CONVERSATON IMAGINAIRE
Rome, Chapelle Sixtine, 1481
Sandro Botticelli se repose en contemplant, au-dessus de l’autel l’immense croix de bois sculpté qui domine le chœur. C’est une lourde tâche que vient de lui confier le pape Sixte IV, celle de reprendre la décoration du plafond de la chapelle. Il a Botticelli a alors trente six ans et une belle notoriété mais l’énormité du travail qui l’attend l’envahit de doute.
Perdu dans sa méditation, il n’entend pas Léonard de Vinci qui s’approche doucement, les yeux levés vers la fresque que son ami vient de commencer. Il passe sous les échafaudages, longe la table à tréteaux où sont étalées les multiples esquilles du Châtiment de Core, l’une des trois fresques commandée par le pape Sixte Ier à Botticelli.
« Déjà du beau travail, murmure-t-il pour lui-même.
Botticelli se retourne et va vers lui.
« C’est une épreuve de force… Mais je ne veux pas décevoir le saint Père, je dois faire vite et bien.
Ils s’assoient tous les deux sur un banc dans un rayon de soleil poudreux qui s’infiltre par l’un des vitraux.
«Ce plafond en a vu de toutes les couleurs… Tu viens après Le Perugin, et la rumeur veut que Rosselli soit sur les rangs pour prendre ta suite…
« Je sais, je sais. Je ne prétend pas faire œuvre éternelle. J’ai en tête d’autres projets, plus accessibles aux regards !- dit-il d’un ton malicieux – et ils éclatent de rire.
« Ah c’est vrai qu’il faut se tordre le cou pour admirer votre travail ! plaisante Léonard de Vinci - Mais que prépares-tu ?
Botticelli ferme les yeux.
« J’ai rencontré une jeune fille si belle, si lumineuse, si pure, que je veux en faire le portrait.
Léonard de Vinci le prend par l’épaule.
« Toi aussi ? J’ai moi-même l’idée d’un portrait de femme que m’a inspiré une dame de mon entourage.
Ils se regardent un moment en silence. Puis Botticelli se confie :
« Je ne veux pas faire un portrait académique, je veux faire une allégorie… enfin, vois-tu, je veux que cette beauté suggère un mythe, une légende universelle… Mon modèle restera anonyme.
«Tu as là un sujet de travail passionnant ! A quelle allégorie penses-tu pour ton portrait ?
Botticelli hésite un instant.
« J’ai confiance en toi, Léo. Je te confie cela en grand secret.
Puis-je compter sur ta discrétion ?
« Sois certain que je ne trahirai pas ta confiance, Sandro.
« Leo, mon tableau sera celui de la naissance de Vénus, une jeune fille aux cheveux d’or flottant sur la mer dans une conque de cristal.
Leonard de Vinci prend le temps de visualiser, les yeux fermés, la révélation de son ami.
Puis il se lève :« Magnifique ! Ton idée est magnifique. Je souhaite que tu en finisses au plus vite avec tes trois fresques pour venir admirer la réalisation de ce rêve.
Botticelli se lève à son tour et ils s’étreignent.
« Mais toi, Leo, dis-moi quel est ton modèle idéal ?
Leonard de Vinci sourit :
« Mon portrait à moi ne sera pas une allégorie, mais j’aimerais qu’il reste le symbole universel du mystère de la femme.
« Comment feras-tu ?
Leonard de Vinci soupire.
« C’est peut-être un pari fou, mais je veux mettre tout le mystère de la femme dans un sourire.
« Un sourire ?
« Oui, un certain sourire, plein de retenue, à peine esquissé, dans un visage lisse, celui d’une femme au maintien faussement sage, une femme qui fera poser la question : est-ce une bourgeoise ? Une courtisane, une princesse ?
« Cette femme, tu la connais donc ?
« Oui, bien sûr. Mais je garde son nom secret. Elle sera connue du monde entier par le nom de mon tableau : la Gioconda.""
Ce fut ma rencontre imaginaire entre ces deux prodiges de la Renaissance italienne.
Revenons maintenant à la réalité pour se rafraîchir la mémoire :
Les fresques de Botticelli furent recouvertes en 1508 par celles de Michel-Ange avec ses scènes de La Genèse, qui ornent encore aujourd’hui le plafond de la chapelle Sixtine.
Botticelli acheva La Naissance de Vénus en 1485 et ce tableau restera son œuvre majeure, conservée au musée des Offices à Florence.
Leonard de Vinci, lui, acheva La Joconde en 1506. et son vœu fut exaucé : le sourire de Mona Lisa reste l’énigmatique symbole du mystère de la femme.
Conservée au musée du Louvre à Paris, la Joconde est l’œuvre d’art la plus visitée au monde.
.
Botticelli (1445-1510)
Leonard de Vinci (1452-1519)
Michel Ange (1475-1564)
Miss Comédie