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FRANCIS SCOTT FITZGERALD COURTISE GROUCHO MARX

Publié le par Miss Comédie

 

 

  la-soupe-au-canard.jpgLincoln center     150 W65th St  New York City  un jour d’octobre 1937, une rétrospective des films des Marx Brothers attire chaque jour un public hétéroclite.

Aujourd’hui on  projette  La Soupe au canard, sorti quatre ans plus tôt, considéré comme l’un des meilleurs de leur filmographie.

 

 

   AVT_Francis-Scott-Fitzgerald_8118.jpgDans la salle, un jeune homme très élégant, assis au dernier rang, prend des notes.  Il a vu entrer Groucho et deux de ses frères, qui ont pris place dans le carré VIP,  au premier rang.

 

Les rires ont fusé tout au long de la projection.  Non, le film n’a pas vieilli, au contraire, les gags sont toujours aussi percutants, les effets comiques de Groucho, Harpo et Chico font mouche à tous les coups.  

A la fin de la projection,  les trois frères sont immédiatement entourés d’un groupe de fans en quête d’autographes ou de bons mots.   Au dernier rang, l’homme attend le moment propice pour s’approcher à son tour.

 

 « Hello Mr Marx, can I talk to you ?groucho

Groucho se retourne, il croyait en avoir fini.

« Encore !  Je n’y suis plus pour personne ! – dit-il avec humeur, avant de marquer un temps d’arrêt.  Il croit reconnaître l’homme qui s’adresse à lui et qui se présente :

«  Excuse-me, my name is Francis Scott Fitzgerald.

 

Charmé, Groucho s’incline.

«  Je salue l’un de nos plus talentueux scénaristes…

Chico intervient :

« … et l’auteur du génial   Tendre est la Nuit !

Harpo sort une lyre de son manteau et se met à en jouer.

 

 

« Accepteriez-vous de prendre un verre avec moi au bar ?

«  J’en serais très honoré, Mr. Fitzgerald, let’s go !

 

 

 

Ils s’installent dans le lounge feutré qui jouxte la salle de cinéma et commandent une bouteille de scotch.  Groucho allume son dix-huitième cigare et Harpo,  armé de ses grands ciseaux, entreprend de découper le velours de son fauteuil.

Après la première gorgée amicale, Fitzgerald entre dans le vif du sujet.

« Mr. Marx,  en revoyant La Soupe au Canard, je viens de confirmer une opinion que j’avais déjà sur votre talent.

 

  Groucho-MarxGroucho roule des yeux réjouis.

«  Il faut que vous sachiez que je suis en train d’écrire un nouveau roman dont le titre sera « Le Dernier Nabab ».

« Excellent !  Excellent !  approuve  Groucho.

« Ce roman, un ami producteur veut en faire un film.

«  Il  a raison !  Good idea, Mr Fitzgerald !  

Chico  empoigne Fitzgerald par le revers de son veston et  claironne  :

« Il vous faut un nabab !

 

Fitzgerald se dégage, il n’apprécie pas mais passe outre.

« Exactement.  Et je viens de le trouver.

Harpo se rapproche et tend l’oreille, ainsi que Chico et Groucho qui simulent l’indifférence.

L’écrivain rectifie la tenue de son veston et prend son temps pour annoncer :

« Cher Groucho, j’aimerais que vous soyez mon dernier nabab.

 

Groucho tire une bouffée de son cigare et fait la moue.

« Je préfèrerais être le premier nabab.

Fitzgerald fait mine de trouver ça très drôle. 

« Bien sûr, bien sûr, vous serez le premier et le dernier, Mr Marx.


 

  harpo.jpgHarpo tire une trompette de sa poche et souffle dedans trois fois.  Chico fait la gueule.

Après une minute de silence, Groucho s’exprime.

«  Cette proposition me glorifie hautement,  Francis – je peux vous appeler Francis ? -  mais il est indispensable que je sache quel genre d’homme est ce premier nabab…

« Dernier, Mr Marx, dernier.  C’est un désir  légitime  C’est bien ce que j’allais vous exposer.  Voilà.   Monroe Stahr, le personnage en question, est producteur de cinéma.

«  Ca me va.  Je connais la question.   Est-ce qu’il fume le cigare ?

 

« Naturellement.

« Est-ce qu’il attire les jolies femmes ? C’est très important pour un producteur de cinéma.

 

Fitzgerald, un peu agacé, se contient. Il souligne cependant :

 

«Ecoutez,   ne nous noyons pas dans les détails.  L’essentiel est que cet homme  exerce son pouvoir dans la plus grande solitude.

Groucho lève un doigt.

« Mes frères seront là pour me distraire.  Marx-Bros-marx-brothers-23446521-443-379.jpg

Fitzgerald se raidit.

« Je regrette, Groucho,  vos frères n’ont pas de rôles dans ce film.  Mais il vous est bien arrivé de tourner seul, si j’ai bonne mémoire ?

« Oui, c’est vrai, mais je ne veux pas recommencer, sans eux je m’ennuie copieusement sur un plateau et je suis mauvais.

 

  Fitzgerald se rapproche de Groucho et se fait insistant :

«  Ce que vous apporterez au personnage, vous, Groucho, c’est une sorte de sentiment d’invulnérabilité… on ne croira pas une minute que vous puissiez vous tromper, vous êtes le super Boss des studios, tout le monde vous respecte !

«  Exactement.  Vous me connaissez bien.

« … mais vous accumulez bourde sur bourde, votre empire va s’écrouler !

«  Là, vous vous trompez lourdement !

«  Mon héros est tout-puissant.  Pourtant, il lui arrive pas mal d’ennuis.

« Quel genre d’ennuis, par exemple ?

« Et bien, il mise sur un scénario qui fera un flop.

«  Je m’arrangerai pour que ça soit un succès.

 

Fitzgerald tape sur la table.

«  Dans mon livre, c’est un flop, et ça DOIT  être un flop, vous comprenez ?

« Mais est-ce qu’il est amoureux ?

«  Oui, justement, mais sa fiancée le trompe.

«  Ah,  ça ne va pas du tout !  Un nabab ne peut pas être cocu voyons !

Il faudra modifier ce passage-là.

 

Fitzgerald sort une pochette de soie et s’éponge le front.  Il ne croyait pas que ce serait si difficile.   Mais  l’entretien tourne à la catastrophe :  Harpo a retiré la doublure du fauteuil et en drape Fitzgerald qui   le repousse brutalement. 

Chico,  vexé de n’avoir pas de rôle dans le film, vide la bouteille de scotch dans les verres qui débordent.

 

Fitzgerald  contemple  maintenant   le fauteuil dont Harpo s’acharne à extraire le rembourrage pour en remplir les poches de Groucho. s aec04 - cm - harpo marx - 1 - 64

Dans un dernier effort pour recentrer le débat, il précise d’une voix éteinte :

 

« Bref c’est un homme qui … un homme que…   le déclin de l’empire du cinéma  Hollywoodien…  (il a un sanglot)  la déroute d’un magnat qui veut ignorer sa perte… (autre sanglot)  et qui continue à vouloir désosser ce pauvre fauteuil mais vous ne pouvez pas l’arrêter de faire ça ?

  


 

 

Les deux frères trouvent ça très drôle mais Fitzgerald arrête les frais et se lève.

 

«  Cher Groucho Marx, je soupçonne que toutes les conditions ne sont pas requises pour conclure un accord et…

« Mais comment !  Ce Monroe me ressemble comme un quatrième frère !

Je veux bien renoncer à avoir comme partenaires Chico etHarpo ici présents, bien que bourrés de talent, mais si vous n’en voulez pas, je n’insiste pas.

Donc, maintenant, nous pouvons parler sérieusement, cher Francis ! 

«  C’est à dire ?

« Et bien, passons aux choses  sérieuses  !

C’est à dire ?

Groucho se penche vers lui et sur un ton de conspirateur :

«   Alors combien ? dollars


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LINO VENTURA ET JEAN LEFEBVRE, PAUSE CAFÉ

Publié le par Miss Comédie

 

 

 

 

10.jpg29 avril  1963.   Ruel-Malmaison.  Dans une maison bourgeoise du XIXe louée par la Gaumont, Georges Lautner tourne une scène des  Tontons Flingueurs. 
Changement de décor dans une très longue scène qui se déroule dans le salon et dans la cuisine.   Les acteurs quittent le plateau, ils ont une heure de pause.
La nuit tombe. Dehors, sur la place du village, un bar reste ouvert la nuit pour les besoins du tournage. Deux silhouettes  sortent  en titubant de la maison et se dirigent vers le bar.

 

LINO seulLino Ventura et Jean Lefebvre s’installent côte à côte sur la banquette en moleskine rapée, près  du bar.  Ils sont seuls.  Josette, la patronne, a mis un disque de Cole Porter, « Let’s do It », un sommet de mélancolie.

 

A voir les visages des deux hommes, on les croirait de retour de l’enterrement de leur meilleur ami.  Pourtant, ils viennent de tourner l’une des scènes les plus drôles du film, et même du cinéma français.

Et ils en tiennent une bonne.

Leurs partenaires sont restés dans la loge de Francis Blanche à taper le carton, c’est une manie qui leur coûte cher mais c’est leur affaire.

 

 «  Cette petite marche m’a fait du bien,  articule Lino Ventura.

«  Le froid, ça dessoûle, ajoute Jean Lefebvre, l’œil en berne.  images.jpg

 

Josette fait son apparition derrière le bar puis, d’une démarche chaloupée, elle va vers eux.  Josette est une belle fille brune, toute en rondeurs.

 

« Qu’est-ce que je vous sers ?

Ensemble :  « Un scotch. »

« Ca fait deux scotches ?

« Ca se peut, dit Lino.

«   Y aura peut-être une suite, ajoute Jean.

«  Sec ou avec glaçons ?

«  SECS !  hurlent-ils en chœur.

«  Et  attention !  Lino élève la voix et fixe Josette d’un œil menaçant - –

on veut pas de la bibine pour flamber les  homards, tu piges ? On veut du brutal.

 Josette rigole en se balançant d’un pied sur l’autre.

«  Ces messieurs sont connaisseurs !  Chez moi, y a les deux : la bibine et le hors  d’âge. Donc, deux hors d’âge pour les jeunes, ça marche !

 

Elle disparaît derrière le bar.  Les deux compères  allument une cigarette  et commentent la scène qu’ils viennent de tourner.

 

. «  Moi je vais te dire, affirme Lino posément, cette scène à la cuisine, elle fera rire personne.

«  Oh, tu crois ?

«  Je sais pas, je doute ! Il faut voir !  On se retrouve dans cette cuisine, le Raoul et moi, avec nos sbires, on devrait s’écharper, et au lieu de ça on se bourre la gueule et on se rappelle les vieux souvenirs !  C’est invraisemblable, moi je te le dis.

«  C’est pour voir nos tronches en gros plan !

«  Ah ça, les gros plans, on y a tous eu droit, pas de jaloux !  Y avait intérêt à jouer juste !

«  Ca pour jouer juste !  C’est qui, qui a remplacé le jus de pomme par du vitriol ?

«  J’sais pas mais personne  n’a fait la fine bouche !

 

Ils s’esclaffent ensemble.

« … et Lautner, tu crois qu’il s’en est rendu compte ?

«  Forcément !  C’était gros comme le nez au milieu de la figure  qu’on s' envoyait de la gnole  !  

« On pouvait plus parler … enfin, moi !  sanglote  lefebvre.

  BLIER.jpg Entre nous, Blier il avait  la réplique qui porte , un cadeau !  et il l’a bousillée comme un malpropre.

«  Normal, y a eu dix prises de faites, il était plus dans l’humeur !

 

Lino Ventura tape du poing sur la table .

«  Tu dis ça parce que c’était ton patron dans le film, mais une réplique d’Audiard, ça s’bousille pas !  

«  Comment tu l’aurais dit, toi, « c’est du brutal «  ?

«  Mieux que ça !  tonne Lino qui commence à s’énerver -  alors, Josette, elle dort ?

Ils posent les mains à plat sur la table,   observant Josette qui s’active derrière le bar.

 

« Elle te plait, Jeannot ?

«  Trop vieille pour moi, répond Jean Lefebvre laconique.

«  Ah d’accord ! ironise Lino, T’as quel âge ?

« Le même que toi, pardi, quarante-quatre.

«  Tu rigoles, on  dirait mon père !

Jean Lefebvre se soulève et surplombe Lino avec une molle agressivité lorsque Josette arrive avec les verres.

 

«  Voilà, mes loulous. Vous allez boire ce que vous allez boire ! Je suis allée la chercher dans la Réserve !

« Voyons voir ça !  dit Lino.

Ils hument le breuvage et ensemble, vident leur verre cul sec.  Claquent la langue.  Se regardent en hôchant la tête.

« Ca fouette !  fait Lino.

«  T’as raison… Maintenant qu’on a goûté, Josette, on veut bien  un autre verre !

«  C’est de la bonne soupe, non ? dit Josette.

« C’est correct, concède Lino,  allez, on la double !

 

Josette repart derrière le bar et s’accoude au bastingage, les yeux dans le vague.

«  Moi, cette musique, ça me fout le blues, les gars.  Y en a pas un qui me ferait danser ?

 

Lino  éructe  un rire qui ressemble à un sanglot  tandis que Jean arbore une expression  interrogative, sa spécialité.

 

Résignée Josette verse deux autres verres de whisky  et les leur apporte.

Ils  posent sur elle un regard soudain concerné.

«  Tu devrais t’épiler les sourcils, suggère Lino.

Jean  Lefebvre ne voit pas quoi améliorer, il ne dit rien.

 

«  S’il n’y a que ça qui te chiffonne,  on peut s’arranger ? dit Josette en s’asseyant sur le coin de la table.

 

La porte s’ouvre violemment et entre Marcel, le mari de Josette.

 

«  Salut les gars !  -  il s’avance vers Josette  qui a rectifié la position,  et lui met  une claque sur les fesses puis la prend par le bras – tu leur fais du gringue ? Je vais t’apprendre !

 

Elle se dégage et le regarde langoureusement.

« Fais-moi danser, Marcel !

Il l’enlace et ils se mettent à danser sur la musique de Cole Porter, un slow très lent, très triste.

Lino Ventura et Jean Lefebvre les contemplent sans mot  dire, buvant de temps en temps une gorgée de scotch.

 

« On se croirait dans un film de Carné,  dit  Lino.

Jean Lefebvre est très entamé.  Il ne répond pas mais il acquiesce les yeux fermés.

Au bout d’une minute il corrige, le doigt en l’air :

«  Chez Carné  y aurait de l’accordéon !

  Puis il s’affale sur la table et commence à s’assoupir..

Lino le secoue :

«    Allez ! Tu sais qu’on a encore une scène à tourner !   Avec les jeunes !

Quand on les fout dehors !  Va falloir de l’énergie, Jeannot !

 

La musique s’est arrêtée.  Les deux époux se séparent et vont vers l’arrière cuisine où on les entend se chamailler.

Et là-dessus, la porte s’ouvre sur l’assistant de Lautner qui lance :

«  On tourne dans quinze minutes !  On vous attend sur le plateau !

Et referme la porte sans autre commentaire.

Lino se lève et contemple son pote aux abonnés absents : :

«  On aurait dû te donner le rôle de Louis le Mexicain !   Moribond ou ivre mort, à l’écran on n’y voit que du feu ! 

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