L'amour masqué
J’ai revu LES VESTIGES DU JOUR et, encore une fois, à la fin, j’ai pleuré.
Non que cette fin soit un drame sanglant , au contraire, tout se passe dans la dignité mais enfin, on pleure aussi tout simplement quand c’est beau, quoi.
Et là, devant ces deux acteurs qui vivent leur adieu, le coeur brisé mais sans une larme, on est secoué d’admiration et de révolte, on ne sait de quel côté se trouve la raison . Peut-on choisir entre le devoir et l’amour ?
Attention, le film sublime de James IVORY ; sorti en 1993,ne se contente pas de décrire les coulisses d’un amour impossible... Ce n’est que l’un des tableaux de cette Angleterre ancrée dans ses traditions, face à la montée du nazisme, sous le regard omni-présent d’un majordome obsédé de perfection.
Pour ce majordome- là, pouvait-on concilier le devoir et l’amour ? Non, bien sûr...
Il faut se murer dans le silence.
Surtout éviter le moindre signe de son attirance pour Miss Kenton au risque de perturber la bonne ordonnance du train de maison.
Son unique but dans la vie était d’atteindre le sommet de la perfection dans l’exercice de ses fonctions .
C’était encore une ambition déclarée chez les majordomes de la Vieille Angleterre : la poursuite de l’excellence.
Les rivalités étaient grandes dans les demeures les plus cossues et Stevens avait mis toute son énergie pour acquérir le statut de majordome sans égal .
On se demande : Stevens était-il amoureux de Miss Kenton ?
Tout le talent de Anthony HOPKINS est là pour entretenir le doute, tant son attitude tout au long du film semble prouver le contraire. Et pourtant… Il arrive à donner à son indifférence une sorte d’invraisemblance à peine visible, que l’on s’invente peut-être, pour rendre son personnage plus humain, juste romantique !
Il est tout sauf romantique, Stevens. Il résiste, jusqu’à la fin, aux appels muets de l’amoureuse transie. Il répond à ses lettres sur le même ton poli , ils se mentent tous les deux, ils résistent à s’avouer vaincus, la distance n’y fait rien, ils vont résister jusqu’à leur ultime rencontre, celle de la dernière chance , qui va nous faire croire qu’enfin... mais non, ils n’échangent que des badineries, sous la pluie, jusqu’à l’heure du bus qui l’éloigne encore de lui. Le dernier plan, sur leurs mains qui s’étreignent, nous serre le coeur. C’est donc fini entre Stevens et Miss Kenton, le cinéma en a décidé ainsi.
Etrange coïncidence, Anthony Hopkins et Emma Thompson vont devoir se dire adieu après leurs personnages... Car ils viennent de tourner leur dernière séquence ensemble.
Suivons-les hors du cercle magique dans leur retour vers la vraie vie.
Ils sont debout face à face et leur dialogue presque inaudible semble le prolongement de leur dernière scène.
- Well, Anthony, merci... j’ai été heureuse de notre participation à ce film ; je crois que ce sera une réussite.
- Anthony Hopkins, immobile, la regarde intensément.
- Vous partez ?
- Oui, j’ai un train pour Londres dans une heure.
- Emma...
- Oui Tony ?
Un silence qui s’éternise. Il la fixe puis lance brutalement :
- Je vous aime.
Emma reste figée.
- Pardon ?
- Vous devez le savoir. Je vous ai aimée comme un fou depuis le début du film .
Encore un silence assourdissant. Les yeux d’Emma se remplissent de larmes.
- Je ne m’en suis vraiment pas aperçue...
- Ce n’était pas souhaitable pour le tournage... Maintenant que le film est fini...
- Elle lui tourne le dos, défaite.
- Maintenant c’est trop tard, Anthony. La vie continue.
- Elle s’éloigne et il reste là, les mains vides, démasqué. »
Fin du dialogue imaginaire.
Miss Comédie
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