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MES INTERVIEWS IMAGINAIRES : NINO FERRER

Publié le par Miss Comédie

 

 

 NINO  FERRER,  L’insatisfaitNINO 1

 

 

 

  Décembre 1965, rue du Dragon à Paris.   Chez des amis, Nino Ferrer fête le succès de MIRZA, son premier tube. Au milieu de tous ces gens euphoriques et déjà un peu partis, il est sobre, mélancolique, d’une beauté surnaturelle. Son teckel ne le quitte pas d'une patte.

Je l’ai déjà vu souvent ici, il est le cousin de notre hôte, musicien de jazz.

Il vient vers moi.  Notre conversation  a tout d’une INTERVIEW IMAGINAIRE.

Il m’entraîne à l’écart.            …

 

- Venez, tous ces gens sont répugnants.

-  Mais enfin, ce sont vos amis…

-  Non.  Ils se réjouissent, ils  ne comprennent pas.

-  Comprendre quoi ?

Il me regarde intensément.

-  Vous savez bien, vous, que ce disque… je l’abomine, je le renie, son succès m’avilit.

Je ne dis rien.  Il est vrai que MIRZA est à des années-lumière de l’univers musical de Nino, qui n’aime que le jazz.

 

 

-  Grâce à ce succès, Nino, tu es célèbre. Tu vas pouvoir faire la musique que tu aimes. 

-  Ne me tutoyez pas.  Notre relation est au-dessus de la mêlée.

 

Je ne peux m’empêcher de rire.  Il a ce côté vieille France qui  étonne de la part d’un chanteur de variétés mais qui colle bien avec son allure de dandy.

 

-  Ecoutez-moi. Vous savez ce qui est le plus absurde ?  C’est que personne ne sait que la musique de MIRZA  m’a été inspirée par un tube de Stevie Wonder.  Là-dessus, je mets des paroles idiotes, histoire de rigoler un peu, et paf !  ça fait un tabac…

 

Il me regarde encore, je vais me trouver mal tellement il est beau.

 

-  … et j’ai signé avec Barclay pour  trois autres titres aussi stupides  : Les Cornichons, Oh Hé Hein Bon, Gaston ya’l téléfon qui sons’…    


-  Ils auront le même succès que MIRZA !Dicie Cats


-  Dieu du ciel, je ne veux pas de ce succès-là !  Je regrette le temps des Dixiecats,

là je faisais du vrai jazz, je jouais de la contrebasse, notre hôte Stéphane Guérault de la clarinette, et avec les autres on accompagnait Bill Coleman, c’était du délire, le Vieux Colombier était plein chaque soir !

-  Pourquoi avoir arrêté ?

-  Oh, je voulais faire mes chansons à moi. C’est toujours pareil, à 20 ans on croit qu’on peut  avoir tous les talents à la fois.

 

On passe à table. Il est à côté de moi.  Il me glisse sur le ton de la confidence  :

Nino-et-moi-003.jpg

-  J’ai le projet d’une très belle chanson qui, j’en ai peur, n’intéressera personne…

-  De quoi parle-t-elle ?

-  C’est une chanson qui parle d’un pays de cocagne, où tout le monde est heureux, où le soleil brille toute l’année… comme au paradis…

-  On dirait  le Sud…

-   C’est ça.  On dirait  le Sud.  Vous avez trouvé le titre !

Il me prend la main.

 

 

LE SUD-  Cette chanson  fera le tour du monde. Elle effacera tout le reste, elle sera la seule empreinte de mon passage sur terre...

-   Mais non ! Vos premières chansons resteront, tout le monde les aime, l’une d’elle   figure même dans le film d’Almodovar « Talons Aiguilles », non ?

-  « Un An d’Amour », oui, en Espagnol, hum…

 

 

 

Nino  répond à des hôtes qui l’interpellent de l’autre bout de la table.

 

-  Nino, tu es venu seul ?   Qui est la femme de ta vie en ce moment ?

-  Vous voulez le savoir ? C’est Brigitte Bardot !

Tout le monde s’esclaffe.   Et pourtant, un an plus tard, BB répondait à son appel.

Il se tourne vers moi. 

-  La femme de ma vie, je ne le dis qu’à vous, c’est ma mère, merveilleuse

Mounette.  Un jour ou l’autre, je repartirai pour l’Italie avec elle, nous habiterons à nouveau piazza Navona à Rome, comme dans mon enfance.Nino-Ferreet-sa-mere001.jpg

-  Elle est votre premiere fan ?

-  Pas toujours.  Elle n’aime pas MIRZA.  Pour elle il n’y a que le jazz ou la canzonetta !  Quand j’ai rencontré Armstrong, elle aurait préféré  que je fasse partie de son orchestre,  plutôt  que j’écrive « je veux être Noir », elle a trouvé ça très choquant…

Il rêve.

-  Ma mère a toujours raison.  Tant qu’elle est près de moi, il ne peut rien m’arriver de mal.  Le plus grand malheur qui pourrait m’arriver, c’est qu’elle parte avant moi.

- Où ?

-  Au ciel.  Quand elle mourra, je mourrai.

-  Nino, vous vous souvenez des paroles de votre première chanson : « Ma Vie pour rien « ?

- « Moi j’ai voulu vivre ma vie- et j’ai perdu ma vie pour rien ».

- Comment peut-on écrire ces mots-là, quand on a  toute la vie devant soi ?

-  Je ne sais pas.

 

 

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MES INTERVIEWS IMAGINAIRES : MARIANNE FAITHFULL

Publié le par Miss Comédie

 

 

MARIANNE  FAITHFULL,   Sister MorphineFaithfull-1.jpg

 

Au Birdland, rue Guisarde à Paris.  Nous sommes en 2009 mais j’ai eu envie  de situer mon interview de  Marianne Faithfull  dans ce lieu qu’elle a  dû fréquenter dans sa jeunesse, tel qu’il était en ce temps-là.  Aujourd’hui ça n’a plus rien à voir.

 

 Dans ce bar bondé, enfumé, la meilleure discothèque de jazz du moment,  on ne s’entend pas.  il y a là tous les musiciens américains qui vont accompagner Marianne FAITHFULL dans son concert  à la Cité de la Musique.  Ils occupent la plupart des tables. Au bar sont accoudés les habitués, des musiciens blacks en résidence à Paris, ici la clientèle est jazz, soul ou latino.

Elle est là, coincée entre son manager-boyfriend et un grand blond hirsute, bien entourée, bien gardée.  Devant elle, un Coca.   Comme on est en 2009,  personne ne fume sauf elle.  On sait que si on l’empêche, elle s’en ira.

Je me glisse à la place du grand blond qui, justement, sort fumer une clope.

Ca va pas être facile pour se faire entendre.

 

-  Mick Jagger assistera à votre  concert ?

Elle croit que la question vient d’une fille de sa bande.



-  Non.

-  Vous êtes brouillés ?

-  Il m’a usée.  On ne se voit plus.Avec Jagger

-  Vous vous sentez libérée ?

-  Absolutely.  Mick adore   les animaux  et les enfants,  mais il n’aime pas les femmes.  J’ai découvert ça trop tard.

-  C’est tout une époque  de votre vie, que vous effacez ?

- Non, je garde une grande amitié pour Keith Richards, Charlie Watts  et même pour Anita Pallenberg, qui m’a trahie un jour mais passons.  Cette fille m’a fait plus de mal que de bien.  C’est elle qui m’a initiée au cannabis, quand même !!   …Faithfull Pallenberg

-  Mais c’était la compagne de Brian Jones, non ?

-  Oui, et elle est allée s’envoyer en l’air avec Mick 

dans une « pe rformance » …qui a fait scandale et bien sûr je l’ai appris...

-  Dans  le film Performance de Donald Cammell ?

-  Exactement.  A l’époque j’étais enceinte de Mick et

j’étais partie me reposer en Irlande.  J’ai reçu un tel

choc que j’ai perdu mon enfant. 

-  Vous étiez donc très amoureuse à l’époque ?


-  I was deeply in love, yes. It was in… 1970… Cette enfant aurait… 39 ans maintenant, oh good lord !    Anyway, j’ai pardonné à Anita, mais pas à Mick Jagger.    

 

- On dit que Keith Richards sera avec vous sur scène  le 18 ?

- Non, hélas. J’aurais aimé qu’il chante avec moi… Mais il est devenu bourgeois, il fait très attention à lui, il a arrêté de boire… Il est trois fois grand-père, vous savez ?

(Elle rigole)

 

-  Et vous, quand allez-vous arrêter ?

-  De boire ?  C’est fait.  De fumer ? Jamais. C’est tout ce qu’il me reste.

-  Non, de bosser, d’enregistrer, d’écrire, de chanter…

-  Qu’est-ce que je ferais d’autre ?

-  Vous vous occuperiez de vos petits-enfants.

Elle éclate d’un rire rauque, elle se met à tousser.

-  Goodness no !  I should go to London… I hate London.

-  Vous préférez vivre  à Paris  ?

-   Oui, à  Paris je me sens jeune !              

On lui apporte ainsi qu’à son manager une assiette de chili con carne, le plat traditionnel et unique du Birdland.   Elle se jette dessus, affamée.

Pendant qu’elle mange j’arrête de la questionner et puis le bruit est vraiment assourdissant.  On entend à peine la voix de Billie Hollyday  en fond sonore.

Mais Marianne enchaîne :

 

- Vous m’avez connue quand j’étais junkie ?junkie.jpg

-  Seulement par la presse et les films.

-  Vous trouvez que je suis vraiment décatie ?

-  Ah mais pas du tout, au contraire je trouve que vous avez maintenant un charme unique, envoûtant.

-  Thank you.

-  J’adore aussi votre voix maintenant.  Au début vous aviez une voix très douce…

-  Oui c’est vrai. C’est l’alcool et le tabac qui m’ont fait cette nouvelle voix. Moi aussi je la préfère à celle d’avant…

  

 -  Quand vous chantez la chanson de La Fille Sur le Pont, je meurs.

   La FilleElle me regarde et elle sourit.

   -  La scène est mortelle, non ?

-Elle allume une cigarette et me souffle la fumée  dans le nez.

 

-  Vous me donnez envie de fumer, mais moi je n’ai pas le droit !

-  Ah ah, il faut savoir braver l’interdit, mon petit.   J’ai passé ma vie à ça.

-  Cet album « Easy come, easy go » c’est le combientième ?

-  Vingt-cinquième ou trentième, je ne sais plus…

 

-  J’adore les titres de vos albums.  Ce sont des invitations au vice, à l’amour

   ou à la désolation.

-  Oui, je ne les choisis pas.  Ils viennent tout seuls.  Vous composez ?

-  Non, je décompose.

-  Ah, pas mal.  « Décomposition », un titre pour la fin.   Mon  titre préféré c’est le premier de tous, celui que Mick et Keith ont écrit pour moi, j’étais encore

presque pucelle…

-  « As Tears Go by » ?

-  Sublime, non ?...  Les larmes vont et viennent dans une vie, dont’they ? 

 

La lumière s’éteint brusquement.   La musique s’arrête. Panne de secteur.  `Ca tombe bien, je ne savais plus quoi lui dire.  Je me lève et à tâtons je vais vers la sortie.  Pour une fois, c’est moi qui me barre, l’interviewée reste sur le carreau dans ce décor qui n’était qu’un prétexte.

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MES INTERVIEWS IMAGINAIRES : FERNANDEL

Publié le par Miss Comédie

 

FERNANDEL, LE  DÉFROQUÉDon-cam.jpg


 

Cet homme a attiré au cinéma plus de cent millions de spectateurs dans les années 50-60-70.  Ce champion du box-office,  plus fort que de Niro, est tombé dans l’oubli.  Pourquoi ?  Lui-même croit avoir la réponse.

 

 

 

 

Toulouse, une étape de la tournée de la pièce FREDDY.  La loge de Fernandel au théâtre du Capitole. J’ai voulu revoir cette loge qui avait été habitée avant lui par Luis Mariano et tant de ténors  (ou de divas-) illustres.  Où il me donnait des conseils sur mon jeu avant le spectacle, paternel  et complice.

Il est assis à sa table de maquillage, je  vois son reflet dans la glace, du canapé rouge en velours râpé où je suis assise.

 

 

- Dans cette pièce FREDDY de Robert Thomas, qui est votre dernière apparition sur scène, vous avez fait le clown pendant une année à Paris et en tournée.  Ca devait être lassant, certains soirs, non ?Freddy-001.jpg

- Bonne mère !   Tous les soirs une jolie gonzesse me roulait une pelle,

  c’est pas des choses dont on se lasse, peuchère !     

-  Mais vous étiez déjà très affaibli ?

-  Affaibli, affaibli !  J’étais affaibli avant d’entrer en scène. 

Après, le public me tenait à bout de bras, rien que d’entendre leurs rires, je reprenais du poil de la bête.  Surtout pour la scène du baiser, hein ?

 

 

 

 

- Vous avez tourné combien de films ?

-  126 exactement.  Je ne parle que des longs métrages.

 

- Quelle est la partenaire qui vous a laissé le plus grand souvenir  ?

 

Il me montre   l’étendue de sa dentition (éclatante de blancheur, du reste).

- J’ai eu un coup de grisou  pour Silvana Mangano sur le

tournage du Jugement Dernier. Cette nana était un volcan endormi, on sentait que ça bouillonnait là-dedans (il fait les gestes) et quel regard ! Elle te zigouillait un mec à trois mètres.  Mais c’est Gassman qui avait ses faveurs, pas moi !

 

- Vous étiez conscient, de votre célébrité ?pastis.jpg

-  Moi conscient ?  Non, entre les tournages je filais à Carry-le-Rouet jouer à la p étanque avec mes potes, boire le pastis, écouter les cigales… là-bas ils me montaient pas le bourrichon, ils m’appelaient Fernand et ils parlaient pas cinéma !  J’étais con, mais pas chiant. (il  se marre.)

 

 

(Puis  il se frappe le front)

Ah  si, peuchère, le jour où j’ai cru que le ciel me tombait sur la tête, c’est à Rome en 1953, je me baladais avec ma fille Janine et de retour à l’hôtel on me tend un billet en provenance… du Vatican !!! Figure-toi que le Pape  Pie XII me demandait la faveur d’accepter une entrevue avec lui, il voulait faire la connaissance de don Camillo, le curé le plus célèbre dans le monde après le Pape !   Il m’a béni et Janine aussi, j’ai raconté ça aux potes à Carry, ils sont tombés à genoux en se bidonnant… ils m’ont pas cru.

 

-  Vous aimeriez tourner un film à notre époque ?

-  Oh pôvre,  aucun metteur en scène ne voudrait me faire tourner aujourd’hui.

-  Et pourquoi ?

- Pour la bonne raison qu’aujourd’hui  les gens ils rient plus pareil qu’avant.

Les grimaces et les contorsions, rouler les yeux et les r, jouer les abrutis, ça leur fait ni chaud ni froid. Ce qu’ils veulent c’est du comique de situ-ationn… Moi c’était du comique troupier, nuance, c’était bon pour les troufions. 

Non, si on me demandait, aujourd’hui,  j’aimerais tourner un remake des GRANDS DUCS, de Patrice Leconte !  Avec Gabin et Jean Lefèvre on  ferait un trio épatant, non, qu’est-ce que tu en penses ?   


 

    Il rit- Votre plus grand malheur ?  

-  C’est ma gueule !

- Votre plus grand bonheur ?      

- C’est ma gueule !

 

Nous rions tous les deux.

 

-  D’ailleurs à cause de ma gueule j’ai été nommé très souvent « chevalier » :

de la Légion d’Honneur, du Mérite, des Arts et des Lettres, en me voyant ça leur tombait sous le sens !

 

-  Il y a un acteur dont vous avez été jaloux ?

- Oui, Bourvil parce que tous les films où il a fait pleurer ont marché, alors que moi dans MEURTRES, j’ai fait un bide. 

- Mais vous étiez de grands amis ?

- Ah ça oui, dans LA CUISINE AU BEURRE, on était beurrés chacun son tour sur le plateau, et ensemble après. Le pastis était notre verveine du matin et du soir.  On un peu exagéré. 

-  Dans FREDDY on ne vous a jamais vu boire du pastis entre les scènes !

- Oui j’avais déjà adopté la devise « le pastis c’est comme les seins, un c’est pas assez, trois c’est trop ! »

Et d’éclater de rire.   Puis il se lève, se regarde dans la glace, bombe le torse.

-  J’ai quand même fait des conquêtes, malgré ma gueule.  J’avais du charme.

-  Oui, ça je peux en témoigner !

Il me tapote la joue.  A ton âge, tu draguais un vieux, c’est du joli !

-  Je jouais mon rôle, c’est tout !

 

Il ouvre la porte et sort dans le couloir dont le plancher centenaire craque sous les pas.

- Tu viens, petite ?  Je suis fatigué. 

Je lui emboîte le pas, mais je ne le vois plus.  J’entend seulement le plancher craquer sous ses pas qui s’éloigent dans la pénombre de ce couloir, interminable.

 J’entends alors  les hurlements de joie de la salle, les applaudissements, les rappels qui n’en finissaient pas.  Il souriait, il souffrait.  Quelques mois plus tard  il tirait sa révérence.

 

 

 

 

 

-

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MES INTERVIEWS IMAGINAIRES : NAT KING COLE

Publié le par Miss Comédie

 

 

NAT  KING  COLE, UNFORGETTABLENat-King-cole-1.jpg

 

 

Hancock Park, quartier résidentiel  à Los Angeles.  Une villa cachée dans les araucarias et les hibiscus.  NAT KING  COLE est allongé sur un transat  sous

l’auvent de l’immense terrasse bordant la piscine de marbre gris. 

Le jardin est à l’abandon.

   On est accueilli par son sourire éclatant dans un visage déjà amaigri par la maladie.  La gorge entourée par un grand foulard bariolé, il parle avec difficulté.    

A  45 ans, il est déjà au bout d’une éblouissante carrière.  Trop d’alcool, trop de tabac… Le cancer de la gorge  l’emportera quelques mois plus tard à l’hôpital de Santa Monica, le 15 février 1965.

Aujourd’hui il a choisi de revenir chez lui, dix ans plus tard, pour revivre avec nous quelques moments de sa  courte vie.

   On entend,  s’échappant de la baie du salon, une musique trépidante de ukulélé.

 

-  Nat, c’est quoi le bonheur, pour vous ?

-  Ah ah ah !!!  Le bonheur c’est la musique, bien sûr ! 

-  Depuis toujours ?

-  Moi et mes quatre frères on chantait à la chorale de ma mère dans

   l’église où notre père était pasteur,  c’est pas un beau début, ça ?  on

   chantait la gloire de Dieu avec l’orgue, pour moi le gospel c’était

   la seule musique au monde !   Mama Cole m’a appris le piano et l’orgue, je n’ai plus jamais arrêté d’en jouer, même quand on m’a déclaré « chanteur », je suis pianiste devant l’Eternel !

-  La gloire, ce n’est pas le bonheur ?

-  Non non, la gloire c’est une épreuve.  Il faudra tout au long de sa vie la justifier vis-à-vis de tous ceux qui ne l’ont pas.  Vous êtes condamné à la mériter à perpétuité.

-  Votre idole ?

-   Le seul et unique :  Armstrong, c’est lui le king !  Je l’écoutais dans ma rue à Chicago avec mes frères, il jouait dans un club de jazz à côté, j’étais en transes !

-   Votre plus grand amour ?

-    Ma première femme Nadine… on s’est connu à 20 ans et on a créé un

      groupe ensemble.   Ca n’a duré que neuf ans… La vie sépare ceux qui s’aiment…, comme  dit Jacques Prévert,  et puis un amour chasse l’autre…

 

-   Pourquoi chantez-vous en Espagnol ?

-  Ah ah !  J’ai un très mauvais accent, non ?  C’est après une tournée en Argentine où j’ai chanté pour m’amuser Mona Lisa en Espagnol, ça a fait un tabac, alors j’ai commencé à écrire des chansons en Espagnol, ça marchait toujours. 

-  Tout a été facile pour vous ?

-  Oh non.  J’ai souffert toute ma vie d’être Noir. Dans ce pays, si vous saviez.

   En 1956 j’ai été attaqué en concert à Birmingham en Alabama, mon pays natal !  par un groupe de Blancs, j’ai dû interrompre le spectacle et fuir, avec mes musiciens… Jamais plus je n’ai chanté en Alabama.

-  Mais vous avez été invité par la reine Elisabeth II ?

-  Oui oui, au palais Victoria.  Et John F. Kennedy était mon ami… un véritable ami, je l’ai pleuré comme un membre de ma famille. Oh, il existe des Blancs qui ne sont pas racistes, heureusement !

 

 

-   Il y a quelques années, au Sporting d’Eté de Monte-Carlo, nathalie.jpg

la nuit la plus belle  fut celle où votre fille Nathalie a chanté

UNFORGETTABLE YOU en fourreau de velours noir  pailleté,  

superbe,  et le finale avec votre voix off  a déchaîné l’enthousiasme

du public…

-   Oui, j’ai vu ça… Un miracle, ma fille  a  chanté divinement.   Elle sentait ma présence. 

 

 

-  Vous avez vu le film « In The Mood for Love », où votre chanson « Aquellos ojos verde » donne à cette histoire d’amour impossible des accents inoubliables ?

-  Oui, je l’ai vu.  Ce film est à l’image de la vie,  la quête d’un idéal qu’il vaut mieux ne pas atteindre car on ne peut être que déçu.  L’idéal n’est pas de ce monde.

-   Vous êtes pessimiste !

-  Oui,  parce que  je vois encore la discrimination partout, partout…  Même OBAMA n’a rien pu faire, les hommes se haïront toujours.

-  Votre dernier souvenir douloureux ?

   Lorsque ma famille et moi sommes arrivés à Los Angeles.  Nous avons

   acheté cette maison, où nous sommes, ici (il fait un geste large pour

    montrer l’ensemble de la propriété)… J’ai reçu des lettres me demandant

    de m’en aller, des menaces… J’ai tenu bon.  Ils ne voulaient pas de nous.

     C’était dur pour moi mais encore plus pour mes enfants… l’école, tout ça.

     Vous savez, c’est une malédiction de naître Noir parmi les Blancs, comme

     de naître Juif dans le monde entier. Il faut attendre le Jugement dernier.

 

-  Vous avez une solution, pour que les hommes s’aiment entre eux . ?piano1.jpg

 

- Oui, remplacer l’argent par la musique.  La musique engendre l’amour, les notes de musique sont de petits germes d’amour.   Mais cela ne se fera jamais.

-  Pourquoi avoir accepté de revenir  ici pour cette interview ? 

 

Nat King Cole boit une gorgée de tequila et respire à pleins poumons.

 -    Tout ça est un monde factice.  L’essentiel, on le découvre après la mort.   Je passe un petit moment sur  terre, cela me fait rire.  Après votre départ je remonterai vite là-haut, dans l’espace où toutes les âmes sont de la même couleur.

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MES INTERVIEWS IMAGINAIRES : GÉRARD PHILIPE

Publié le par Miss Comédie

 

 

   G.Philipe-1.jpgGERARD  PHILIPE,  L’étoile filante

 

 

Juillet 1952.  Le soleil rougeoie encore sur les pierres brûlantes du Palais des Papes.

Envahi par les étoiles, le ciel s’assombrira vite, violet sombre  au-dessus des gradins encore vides.

La place de l’Horloge n’est qu’une vibration.  Un même état d’exaltation estivale habite les consommateurs aux terrasses, les flâneurs, les junkies, les joueurs de guitare.

A la Civette nous sommes assis, anonymes, au coude à coude, noyés dans la masse, invisibles.  Même lui.

 

Dans une heure il sera sur scène face à la cour d’Honneur,  dans son costume de lorenzoLORENZACCIO, celui-là même qui fut exposé en 2003 à la Bibliothèque Nationale de Paris, celui-la même, défraîchi, portant la trace de sa divine sueur, contemplé silencieusement par des files de jeunes filles pensives.

Il recevra, comme chaque  soir, une ovation.  Sa beauté et  sa fougue dans ce rôle de tyran martyr, ne sont déjà plus du tout humains. 

 

-       Gérard, qui cherchez-vous dans la foule des passants ?

-       Anne, ma femme.  Sans elle je suis perdu.

-       Comment arrivez-vous à rester fidèle ?  Vous pouvez avoir toutes les femmes.

-       Je ne vois qu’elle.  Nous avons nos codes secrets. Elle s’appelait Nicole, je l’ai appelée Anne. Et moi, elle m’a fait ajouter un e à mon nom pour que le total des lettres fassent 13… Nous avons échangé notre sang. Nous sommes liés à la vie à la mort.

 

-       Vous vous êtes mariés en 1951, il y a un an. Cette même année vous avez tourné Anne-et-Gerard.jpg

FANFAN LA TULIPE, qui vous a rendu célèbre dans le monde entier.

-       Oui. Anne m’a porté chance.

-        Votre partenaire était Gina Lollobrigida… une bombe sexuelle, non ?

-       Une très bonne actrice, oui.

 

-       Quand on a été le Prince de Hombourg et le Cid, la vie quotidienne doit  paraître insipide, parfois ?

-       Insipide ?   Ah non, tellement plus « vivable » !  Je ne joue presque que des personnages marqués par un destin funeste, qui se débattent  dans des drames sans issue… La vie quotidienne est un paradis terrestre  !

-       Les femmes que vous aimez sur scène sont irrésistibles, sublimes, autrement séduisantes que dans la vie…

-       Oui, elles ont le vice en elles, la jalousie, la cruauté.  Autre chose, en effet, que celles qui m’entourent dans la vie !

-        

 

-        Votre dernière émotion de théâtre ?

-       Me retrouver sur scène face à mon maître Jean Vilar, dans le Cid. Il jouait don Diègue, et soudain je voyais en lui mon ennemi, un autre homme, lui si tendre…

-       Et hier, lors de la première représentation de Lorenzaccio, qu’avez-vous ressenti ?

-       Oh, une multitude d’émotions, que je vais retrouver tout-à-l’heure  !   D’abord, l’excitation d’être le premier interprète masculin de ce rôle sublime… Je viens après Sarah Bernhard suivie d’autres actrices… vous imaginez ?

-       C’était comme si aucun comédien ne se sentait assez viril pour rivaliser avec la grande Sarah !!!! (Il rit).

-       Jean Vilar joue-t-il dans Lorenzaccio ?

-       Non, mais je suis en parfaite osmose avec Daniel Ivernel qui joue le duc,  et surtout avec Charles Denner, un Giomo magnifique.

-        

-       Gérard Philipe, quel est votre pire souvenir de théâtre ?

Il ne réfléchit pas longtemps, son visage s’assombrit.  Il but la dernière gorgée de son thé glacé.

-       Caligula en 1945.  On m’annonce que mon père emprisonné à Grasse et condamné à mort, s’est évadé.  Son existence  se dissociait soudain de la mienne pour devenir un cheminement solitaire  où je ne pouvais intervenir en rien.  Mon père était collaborateur, j’étais résistant. Au-delà de nos civergences politiques, il restait mon père et l’idée de sa mort m’obsédait.  Jouer chaque soir le rôle de ce roi embourbé dans sa révolte était une torture.

-       En vous choisissnt pour ce rôle, Camus avait fait  une erreur de casting !

-       Un contre-emploi, en tout cas.  Le démon qui est en moi a dû être convaincant car la pièce a eu un grand succès.

 

Nous regardons autour de nous.  Les gens peu à peu quittent leurs tables sur la place de l’Horloge et se dirigent vers le Palais des Papes.  Gérard Philipe se lève.

-       Je suis de la première scène.  Il faut que j’y aille…`cour-d-honneur.jpg

je le suis, nous marchons vite à travers la foule.

-        

-        

-       Vous aimeriez mourir en scène ?

-       C’est mon vœu le plus cher.  D’ailleurs je désire être inhumé dans mon costume du Cid.

-       Nous n’avons pas parlé de cinéma ?

-        Ce sont deux mondes différents.  Sur une scène, je connais l’état second, l’euphorie du dédoublement.  Au cinéma je suis happé par une mécanique endiablée, c’est exaltant, je ne maîtrise rien du tout.

-       Vous avez des projets de tournage ?

-       Oui, un film avec Yves Allégret, « Les Orgueilleux », dans lequel je jouerai un médecin alcoolique… encore un contre-emploi   !

-       Votre partenaire féminine ?

-        Michèle Morgan… le feu sous la glace, dit-on !

-        etoile-filante.jpg

Je sens qu’il n’est plus avec moi. Il glisse, rapide, le regard fixé sur la porte monumentale qui commence à avaler les fidèles.

Je le perd de vue.

 Il disparut dans la pénombre du cloître.

 Six ans plus tard il reviendra en Avignon pour jouer encore une fois LORENZACCIO.  Ce sera la derière.  L’année suivante l’étoile s’éteint.

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