JEAN-PIERRE MARIELLE ET LE FANTÔME DE GROUCHO MARX
Juillet 2008 : un moment dans la vie de JP Marielle..
Festival de la correspondance de Grignan.
Une foule de fans de tous âges remontent lentement la ruelle qui mène à l’esplanade de la Collégiale transformée en espace de lecture.
Une certaine excitation se devine dans les rangs de ceux qui ont pu réserver leur place pour cette soirée exceptionnelle.
Un spectacle de gourmets : Patrice Leconte met « en espace » la correspondance de Groucho Marx, lue par Jean-Pierre Marielle.
Autre chose que les lettres de mon moulin. Ca promet d’être plutôt drôle.
Dans la sacristie de la chapelle Collégiale qui donne sur l’esplanade, face aux gradins installés pour le festival, Jean-Pierre Marielle jette un oeil sur le ciel menaçant. L’orage n’est pas loin.
Il se retourne vers Groucho Marx, assis dans une stalle monastique, le cigare au bec.
« Tu vas voir que ça va nous tomber dessus.
« No problem ! Tu mets un chapeau et tu lis, okay ? Tu as signé pour toutes les lettres et moi j’ai la permission de minuit et je retourne au paradis, vu ?
« Et s’il y a plus un seul clampin ?
« Well you go on reading. Just for me, darling et Pierre... mais il est pas là, ton ami Pierre Vernier ?
T’inquiète, il est toujours à l’heure. Bon, laisse-moi me concentrer. Par quelle lettre on commence ? Hé ho, Patrice, aide-moi. Groucho me détraque le ciboulot. Tu as vu mon manuscrit quelque part ? Je l’ai paumé, bordel ! Et mes musiciens, tu les as vus ? Il me faut du jazz, moi.
Patrice Leconte a l’oeil à tout. Il attrape la brochure et la tend à Marielle. Il n’a pas vu, et c’est normal, le fantôme de Groucho Marx qui, pour rien au monde, n’aurait loupé ce prétexte pour revenir sur terre.
Groucho Marx n’était pas avare de sa prose. Ses lettres, souvent de plusieurs pages, adressées aussi bien à la Warner Bros qu’à son éditeur, son jardinier ou sa fille, débordent de son humour dévergondé. Truculentes, mordantes ou hilarantes sur le papier, elles se doublent de l’énorme puissance comique du phrasé de Jean-Pierre Marielle.
Sur les gradins on tire les mouchoirs, les larmes coulent.
Pierre Vernier qui figure les destinataires muets, a du mal à garder son sérieux.
La lecture s’est déroulée avec, au-dessus de l’assistance, un incessant roulement sourd. Mais Marielle se foutait pas mal de la pluie qui menaçait. Son texte le remplissait d’extase. Il en faisait des tonnes. Le public en redemandait.
Groucho tenait l’orage à distance par ses pouvoirs désormais surnaturels et, la dernière formule de politesse envoyée dans un déluge... d’applaudissements, ce fut l’averse, monstre, dans une salve de coups de tonnerre, le tout illuminé par des éclairs sans chocolat.
Marielle s’est retrouvé dans la ruelle, mêlé à la foule ruisselante, et ses invectives contre le ciel, la terre, Groucho et le métier d’acteur dominaient le vacarme de la pluie.
Groucho suivait, hilare, son interprète et l’accompagna jusqu’à l’hôtel de la Plume le bien nommé où il disparut de ce monde comme il était venu.
Dans le brouhaha de la salle en pleine ébullition, encore sous le coup de ce moment de résurrection, Jean-Pierre Marielle eut ce mot : « Mais où est passé Groucho ? »
Seule, Agathe Natanson, son épouse, l’entendit et sourit.
Lui, dans la fumée de sa cigarette, s’était replongé dans son « ailleurs ». C’était très important pour lui, « l’ailleurs ».
Et la légèreté. Et la Musique.
Les mots, très rarement. Seuls les mots qui venaient d’ailleurs.
Les silences de Jean-Pierre Marielle, en interview, avaient une profondeur vertigineuse. Il pouvait se livrer entièrement, sans parler. Un talent très rare. Unique.
Il est parti, et d’écouter son entretien avec Olivier Bellamy, un jour de 2010, mes larmes coulent.
Miss Comédie