LA MAGIE DES 400 COUPS
Au bout de sa course interminable, au bout de sa fuite, il y a la mer, qu’il rêvait de voir un jour. C’est la dernière image du film avant ce mot FIN masquant son beau visage d’enfant. Triste fin, qui n’en est pas une. On a du mal à imaginer la suite.
C’est pourtant un film culte. Mais son étoile a pâli, les années passant, devant la profusion des nouvelles vagues.
Celle de Truffaut commence avec LES 400 COUPS, son premier film, un chef-d’œuvre.
Saisie, médusée, j’ai découvert tardivement ces images magnifiques d’un Paris oublié, ces pulsions enfantines violentes, cette façon de les filmer si simplement qu’elles en deviennent bouleversantes. Quelques jours dans la vie d’un simple petit cancre qui va lentement tomber dans la délinquance, à force de petits larcins, à force de solitude.
Truffaut-Léaud. Il lui a transmis ses révoltes, il lui a inventé sa solitude familiale, il lui a infiltré sa détresse, celle qu’on a tous à l’âge où tout est possible mais où s’élèvent toutes les barrières.
Jean-Pierre Léaud se prend vite pour Antoine Doisnel, c’est facile, il lui ressemble comme un frère. Mais en plus, il est déjà acteur dans l’âme. L’acteur sans passé, sans artifices, sans ego.
Plus jamais il n'aura cette dimension-là.
Sur le tournage il volait, insultait, provoquait les passants, créant des incidents que l’équipe assumait avec indulgence. Léaud ne jouait pas Doisnel, il était Doisnel.
Truffaut-Léaud, leur premier film, le plus emblématique.
Il y a dans le film une scène qui tue, qui m’a rappelé la scène de LA FILLE SUR LE PONT de Patrice Leconte, où Vanessa Paradis se confesse en gros plan devant la caméra. Un exercice de haute voltige où sans la sincérité, c’est le plongeon. Le plan, en tout début du film, dure de longues minutes où elle est prodigieuse.
Ici nous voyons Antoine Doisnel répondre qux questions d’ une psychologue. Ses parents l’ont mis pensionnaire dans un centre d’observation pour mineurs délinquants et les questions sont celles d’un interrogatoire.
« Vous avez volé 10000 francs à votre grand-mère : par besoin ou par méchanceté ?
« « Il paraît que vous mentez sans cesse ?
« Vous dites que votre mère ne vous aimait pas. Pourquoi ?
« Avez-vous déjà couché avec une fille ?
Le ton est hostile mais les réponses d’Antoine sont spontanées, claires, visiblement sincères. Il raconte ce qu’il ressent, ce qu’il a dans la tête et dans le cœur, il ne triche pas, il n’est pas mal à l’aise, il se défoule avec tous les détails possibles, on sent que cela lui fait du bien, il regarde la femme droit dans les yeux, ses mains triturent des papiers devant lui mais ce n’est pas le trac, c’est la fébrilité d’un gosse qui veut montrer sa bonne volonté, son désir de se justifier, de se réhabiliter.
Tout cela n’est pas descriptible, il faut voir le visage confiant, entendre les phrases hésitantes cherchant le mot juste, il croit que cette conversation va lui ouvrir les portes de l’internat, il y croit, cela se voit. La scène est filmée sans interruption, en direct, c’est la seule scène du film qui n’a pas été post-synchronisée.
C’est dire si Truffaut croyait en son acteur, il savait ce qu’il allait offrir à la caméra.
Et nous, à peine remis de cette contemplation, nous allons suivre le petit, en cavale, durant une séquence interminable où on le voit courir, à toutes jambes, sans une halte, les paysages défilent au rythme de sa course ininterrompue. On traverse des champs, on longe une rivière, on rencontre des hameaux, des arbres, on entend les oiseaux chanter. C’est d’une beauté inouïe.
Son cœur est prêt à éclater, le nôtre aussi lorsqu’il atteint la fin des terres et contemple devant lui ce qu’il rêvait de connaître un jour : la mer. Ses pieds vont à la rencontre des vagues bienveillantes, et son enfance s’arrête là. Son dernier regard à la caméra ne nous apprend rien. A nous de lui donner un sens.
Miss Comédie