ROMEO ET JULIETTE, de Franco ZEFFIRELLI
ZOOM SUR UNE SCENE CULTE
La scène du balcon
C’est plus qu’une scène culte, c’est un monument dédié à l’amour que l’on visite encore, des cars entiers de touristes déversent les fidèles dans cette ruelle tranquille de Vérone, ils pénètrent dans la petite cour, émus, lèvent la tête vers ce balcon où s’est échangé le fameux baiser - mais…
Non, tout cela est du rêve, il n’y a jamais eu de Romeo ni de Juliette dans cette maison, Shakespeare a tout inventé ! D’ailleurs le balcon du film de Zéffirelli n’a rien à voir avec ce petit balcon que les Véronais ont choisi d’immortaliser.
La demeure des Capulet est une forteresse et le balcon de Juliette domine une haute muraille de pierres cachée derrière un bosquet d’arbres touffus.
Non, rien n’est vrai dans cette histoire d’amour.
Mais ces deux adolescents se sont incarnés dans nos esprits comme des créatures d’un autre siècle.
Donc Romeo a bien escaladé ce mur de pierre pour arriver au balcon où Juliette se morfondait d’amour en pensant à lui, et ils se sont rejoints dans un élan passionné. Elan décuplé par l’interdit, l’urgence, le risque, grands stimulateurs du désir.
Olivia Hussey et Leonard Whiting sont évidemment d’une beauté archangélique, surtout elle, et leurs épanchements, aussi tumultueux qu’ils soient, paraissent étonnamment chastes.
Ils se sont rencontrés au sortir de l’enfance dans un bal donné par la Maison Capulet, où s’est introduit Romeo l’indésirable fils des Montaigu. Leurs regards se sont croisés, quelques mots échangés et le premier baiser a suivi tout de suite, déjà incendiaire.
« Qui est cette merveilleuse ? demande Romeo à une servante.
Qui est ce charmant jeune homme ? demande Juliette à sa nourrice.
Ils apprennent alors que leur amour est interdit.
D’où, cette scène du balcon, dangereuse, affolante.
On entend la voix de la nourrice appelant Juliette mais Romeo n’arrive pas à se décider. Plusieurs fois ils se séparent, pour se ruer à nouveau l’un vers l’autre.
Ils ne savent pas encore que leurs jours sont comptés.
Demain, sur la place de Vérone, les Capulet et les Montaigu vont s’affronter, comme n’importe quelle bande de jeunes, comme dansWestside story, mais avec une haine ancestrale qui va les pousser au crime.
Zeffirelli a choisi ses acteurs principaux parmi les plus beaux specimens du théâtre anglais. Mercutio (John McEnery) l’ami de Romeo, Tybald (Michael York), le cousin de Juliette, un Capulet pur et dur. Ils ont tous l’épée au côté et dégainent à la moindre bravade. Ca commence avec quelques plaisanteries, provocations qui virent vite à l’affront, et Mercutio est la première victime, sous les coups de Tybald. Fou de rage Romeo va le venger pour son malheur.
Cette scène est magnifiquement filmée, haletante. C’est le point culminant du film.
La belle histoire bascule alors dans l’horreur.
Les larmes effacent les baisers. Les deux amants deviennent ennemis malgré eux.
Tout le monde connaît cette histoire, bien sûr.
Jusqu’à la fin cruelle, stupide malentendu, le grain de sable qui enraye le stratagème salvateur. L’intrigue est celle d’un polar, avec sa chûte fatale.
UN FILM SUBLIME
Sorti en 1968, c'est l’un des meilleurs films de Franco Zeffirelli, et son plus grand succès.
Tourné en Italie et en décors naturels à Vérone, dont le réalisateur a fait reconstruire la place principale où se déroule le combat, les décors sont d’une telle opulence qu’on lui a reproché de minimiser le texte… Quelle erreur ! Une si belle langue ne pouvait être mieux servie que par des images grandioses.
Et l’on retrouve dans les dialogues certains accents shakespeariens au lyrisme suranné mais tellement émouvant.
Et la musique ? On pourrait s’attendre à Monteverdi, mais c’est Nino Rota qui plonge le film dans une atmosphère intemporelle.
ZEFFIRELLI, L’ORPHELIN
Enfant de l’amour, peut-être, le petit Franco fut confié à l’Assistance par sa mère sous le nom de Zeffiretti, un aria de Mozart qu’elle chérissait.
Mais par une erreur de calligraphie, son nom devint Zeffirelli pour la vie. Comme toujours, son destin est marqué par des rencontres décisives, celle d’une Anglaise vivant à Florence qui l’adopte, l’instruit et lui inculque l’amour de Shakespeare.
Ensuite, c’est Luchino Visconti qui l’engage comme assistant et lui communique son goût du raffinement dans des images somptueuses en toiles de fond de tous ses films. Zeffirelli devient son disciple, ils ont les mêmes goûts, ils s’aiment.
Mais… les histoires d’amour finissent mal, en général et la jalousie s’installe lorsque Zeffirelli s’affirme comme un rival dangereux. C’est la fin d’une relation castratrice.
C’est dabord l’opéra qui l’attire puis irrésistiblement, Shakespeare. Il monte La Mégère apprivoisée avec Elisabeth Taylor et Richard Burton – gros succès, (qui s’en souvient encore ?
Et puis, en 1968, ce Romeo et Juliette d’anthologie qui lui vaudra deux Oscars. Il a alors 45 ans.
Sur la demande du pape Paul Vi, il tourne une vie de Jésus, Jésus de Nazareth, pour la télévision. Dix ans plus tard il s’oppose violemment à Martin Scorsese qui sort La Dernière Tentation du Christ … Deux artistes italiens, deux visions différentes de la Foi chrétienne.
Son dernier film, Callas forever, avec Fanny Ardant, beau succès pour l’actrice, était sans doute un rappel émouvant pour lui qui avait dirigé la diva dans un opéra à la Scala de Milan… C’était en 2002.
. Et puis plus rien. Mais le temps a passé, il a aujourd’hui 93 ans.
La scène du balcon est sur YouTube, et le film, incontournable, dans toutes les FNAC ;
Miss Comédie