DOGORA, OUVRONS LES YEUX
Vous revenez souvent du cinéma déçu par un film médiocre. Au moins il ne vous laissera aucun souvenir.
Restez chez vous et visionnez le DVD d’un film qui vous poursuivra longtemps.
Ce n’est pas un film comme les autres.
Il est courant de faire un long-métrage qui raconte une histoire avec un début, un milieu et une fin, classé comédie, drame ou film de genre.
Dans DOGORA, pas d’intrigue, pas dialogues. Juste une musique, des voix d’enfants qui donnent le ton, joyeux ou sombre, de la vie des gens là-bas.
C’est comme un opéra mais il n’y a pas de diva, c’est le pays tout entier qui chante. Les paysages défilent avec les personnages qui les animent, ce sont de vraies scènes de film.
On voit vivre ce monde si lointain, si différent, si beau.
Une petite fille revient de l’école avec son cartable, elle marche sur la berge d’un lac, les pieds dans l’eau, en faisant jaillir des gerbes d’eau claire, elle rit.
On voit surtout des enfants, aux visages sublimes, des yeux immenses qui ne connaissent pas les mystères d’Internet... pas encore. On en voit un, tout petit, filmé pendant une longue minute, immobile, le regard perdu dans on ne sait quel univers inconnu. Le temps s’est arrêté.
Un chien traverse le champ, se retourne. C’est un figurant qui s’ignore.
On longe la rive d’un fleuve au crépuscule. Assis sur la berge, ils sont trois à observer, immobiles, le reflet du couchant sur l’eau calme. Ce ne sont pas des acteurs, la caméra les a surpris dans leur méditation.
Ils sont tous à vélo, les Cambodgiens, ils vont au travail en groupes serrés, le visage sérieux ou hilare, un enfant sur le porte-bagage les cheveux au vent. Vont-ils tous travailler aux champs ? Ou à l’usine ?
Il y a des fêtes qui ressemblent à celles de notre enfance, guirlandes, ballons, cris perçants, pétards... A l’approche de la caméra on se fige un peu, les filles font les coquettes, elles sont belles à tomber, surtout une, onze-douze ans, grand chapeau de paille, elle fait celle qui n’a rien vu..
Un immense atelier éclairé aux néons blancs. A perte de vue, des rangées de tables supportant des machines à coudre. Des jeunes filles en blouses blanches portant un masque blanc, les yeux rivés sur la pièce à piquer. Les machines font un vacarme assourdissant.
Elles ne lèvent pas les yeux de leur travail. On devine qu’elles sont toutes belles derrière leur masque.
Ils dorment à même le sol, à l’ombre, ils sont fatigués, le travail aux champs commence tôt, à l’aube. Leur sommeil est paisible, ils sont allongés ensemble, hommes, femmes, enfants. On sent la chaleur, torride.
Il y a les images qui font mal , ce n’est pas un film de propagande.
Il y a une manière de filmer la misère qui ne répugne pas mais qui émeut.
Comment ne pas entrer à fond dans cet univers, pas besoin de paroles vaines, on a compris, tout est là et c’est aussi beau, émouvant ou poignant qu’une saga de fiction.
J’ai vu DOGORA maintes fois et chaque vision me remplit de joie et de cette espèce de sérénité qui se dégage de ce peuple. Ils aiment leur vie de labeur, ils profitent de chaque instant de musique et de détente. Ils savent qu’autour d’eux la misère guette, ils n’ont pas de révolte, le travail est leur seule règle de vie.
Et cette musique, comme un choeur de spiritual profane. L’idée géniale d’avoir fait de cet opéra d’Etienne Perruchon le ressort du film.
Inclassable, il fallait ranger DOGORA dans une catégorie, et le plus simple était de le classer comme documentaire.
C’était passer à côté du film. Pour moi, c’est une très belle histoire, celle d’un homme qui a ouvert les yeux sur le Cambodge et qui, émerveillé, nous incite à faire de même.
Miss Comédie
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