. C’était le signal. Je m’écartai de lui prestement. Je jouai la suite de la scène avec ivresse. Il m’avait communiqué un chromosome de son talent.
Le théâtre est un enchaînement de secousses comme celles-là : imprévisibles en apparence. En réalité, parfaitement voulues par l’auteur. Le public fait ce qu’on lui dit. Le comédien doit rester maître de la situation. Ce n’est pas toujours facile : dans certaines salles plane un esprit de révolte, un souffle de refus. Pour nous, le miracle s’est reproduit chaque soir. Simplement, le baiser devait durer plus ou moins longtemps. Certains publics sont plus pudibonds que d’autres.
Demain, il y aura un autre moment comme ça, en moins torride, de mon travail avec Fernandel.
Bien que la pièce ne date pas d’aujourd’hui, les amateurs de théâtre se souviendront sûrement de sa carrière inscrite au livre des Records. Créée le 10 décembre 1960 à la Comédie-Caumartin, elle fut jouée sans interruption pendant 19 ans soit 2000 représentations à Paris et en province… Pas de doute, ce fut ce qu’on appelle un succès. Ce qui est intéressant, c’est de lire l’appréciation des critiques au moment de sa création, quand on ne savait encore rien de sa bonne fortune. Mais la place me manque et j’ai dû faire un choix. C’est Max Favalelli qui se confesse :
« Voilà, j’ai ri. Oh, je sais qu’il y a quelque chose de honteux. Cependant que le rire me chatouillait sournoisement les amygdales, je me disais : Voyons, il n’est pas question de la condition de l’Homme. Rien de social là-dedans. Quant aux problèmes métaphysiques, je n’en vois pas l’ombre d’un seul. Ce qui ne manquait pas de m’inquiéter. J’ai ri. Et je ferai acte de contrition en relisant quelques pages de Brecht. Mais j’ai ri. Je m’en confesse. A l’abri de mon programme. Certes, Boeing-Boeing n’est pas une de ces oeuvres qui bouleverse la littérature universelle. C’est une comédie qui amuse par les moyens les plus classiques, les plus francs, les plus simples. « (Paris-Presse) C’est curieux, je tenais Max Favalelli pour un homme érudit, maniant la langue française avec une subtilité d’expert, lui qui publie des grilles de mots croisés réservées aux fortiches. Et ben, sa prose, là, elle est vraiment bâclée.
LULU Voilà ce que vous avez fait. Vous avez assouvi votre soif immonde. Vous m’avez appris des choses qu’une jeune fille ne devrait pas savoir avant d’ avoir été mariée au moins trois fois ! GOLDBERG Et bien ! Tu as pris de l’avance ! De quoi te plains-tu ?
LE REALISATEUR ET LE SCENARISTE. Naissance d’un scénario.
Le même bar, la semaine suivante. Nous sommes en début de soirée, l’estrade est vide. On entend en fond sonore un disque de piano de Bill Evans. Un couple de consommateurs est assis à une table. Le barman s’active derrière le bar. Entrent le réalisateur et le scénariste. Ils saluent le barman, vont vers une table et s’assoient. Le scénariste sort un cahier de notes et le pose sur la table.
YANN Nous ne la verrons pas, aujourd’hui. Ils ne jouent que le jeudi. CHRIS Je n’ai pas besoin de la voir. Une fois m’a suffi. YANN, regardant autour de lui Cet endroit est magique. On ne pouvait rêver mieux comme décor à nos plongées sous-marines... CHRIS Nos plongées sous-marines... YANN Nous sommes deux scaphandriers à l’épreuve de la profondeur... Inventer une histoire ne suffit pas... il faut lui donner une profondeur, c’est ça qui est difficile.
CHRIS Surtout, il faut qu’on y croie. YANN Bien sûr, qu’il faut qu’on y croie. Et nous, d’abord !
Le barman s’approche de la table.
LE BARMAN Ces messieurs désirent ?
YANN Un double scotch et des olives noires. CHRIS Un whisky simple et des olives vertes.
Le barman s’éloigne avec un regard noir. Les deux hommes se mettent à rire.
YANN Tu as rêvé d’elle ? CHRIS Oh, rêvé... Je ne l’idéalise pas comme toi. Je la vois comme une femme très au-dessous de ce qu’elle paraît, une personnalité très effacée, timide même. Aucune ambition, aucun idéal. Quand elle rentre chez elle, elle enfile un jogging et des baskets. Elle est mariée et aime son mari. YANN Mariée ! CHRIS Ecoute, ça tombe sous le sens : elle est mariée avec le pianiste, bien sûr. YANN Bon sang, tu as raison. Bien sûr. Elle est mariée avec le pianiste... CHRIS Ils se sont rencontrés sur une estrade, et ils sont tombés en arrêt, lui devant sa beauté, elle devant son talent.
Le barman apporte les consommations. Ils restent un moment sans rien dire, pensifs.
Folle d'amour... J’ai assisté tout récemment à un spectacle hors du commun au titre magnifique : LA DERAISON D’AMOUR. Une production canadienne invitée par Claudia Stavisky au Théâtre des Célestins à LYON. Il s’agit du journal intime de Marie de l’Incarnation, une religieuse française du milieu du 17ème siècle et de sa correspondance avec son fils qu’elle abandonna très jeune en France pour devenir missionnaire au Canada. Un acte d’amour total pour Dieu, son « divin époux ». Ces écrits, d’une sensualité extraordinaire, ont été rassemblés et mis en forme théâtrale par Jean-Daniel LAFOND, un auteur québequois très actif dans son pays. Le rôle de Marie de l’Incarnation est tenue par une comédienne exceptionnelle, très connue au Canada, Marie Tifo. Elle s’approprie ce personnage difficile de « folle de Dieu » qui se confie à son fils avec une impudeur troublante, sans jamais tomber dans la caricature, toujours digne dans son mysticisme exacerbé. La mise en scène, inventive et délicate, mêlant éclairages savants et musiques évocatrice, était signée Lorraine Pintal. Le public, comme tétanisé, a ingurgité ce texte très spécial dans un silence… religieux, sans une seule toux intempestive, pour se déchaîner à la fin dans une ovation libératrice, semblait-il, et très inhabituelle pour un public lyonnais. J’ai adoré découvrir, comme souvent au théâtre, un texte et une comédienne qui donnent le frisson. Texte audacieux écrit dans une langue superbe, dit avec une ferveur communicative.
Passage délicat Ah, ce baiser ! Quand j’ai été engagée, j’avais lu la pièce et je me disais « oh, on ne me demandera pas ça, il y aura une astuce pour oblitérer ce passage obscène, Fernandel refusera sûrement de s’afficher dans cet état de faiblesse qui n’est plus de son âge… » Et puis commencèrent les répétitions, et voilà qu’on est tombé sur le passage du baiser, et à mon grand soulagement, Robert Thomas me sauva la mise en disant qu’on oublierait le baiser en répétition. Sur quoi Fernandel avec un œil lubrique ajouta en me regardant avec l’index pointé : « mais à partir de la première, mon petit, il faudra y passer ! » Toute la troupe se gargarisait. La petite dompteuse, Alexandra Fouks, vint me dire qu’elle, à ma place, rendrait le r ôle tant ça la dégoûtait. « Tu te rends compte ? Il va mettre la langue, tu peux être sûre, et tu ne pourras rien faire ! Et ça, tous les soirs ! » Rendre le rôle, elle était bien bonne ! Un rôle pareil, avec une pointure pareille en face, non mais. Les répétitions se passèrent sans encombre, Fernandel n’essaya jamais de devancer l’appel. Et arriva le jour redouté de la première, avec un trac monstrueux au ventre, et l’idée du baiser qui me rendait malade. On en parlera demain....
L'adaptation par Jean Cocteau de la correspondance amoureuse de George Bernard Shaw avec Stella Campbell. Cette pièce a été reprise maintes fois dans des mises en scène différentes mais la critique que je vous livre aujourd’hui est celle de sa création à Paris en 1960 au Théâtre de l’Athénée. Ce fut l’événement de la saison, avec Maria Casarès et Pierre Brasseur face à face. Poirot-Delpech : « Asseoir sur une scène déserte un couple en tenue de récital et lui fairrelire deux heures durant le courrier d’un amour vécu, cela semblait d’une démente prétention. On risquait l’ennui d’une conférence ; au mieux, l’estime fragile accordée d’ordinaire aux performances d’acteurs. L’Athénée a gagné son pari : Cher Menteur a la beauté tremblante et douce d’un concert. " (Le Monde)
Un concert de louanges… Celles du féroce PD valent leur pesant d’or.
Elle chante « My Solitude » dans une version à peine raccourcie jusqu’aux dernières notes de sa voix qui se brise sur le final du piano. La lumière la quitte alors qu’elle salue et revient éclairer les deux spectateurs.
YANN Alors ?
CHRIS, hoche la tête Oui...
YANN, rêveur J’ai rencontré son regard. Vide. Glacé. Souviens-toi de ça : elle a un regard vide et glacé. C’est important.
(Ils se regardent.) C’est un bel objet offert et inaccessible à la fois. Autour d’elle, on peut construire mille et une histoires sans lendemain... (CHRIS le laisse à son rêve, n’intervient pas.) Je te libère pour aujourd’hui. Il faut que tu y penses, qu’elle t’envahisse. Laisse-la venir. Dans deux jours, tu me racontes. D’accord ?
CHRIS D’accord.
Ils se lèvent, règlent l’addition au bar et sortent.
Molière, le retour ? Ceux qui ont eu la chance de voir Isabelle Huppert dans la pièce de Yasmina Reza LE DIEU DU CARNAGE, s’en souviennent encore. Voilà comment d’un fait divers mineur, vraiment anodin, et pas du tout traumatisant, on fait une pièce qui va au bout de l’exploration de l’âme humaine, ce qui pourrait être affligeant, mais qui nous fait rire d’un bout à l’autre avec jubilation. Quatre personnages, pas plus, l’affrontement de deux couples qui commence dans les civilités et qui finit dans le carnage. La progression de la haine se fait très lentement, à coups de petites phrases qui en entraînent d’autre, et chaque personnage est dessiné comme une caricature de Daumier, à traits épais. Mais Isabelle Huppert est la plus étonnante. On la voit susurrer des mondanités en offrant des amuse-gueule, on la voit lâcher quelques énormités avec distinction on la voit perdre peu à peu sa retenue puis balancer un plateau à la figure de son invitée. Elle est juste partout. Ca doit être que chez elle il y a tout ça à la fois ?. En face d’elle, sur scène, il faut se tenir à carreau, il faut être à la hauteur ! Et bien ses partenaires sont parfaits. L’invitée est inénarrable de drôlerie. Au début, en la voyant arrivée, toute coincée, on ne s’attendrait pas à ce qu’elle va nous servir, au fil de la pièce, comme grossièretés. Les dialogues de Yasmina Reza sont très forts. Pas une facilité, pas une vulgarité. Des mots de tous les jours, et pourtant un texte qui restera comme une étude anthropologique de l’homo sapiens qui va très loin.. Ca vous fait penser à quelqu’un ? A Molière, bien sûr.
Un autre grand souvenir de théâtre, c’est la pièce que j’ai jouée avec FERNANDEL. C’était une comédie écrite par Robert THOMAS qui se passait dans le milieu du cirque, avec une histoire de crime pour donner du piment, et un rôle en or pour le grand acteur, celui d’un clown accusé de meurtre. Je jouais une jeune intrigante américaine qui tentait de le séduire pour noyer le poisson, car c’était elle la meurtrière. La création eut lieu le 10 décembre 1968 au Théâtre des Variétés, et Robert Thomas assura la mise en scène. Bon, je ne vous parlerai pas de l’accueil du public parisien qui fut tiède, rien à voir avec celui reçu dans les villes de province lors de la tournée, chaque fois triomphal. FERNANDEL était vraiment adoré des Français. Je veux surtout vous donner une idée de l’ambiance de la troupe, avec de petites anecdotes rigolotes. Mais là, j’ai plus la place, donc à lundi pour apprendre comment une jeune comédienne affronte un baiser prolongé avec le séducteur aux dents de cheval…
MARC Serge, tu n’as pas acheté ce tableau deux cent mille francs ? SERGE Mais mon vieux, c’est le prix ! C’est un Antrios ! MARC Tu n’as pas acheté ce tableau deux cent mille francs ! SERGE J’étais sûr que tu passerais à côté.
La pièce a fait un tabac lors de sa création à Paris, avec Raf Vallone dans le rôle principal. La mise en scène était de Peter Brook, je crois même que c’était sa première mise en scène en France, c’était en 1958 au Théâtre Antoine. La presse fut unanime. Je prends une critique au hasard, celle de Robert Kemp dans Le Monde :
« Une pièce qui nous met KO. Je prédis un long succès. La pièce porte, elle a la taille et l’élan d’un bélier.Elle bouscule l’indifférence, elle bouscule l’esprit. Ce n’est pas une pièce fine, de psychologie souple et ténue. Sa brutalité rappelle le ring. Et puis, quant à l’originalité d’un sujet, nous en reparlerons un autre jour, à la naissance d’une autre œuvre. Seulement, la main qui l’a pétrie est une main virile et résolue, une main qui se crispe en poing. Et voilà, elle nous met KO. Arthur Miller, sans y songer, commence à la façon d’Euripide : un large monsieur en pardessus beige s’avance : « Je suis Alfieri l’avocat. J’ai assisté à l’affaire et connu le bonhomme. Il est ceci, cela, et vous allez voir ! » Ma foi tant pis, va pour Euriipide, qui animait les sujets les plus sanglants. Celui-ci le sera. » (Le Monde)
Drôle de prose. Et drôle de critique. Pas un mot pour Vallone, qui le méritait. D’autres critiques l’ont encensé. Pourrait-on dire que c’est une bonne critique ? Il ne s’est pas mouillé.
Le rideau tombe sur la première semaine de mon blog. Je vous retrouve dès lundi pour de nouvelles aventures de ROSE et de Miss COMEDIE... Bonne fin de semaine, chers spectateurs !
YANN Cette beauté va nous porter chance, tu verras. CHRIS Avant de commencer, je voudrais savoir... Donc, nous pouvons nous rencontrer ici un soir sur deux... YANN Oui, puisque tu es pris toute la journée et que ta femme a du mal à se passer de toi tous les soirs. CHRIS Il faut la comprendre... Elle s’occupe du bébé toute seule, elle ne voit personne. Le soir, elle est heureuse de me retrouver, de me parler... YANN Bien sûr, je comprends... Mais ta carrière ? Elle y pense, à ta carrière ? Ca demande des sacrifices, pour un scénariste comme pour un marin pêcheur... CHRIS, baissant la tête Oui. YANN Nous avons toi et moi une chance incroyable de nous être rencontrés. Tu es ma chance et je suis ta chance. Alors, allons-y à fond ! Non ? CHRIS Oui, oui, tu as raison. Un soir sur deux, tu peux compter sur moi. YANN Cette femme, quand elle va revenir chanter, regarde-la bien. Essaie d’imaginer une histoire autour d’elle. Tu verras, c’est facile : elle est fascinante. Moi, j’ai déjà des images qui tournent dans ma tête... C’est vague... Je ne me souviens plus très bien de son regard... A-t-elle un regard ?
A ce moment entre le groupe de musiciens et ROSE. Ils vont se replacer sur l’estrade, et après un rapide coup d’oeil sur les deux clients et quelques mots échangés à voix basse, ils attaquent un morceau assez enlevé pour lequel ROSE reste un long moment appuyée au piano sans chanter, esquissant à peine le rythme d’un mouvement des hanches. Puis le rythme s’alanguit et le blues revient, la jeune femme s’avance le micro à la main, l’approche de sa bouche et commence à chanter doucement.
(vous imaginez Vanessa Paradis ? Ca pourrait être elle.)
Oui à la sortie de TARTUFFE j’étais pressée de rentrer chez moi pour relire la pièce. On oublie à quel point Molière avait du génie. Il a balayé le champ entier de la faiblesse humaine. Il est descendu au plus profond de l’abîme de nos vices cachés. Rien ne lui a échappé. Et il nous a tendu le miroir, pour que l’on puisse en rire jusqu’à la fin des temps. Avec tendresse, il a mené ses personnages jusqu’au bout de la déchéance sans jamais moraliser. A travers ses vocables et ses tournures aujourd’hui disparus, nous comprenons tout et nous rions aux larmes.
Il a su trouver les ressorts éternels du rire. Le rire peut-il se démoder ? De certaines pièces on dit « elle date On ne rit plus trop des finesses de Guitry, encore moins de celles de Barillet et Grédy, plus du tout de celles de Marcel Achard, mais Molière ! Toujours aussi bidonnant. En y réfléchissant, et toujours après avoir revu ou relu Molière, on se dit que c’est navrant. Quoi, il n’y aurait plus d’auteur comique vivant ou mort, comparable à Molière ?
J’entends d’ici la horde des défenseur des Pinter, Saunders, Beckett, Ionesco, Obaldia et même Tchékov, Oscar Wilde, et j’en oublie plein. Et je rajoute Yasmina Reza, que je tiens pour notre nouveau Molière avec deux pièces qui sont des sommets de comédie , une allégresse : ART et LE DIEU DU CARNAGE. Oui, mais Molière…..
Les matinées classiques sont le cauchemar du comédien. Il n’y a pas de public plus terrifiant que les enfants des écoles. Une fois à Aubervilliers, nous jouions dans la salle des Fêtes devant une centaine d’ élèves de 6ème de la communale. Au moment de commencer, impossible de les faire taire. Les profs étaient impuissants. Nous avons joué les trois premières scènes dans le chahut. Quand ce fut mon tour d’ entrer en scène en riant, comme d’habitude, tout de suite j’ai reçu le premier boulon sur le bas de ma robe. J’ai ignoré, comme il se doit. Mais un deuxième boulon a atterri sur le dos de Géronte qui a fait un bond en avant. Là, mon rire n’arrivait pas à couvrir ceux de ces chenapans en délire. Il pleut des boulons sur le plateau. J’ai arrêté de rire. Scapin a déboulé sur le devant de la scène. Il a frappé quelques coups sur le plancher avec le brigadier de service et dans le silence relatif qui a suivi, il a parlé. « La troupe arrête de jouer. Nous reprendrons le spectacle lorsque l’ordre et le silence seront revenus. » Il les a regardés bien en face, alors qu’ils applaudissaient et sifflaient en chœur. Puis il a tourné les talons et le rideau est tombé. Nous n’avons pas repris le spectacle, car les profs ont fait sortir les élèves, comprenant bien qu’ils ne pourraient rien en tirer ce jour-là.
Cette mise en bouche théâtrale ne m’a pas découragée, bien au contraire. J’ai joué beaucoup de pièces par la suite, mais celle-ci est restée gravée dans ma mémoire avec la précision d’un coeur gravé dans l’écorce d’un arbre.
Je fais une petite parenthèse avant de vous balancer la Scène 3, juste pour vous dire que j'aifait un découpage de scène spécialement pour le blog, avec des scènes plus courtes car celles qui étaient prévues pour être jouées étaient beaucoup plus longues, évidemment. Je ne voulais pas lasser le lecteur qui est très pris par le temps, comme chacun sait. Si vous trouvez les scènes trop courtes, n'hésitez pas à m'en faire la remarque dans vos commentaires... Vous avez éteint vos portables ? Voici la Scène 3.
Le barman apporte le verre de scotch du jeune homme et pose une deuxième assiette d’olives.
YANN, rêveur Autour de quoi elle tourne... Il faut que tu m’aides... Une femme très belle, mais surtout très classe, une classe étonnante, un port de reine... Qui chante dans un bar de sixième catégorie... Décalée... En parfait décalage...
CHRIS Tu veux que l’action se passe de nos jours ?
YANN Oui, absolument. De nos jours. Ou dans les années quarante. C’est presque de nos jours.
CHRIS Tu veux tourner à Paris ?
YANN Pas spécialement. Mais dans une capitale. Une grande ville, où il y ait un brassage de gens, l’ambiance de la rue, le côtoiement du luxe et de la misère... En France ou ailleurs, Amsterdam... Londres...
CHRIS Mais tu m’avais parlé d’une comédie...
YANN Depuis que j’ai vu cette femme, je n’ai plus envie de comédie. Je me sens inspiré par une histoire plus sombre, plus ouverte sur des notions de hasard, de fatalité, tu vois...
Le jeune homme a ouvert un porte-document et il en sort un cahier qu’il ouvre et sur lequel il commence à prendre des notes.
CHRIS Ca me plait. Ca me plait mieux que ta comédie.
YANN Ah, tu vois ? C’est bien, ça. On va travailler ce sujet-là, tu vas voir, on va écrire une très belle histoire.
Ils éclatent de rire et boivent ensemble une gorgée de whisky. (à suivre)
Le TARTUFFE qui s’est joué à la rentrée à l’Odéon Théâtre de l’Europe est une production du Théâtre National de Strasbourg. Stéphane Braunschweg, qui en est le Directeur, l’a créée en Avril dernier avec les comédiens de sa troupe. Ici, dans ce cadre mythique, elle prend une dimension de « grand » spectacle. Non, pas de grand spectacle, au sens de grandiose, car , elle est montée avec une grande sobriété de décor et de costumes, la mise en scène est nette, précise et sans effets inutiles. Simplement, le texte admirable de Molière est magnifiquement interprété par des acteurs à la technique irréprochable. Ils parlent la langue de tous les jours, en alexandrins. Tout est réglé au petit poil. Pas un flou, pas un doute sur la façon d’envoyer sa réplique. Dire qu’ils sont habités serait un peu niais, car comment ne pas habiter un texte pareil ? D’ailleurs, chaque soir, je dis bien chaque soir, Stéphane Braunschweg les attend à la sortie du plateau, les réunit au bar et leur fait un petit débriefing . Chacun en prend pour son grade. Il assiste à chaque représentation et il voit tout. C’est comme ça qu’on fait les « grands » spectacles. C’est du béton. Ca ne bouge pas d’un soir à l’autre, ça ne tombe pas dans la routine. Peu de metteurs en scène ont cette rigueur.
On peut lui contester sa vision de la pièce, toute dans l’oubli de Tartuffe pour se concentrer sur Orgon et ses motivations, pourquoi a-t-il pu se laisser embobiner de la sorte ? Moi je trouvais le personnage de Tartuffe beaucoup plus intéressant. Là, il est un peu falot, pas du tout inquiétant. Orgon, par contre, est parfait. Et les autres, aussi, parfaits. Un grand spectacle. D’ailleurs, demain je vous parlerai de mon impression en sortant du théâtre, cette impression de redécouvrir à chaque fois notre plus grand auteur dramatique.
Je dois dire qu’après la joie immense d’avoir décroché ce rôle, Zerbinette des Fourberies de Scapin, j’ai compris que jouer pouvait avoir un autre sens que celui des cours de récré. Je savais rire, d’accord, mais mon metteur en scène estimait que tout restait à apprendre. Jean-Louis Thamin était un tortionnaire. Ce que nous faisions n’était jamais bien. Il fallait toujours aller plus loin, chercher son personnage ailleurs qu’à la pointe de ses souliers.. Il nous disait que nous allions être des costumes vides. Nous l’écoutions, navrés et honteux. Nous partions à la découverte de nous-mêmes, toujours plus loin.
Je pense aujourd’hui qu’il avait raison. C’est ainsi qu’on arrive à trouver le deuxième souffle, celui de notre moi inconnu. Je ne savais jamais quand j’atteignais le niveau d’excellence que demandait Jean-Louis.
Quand je sortais de scène, la gorge sèche, je trouvais mon Scapin qui me tendait une bouteille d’eau avec un commentaire bref. Ca allait du »bravo », « gagné », « super », au « merdique », « en-dessous », « laborieux » ou « à chier » qu’il ne m’a dit qu’une fois, heureusement.
Nous avons joué au Théâtre de l’Ouest Parisien pendant un mois, les critiques étaient bonnes. Ensuite nous sommes partis en tournée et ça c’était moins drôle, mais le pire, c’était les matinées classiques. J’ai un souvenir cuisant de l’une de ces matinées, et je vous le conterai demain, si vous le voulez bien.