C'était hier. A cette époque les agences fleurissaient à Lyon et s’appropriaient de sacrés morceaux de budgets, régionaux et nationaux - dont celui de la Ville de Lyon !
Mais les publicitaires lyonnais ne se prenaient pas au sérieux, c’était avant tout un métier ludique même s’il rapportait gros.
Quand je pense à la manière dont j’ai été embauchée chez RSCG-Ferton-Billière, à cet entretien où je me suis présentée, les mains dans les poches mais pas rassurée quand même, car postuler dans une agence du clan Séguéla sur la seule recommandation d’un copain du patron, c’était pas gagné.
De la pub, je ne connaissais que le devant de la caméra de Jacques Tati et encore, ce n’était pas vraiment un bon souvenir.
Bernard Billière me considérait derrière son bureau, l’œil froid. J’avais tout dit, c’est-à-dire pas grand-chose et je pensais qu’il allait me virer gentiment quand :
« Bon, si je comprends bien, vous savez jouer la comédie, mais à part ça, qu’et-ce que vous savez faire ?
Perdu pour perdu, j’ai répondu du tac au tac .
« Si vous allumez un cigare, je vous dirai que je sais danser le tango.
Il n’a pas mais il a enchaîné très sérieusement : « Vous allez faire un stage à la création. Vous êtes plus à l’aise au dessin ou à l’écriture ? »
« Euh, à l’écriture…
« Vous commencez demain.
Je n’ai pas signé de papier, je suis arrivée le lendemain et Violaine, la rédactrice, m’a fait une place tout naturellement. Elle m’a enseigné les rudiments du métier et je suis devenue petit à petit conceptrice-rédactrice en titre. Ca ne se passe plus tout à fait comme ça aujourd’hui.
Nous avons déménagé de la rue de la République, au cœur de la Presqu’ile, à la rue Sully dans le 6ème arrondissement. Nous quittions le quartier commerçant pour le quartier chic.
Chez RSG-Ferton-Bilière la journée de travail commençait comme ça :
9h, arrivée de la direction, Bernard Billière et sa compagne Antillia Dufourmantelle dans une voiture discrète, je ne me souviens plus de la marque.
Bernard s’habillait chez Barbour, Antillia chez Madeleine Vergoin, un magasin de mode très select de l’avenue Foch (un nom prédestiné dans la topographie urbaine…).
Antillia était une superbe martiniquaise au port altier et au comportement arrogant, surtout envers le petit personnel.
Elle occupait le bureau mitoyen du bureau directorial avec les fonctions de directrice de clientèle Elle tutoyait les top models qui posaient pour ses campagnes. Devernois, Le Chat, Marese étaient ses clients privilégiés.
Son ironie s’exerçait avec jubilation sur les textes de ses annonces qu’elle lisait à haute voix devant la rédactrice mortifiée.
Antillia Dufourmantelle n’était pas l’idole de l’agence. Les commerciaux la craignaient, mais les créatifs la détestaient ouvertement. Elle trouvai ainsi collé sur la porte de son bureau un panneau affichant son nom : Antillia Dufou ‘mantelle. C’était la belle écriture de notre DA.
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9h 30 : entrée en trombe de la Toyota du chef de fabrication, Marc Girard, œil goguenard, moustache et tignasse rousses,éternellement vêtu en broussard. Réactionnaire par provocation, il adorait brancher la sono sur des chants nazis, pour écouter les réactions virulentes qui jaillissaient des étages et il se tordait de rire.
Il régnait sur l’étage de la création en compagnie d’Alain Herry le chef de studio. Graphistes, maquettistes, tous les auteurs des visuels qui sortiraient de l’Agence, leur obéissaient au doigt et à l’œil. Nous, les DA et rédactrices, avions un bureau à part.
10h : arrivée d’une Cadillac blanche décapotable, intérieur cuir rouge, d’où l’on voyait descendre une santiag puis une autre, puis un jean très serré, chemise immaculée, écharpe noire ou blanche selon l’humeur, blouson en jean ou perfecto selon la saison, c’est Michel Trichelieu le directeur de la Création. Sous lui, il y a les directeurs artistiques (AD) qui lui soumettent leurs idées géniales.
« Trich » n’abuse pas de son pouvoir, d’ailleurs il participe à la gestation des campagnes, c’est lui qui a eu l’idée d’engager Serge Gainsbourg pour la marque Bayard, avec l’accroche « Un Bayard, ça vous change un homme, n’est ce pas, monsieur Gainsbourg ? »
Pur produit du star-system prôné par Séguéla, l’affiche a fait un tabac et Trichelieu enchaîna avec Birkin, un beau doublé pour Trich et pour l'agence.
Michel Trichelieu était l’âme de l’Agence avec Béatrice Patrat, la briseuse de coeurs . Deux stars de la création lyonnaise avec qui j’ai adoré travailler.
10h30 : arrivée d’une Jaguar bleu navy qui se gare dans la dernière place libre de la cour. En descend la conceptrice-rédactrice Barbara Laurent, probablement en Dorothée Bis.
La Jaguar n’était pas forcément au rendez-vous, elle servait aussi à JMO son compagnon et auteur du piston de la première heure…
La cour ne contenait pas plus de cinq voitures, il fallait laisser une place pour le client éventuel. Les autres employés venaient à pieds.
Commençait alors une journée travail pleine de rebondissements, ponctuée de rires ou d’engueulades.
La réunion planning du lundi matin donnait le coup d’envoi. Toute la semaine se construisait là, chacun percevait la notion d’urgence. Tout était toujours en retard. Les commerciaux déversaient sur les créatifs leurs récriminations et chacun remontait à son étage courbé sous le poids de l’urgence. Mais le grand art des artisans de la communication était de ne se mettre à l’ouvrage qu’à la dernière extrémité.
Miss Comédie