ARMSTRONG:KUBRICK EN ORBITE
Conversation imaginaire
Mercredi 17 octobre 2018, jour de la sortie en France du film de Damien Chazelle : FIRST MAN LE PREMIER HOMME SUR LA LUNE.
L’immense salle du cinéma Magellan déverse sur les Champs-Elysées les spectateurs revenus d’une autre planète.
Neil Armstrong vient de se réincarner devant cette génération qui avait oublié ce jour pas si lointain où ils l’ont vu, incrédules, faire ces quelques pas hésitants sur le sol lunaire.
Neil Armstrong vient de revivre en raccourci ces moments incroyables qui ont fait de sa vie de pilote d’essai un destin de héros universel.
Il a pleuré devant des images qu’il croyait enfouies dans le passé, il a retrouvé les doutes et les angoisses de ses proches, il a reconnu les splendeurs et les terreurs de l’espace, le fracas puis le silence de sa trajectoire vers un autre monde.
Il est là, tremblant, encore blotti dans son fauteuil au premier rang de cette salle qui s’obscurcit peu à peu.
Il sursaute. Derrière lui, une main vient se poser sur son épaule.
« Hello first man, happy I presume ?
Neil Armstrong se retourne et éclate de rire en reconnaissant Stanley Kubrick, son camarade d’exploration spatiale, son complice.
« Stanley ! Quelle émotion...
Ils échangent une accolade et marchent de concert vers la sortie.
« Magnifique, ton odyssée de l’espace !
« Oui je suis très ému... Mais ils ont mis le temps ! presque cinquante ans pour se souvenir que la lune a été visitée un jour de juillet 1969 par un astronaute américain !
« Elle l’avait été avant toi par mon héros le Dr Floyd dans mon Odyssée de l’Espace !
« Hé ho, Stanley, d’accord ton héros était très convaincant et ton film prémonitoire, mais tu ne vas pas comparer.
Kubrick lui donne un coup d’épaule amical.
« Its a joke ! Mais j’avais prévu, un an avant, ton irruption sur la Lune ! La NASA m’a piqué l’idée, c’est clair !
L’astronaute n’est pas amateur de débat, il connait le côté caustique du réalisateur de génie.
D’ailleurs ils arrivent sur le trottoir envahi de spectateurs qui commentent le film, encore sous le choc de cette reconstitution plus vraie que nature.
Les deux hommes se mêlent à la foule dans la douceur de cette nuit d’automne qui a tout d’une nuit estivale. Bizarrement, personne ne semble prêter attention à la clarté lunaire qui illumine leur groupe, comme si ce soir la lune n’avait de présence réelle que dans le film qu’ils venaient de voir.
« Kennedy devrait être avec nous ce soir... dit pensivement Armstrong.
« Pourquoi ?
« Tu te souviens qu’il avait juré, en 1961, que l’homme américain poserait le pied sur la lune avant l’homme russe !
« Oui, c’est vrai. Ils l’ont assassiné bien trop tôt. Tu dois être fier d’être celui qui a accompli son voeu. Tu devrais être décoré, à présent, comme un héros national !
Les groupes de spectateurs se dispersent peu à peu et les deux hommes marchent maintenant lentement vers l’Arc de Triomphe.
Kubrick est soucieux :
« Je ne comprends pas bien le sens caché d’une scène du film.
« Ah oui, laquelle ?
« Well, si je me souviens bien, lorsque tu as posé le pied sur la lune, la première chose que tu as faite, c’est de planter le drapeau américain, ça le monde entier l’a vu, c’était la victoire de l’Amérique, il fallait le montrer, non ? Et tu l’avais montré, non ?
« Oui, oui, j’ai tout de suite planté le drapeau américain. C’est vrai, dans le film, on me voit partir dans un coin et m’absorber dans quelque tâche indéfinie...
« Et c’était quoi, cette tâche ?
« Ben, disons que j’avais envie de pisser, voilà. Je me suis écarté pour pisser tranquillement.
Ils éclatent de rire tous les deux.
« Evidemment, tu ne pouvais pas pisser sur le drapeau américain !
« Mais tout ça nous dit pas pourquoi le drapeau a disparu du film !
« Tu sais, nous les réalisateurs avons souvent des motivations secrètes. Damien Chazelle avait une idée derrière la tête. Mais laquelle ?
« Il est pourtant américain... Mais aussi français, tout en étant citoyen américain. Bref, ne cherchons pas à savoir.
« Si, si, il faut savoir ! Et moi, Kubrick j’aurais eu la même idée que lui, à savoir que cette victoire est universelle, c’est celle de l’Homme sur l’Espace. C’est la morale du film.
Neil Armstrong s’insurge :
« OK, OK... A quoi sert cette morale, puisque l’homme n’a pas suivi la voie que j’avais ouverte. La lune est restée une planète hostile, comme Vénus, comme Jupiter... et même comme Mars . Nous restons sur terre, c’est inéluctable.
« La conquête de l’espace n’est pas à notre portée. Tu as réussi un défi inhumain, Niel.Toi seul a pu connaître les sensations extrêmes que ne connaîtra jamais le commun des mortels. C’est la loi du cosmos.
La lune trône à présent, ronde et incandescente, au-dessus de l’Arc de Triomphe.
Tous deux s’arrêtent devant cette vision symbolique.
Stanley Kubrick allume un cigare avant de reprendre sa marche en solitaire. Il lance une dernière réplique à Neil Amstrong en guise d’adieu :
« L’homme n’a que faire de la morale ! Tu as créé un rêve, Neil ! c’est tout ce dont l’homme a besoin jusqu’à la fin des temps !
Miss Comédie