2021 LA TRAVERSEE DU DESERT
On espérait bien que cette nouvelle année serait l’année de la délivrance. Il semble bien que non. Nous n’avons pas fini de cheminer dans les sables mouvants d’un virus dont on ne sait toujours rien, sinon qu’il résiste à tous les protocoles sanitaires, à tous les couvre-feu, à tous les confinements.
Donc , difficile de commencer 2021 sur une note optimiste sans passer pour un Seguéla de la Santé.
Evitons donc le sujet et parlons d’une pandémie artistique qui réjouit le monde entier : la photo. Pas celle qui inonde nos smart phones, oubliée dès le lendemain.
Celles qui ont été les témoins d’une minute d’éternité, capturées par des artistes « historiens de l’instant », comme disait Camus des journalistes.
Rien de plus réconfortant que d’égrener ces souvenirs sur papier glacé du temps où l’on ne portait pas de masques.
PHOTO GENIE
Cap d’Antibes , février 1926
La salle de restaurant s’est vidée peu à peu.
Un couple s’attarde encore , savourant l’euphorie de ce moment entre ciel et mer.
Leur table, face à la Méditerranée, montre qu’ils ont déjà pris leur café après quelques verres d’un bordeaux peut-être millésimé.
La salle du restaurant Eden-Roc, d’une belle ordonnance et d’une élégance intemporelle, semble être le lieu de rendez-vous d’une clientèle éprise de perfection . Le couple est silencieux, ils se sont pris la main, et restent encore immobiles, les yeux dans les yeux.
Ils sont tous deux d’une élégance discrète, la femme est d’une grande beauté.
Soudain, l’homme se lève, il a un appareil photo autour du cou.
« Où vas-tu ?
« Je ne suis pas loin.
« On part déjà ?
« Non, je vais te prendre de dos.
« Oh, je t’en prie.
« C’est si beau. Je vois la pointe du cap Ferrat au loin, dans une mer qui scintille de mille feux...
« Tu n’avais qu’à te retourner pour avoir la vue !
« Impossible ! En face, j’avais ton visage, une vue imprenable !
« Je peux avoir un autre café ? Je n’ai pas envie de m’en aller.
« Moi non plus. Mais viens, j’ai rendu ce moment éternel.
Jacques-Henri LARTIGUE n’avait que huit ans lorsqu’il reçut de son père son premier appareil photographique en 1902. Ce fut le début d’une carrière ininterrompue, menée de front avec la peinture et l’écriture. Mais la photo, et elle seule, le rendit célèbre, tardivement, alors qu’il avait 69 ans.
C’est lors d’une exposition de quelques-uns de ses clichés au MoMa de New York, que le magazine Life lui consacre un portfolio. Coup du hasard, ce numéro annonce la mort du président J.F.Kennedy. Le numéro fait le tour du monde et, du jour au lendemain, Lartigue devient l’un des plus grands noms de la photographie.
Il épouse la fille d’André Messager, Madeleine dite Bibi, en 1919 et leur union, qui dura jusqu’en 1931 , fut comme en témoigne la photo ci-dessus, une longue lune de miel .
Trois femmes se partagèrent ensuite la vie de ce dilettante au coeur léger, heureux dans le luxe comme dans l’adversité, adulé des stars comme des gens de la rue et capable de fixer à jamais l’envol d’un regard ou la tristesse d’un sourire.
Il laisse quelque cent mille clichés, et la totalité de son oeuvre photographique à l’Etat par une donation de son vivant en 1979.
Lartigue est mort à 92 ans à Nice, sereinement, comme il avait vécu. C’était un homme d’une légèreté exemplaire, ce qui évite bien des désillusions.
Miss Comédie