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ALDOUS HUXLEY VISITE HOUELLEBECQ

Publié le par Miss Comédie


 

houellebecq_3.jpgMichel HOUELLEBECQ  fume une cigarette, appuyé contre un rocher sur l’une des innombrables plages qui entourent le village de San José.

Il a choisi de vivre en solitaire dans le Parc naturel de Cabo de Gata en Andalousie, loin des curiosités malsaines et du harcèlement médiatique.

 

Il rêve.  Il repasse son œuvre en mémoire et soupire.  J’ai dit que La

Carte et le Territoire  serait peut-être mon dernier livre.  Pourquoi j’ai dit ça ?  Je n’ai fait que la moitié du travail.  Finalement, c’est dans L’extension du Domaine de la lutte  que j’ai le mieux parlé de la détresse humaine.    Dans Les Particules Elémentaires j’effleurais le sujet, et dans Plateforme   ça se termine dans un bain de sang,  c’était too much.

Et puis, je  m’étendais trop sur le sexe.  Les gens ont cru que ma grande préoccupation était dans mon pantalon. 

Après, dans La Carte et le Territoire, j’ai laissé tomber le sexe mais le livre démarre en catalogue corporatif et finit en  polar. Je ne peux pas rester la-dessus alors que j’ai encore beaucoup à dire sur cette foutue société.

Il faut que j’écrive un grand roman, un qui mérite mieux que le GONCOURT.  Ou qui le mérite vraiment… parce que franchement, La Carte, c’est pas un chef-d’œuvre.

 

 

Plage-de-sainte-anne-bigIl regarde passer un vol groupé de cigognes, dans une formation dont chaque oiseau ne s’écarte pas d’un centimètre de son voisin.

Elles vont vers la France, grand bien leur fasse.  La France  est dans les choux, comme l’Espagne, comme toute l’Europe d’ailleurs.  Et dans quelque temps, la planète entière sera aux abois.  Plus d’argent. Que des chômeurs et des bookmakers.  Quelques nantis blottis dans leurs palais dessinés par WILMOTTE qui ont la trouille d’en sortir  de peur de se faire zigouiller par la racaille.

  Ca me rappelle ce film…Soleil  Vert  je crois, où les gens n’avaient qu’une seule liberté, celle de choisir le moment de leur mort.  On les incinérait et leurs restes servaient à fabriquer des biscuits que l’on distribuait une fois par mois aux hordes affamées.   On leur disait que ces biscuits étaient à base d’algues !

Je ne me souviens plus de la fin.  Il y avait un type  qui  découvrait le truc, mais ça finissait comment ? ?

 

Un  nuage noir insolite passa devant le soleil et la plage fut plongée dans une pénombre cendrée d’où HOUELLEBECQ vit surgir une forme humaine irradiée de lumière.   La forme humaine parla.

 

 

aldous-huxley.jpg« Ca finit mal.  Le héros meurt  sans avoir pu révéler le terrible secret à ses compatriotes Pas de happy end dans Soleil Vert.

 

HOUELLEBECQ arrive à peine à cacher son trouble.  Dites, vous êtes qui, au juste ?

La créature eut un rire rauque.  Un homme mûr, assez beau. Il a un bandeau autour de la gorge.   Il dit : « Je suis ALDOUS  HUXLEY. Vous savez, le m…

«  Oui oui, le Meilleur des Mondes.  Je suis très honoré.  Alors vous venez me voir pourquoi ?

 

« Et bien parce que vous avez posé une question qui m’interpelle, comme on dit aujourd’hui.  Vous m’avez interpelé, je suis venu combler un trou de mémoire, c’est tout.  Je repars au paradis.

 

HOUELLEBECQ tend le bras :

 

« Attendez, . J’ai un autre trou de mémoire.

« Ah oui ? 

« Yes.  Je ne me souviens plus de la fin du Meilleur des Mondes… Ca finit comment, en fait ?

« Mal. Ca finit mal.   Comme Soylent Green.  Et pourquoi, d’après vous ?

« Aucune idée.

Parce que l’humanité n’a pas d’avenir. Elle se détruit elle-même lentement mais sûrement.   Pas si lentement, d’ailleurs. Rendez-vous compte : mon histoire se situe en 2022. A l’époque, ça paraissait des années-lumière, et voilà qu’il vous reste dix ans seulement pour y arriver…

«  Si on va par là, le 1984 de Georges ORWELL  on l’a  dépassé depuis longtemps !   Nous avons déjà  les bébés éprouvette,  la lutte des classes, l’abêtissement social, la surpopulation et l’extinction  des ressources naturelles. 

«  Vous avez la matière pour écrire votre prochain livre ! Qu’est-ce que vous attendez ? Il vous faut aussi un rebelle pour chambouler tout ça, un autre   John le Sauvage comme dans mon histoire, qui rêve de renouveau !…

«  Votre Sauvage finit par se suicider, si je me  souviens bien,

c’est sympa, comme  renouveau.

« Je sais.  J’ai reçu beaucoup de lettres de protestation contre cette fin.  Mais  je ne voyais pas comment finir autrement  !!  En 1931 quand j’ai écrit le livre j’avais déjà 37 ans et je vivais l’entre-deux-guerres avec la phobie  du progrès scientifique galopant, et la crainte du retour de la guerre.  Je voyais la société comme une juxtaposition de groupes et de sous-groupes, et j’ai mis tout cela dans Le Meilleur des Monde…

 

«  Et il n’y avait pas de fin heureuse possible ?

« Je n’en ai pas trouvé.  Je voulais rester pragmatique, ne pas écrire  un conte de fées.  L’histoire était une peinture désespérante de la société, il fallait qu’elle reste désespérante jusqu’à la fin .

 

« Et voilà, vous avez prophétisé sur notre époque.  

« Donc,  votre livre finira mal. comme le mien.   Mais si vous voulez être pris au sérieux,  oubliez les descriptions détaillées des ébats érotiques de vos personnages.

« Ah bon ?

« Oui, vos lecteurs savent tous que vous n’avez pas de problème d’érection, pas la peine d’en rajouter…

 

HOUELLEBECQ tenta une pointe d’humour :

«  Juste un livre sur le  coïtus interruptus  de l’humanité ?

 

 

La phrase tomba dans le vide.   L’apparition  s’évanouissaitt lentement. La plage retrouvait peu à peu sa clarté et  l’écrivain ferma les yeux.  

Il est venu m’apporter la bonne parole.

Appelez-moi Jeanne d’Arc, sauf que je suis pas tout-à-fait puceau.

Qui  suis-je ?  Je suis Michel HOUELLEBECQ, je dois me réveiller de ma longue sieste.

Oui, écrire un nouveau livre qui poserait plein de questions et qui n’obtiendrait  aucune réponse.  Donc, qui finirait mal.

« Pourquoi  moi qui ai réussi dois-je  redouter la lapidation  ?

« Pourquoi nous oblige-t-on à avoir peur de tout  ?

« Pourquoi  nous oblige-t-on  à   être heureux   ?

Et ainsi de suite.

 

Alors qu’il marchait vers le village, escorté d’un chien hirsute qui s’attachait à ses pas,  il pensa qu’il lui fallait maintenant faire un saut à Paris pour récupérer son Mac et son portable qu’il avait volontairement oubliés.   Ensuite, il reviendrait écrire son livre ici, dans le silence.

Et un jour, dans mille ans, il reviendrait sur terre pour combler le trou de mémoire d’un écrivaillon mal dans sa peau, mais là,  il lui faudrait le mot de passe et il ne le connaitrait pas. Chien.jpg

 

 

 

 

 

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