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MES CONVERSATIONS IMAGINAIRES : MODIANO

Publié le par Miss Comédie

PATRICK  MODIANO ET FRANçOISE HARDY

 


Modiano-Hardy.jpg 

Septembre 1969 à Paris.   Patrick MODIANO a 24 ans et Françoise HARDY en a 25.  Ils sont déjà célèbres tous les deux.

 

Elle a voulu l’inviter à déjeûner à La Grande Cascade pour célébrer leur première collaboration professionnelle : l’enregistrement de la chanson Etonnez-moi Benoit, écrite par Patrick.

 Ils ont parlé de tout et de rien, puis ils ont évoqué leur père fantomatique pour elle comme pour lui, leur enfance solitaire, leur mal de vivre, tout cela à demi-mots, entrecoupé de longs moments de silence.

Dehors, ils marchent sous les ombrages mordorés du bois de Boulogne, ils n’ont pas envie de rentrer.  Ils vont jusqu’au lac sillonné de barques, descendent sur l’embarcadère et d’un même élan, sautent dans la barque amarrée là, pour eux.

 

barques.jpgAu milieu du lac,  après les premiers fous rires, l’apprentissage des rames, l’équilibre précaire de la coque, leurs cris de joie se calment, le temps ralentit son cours.

Assis côte à côte ils se laissent envahir par le silence qui les entoure.

Gêné peut-être par cette proximité, Patrick MODIANO relance le dialogue tout en ramant énergiquement.   Il  revient  sur l’objet de leur rencontre.

 

Alors… vous êtes contente ?  Je veux dire… de… de l’enregistrement ?

 -  et il ajoute précipitamment - non, parce que cette chanson est vraiment … comment dire…stupide !

« Pas du tout, la preuve,  c’est celle que j’ai choisie parmi les six autres que me proposait Hugues de Courson !  Je la trouve pleine d’esprit, décalée, rigolote,  elle met une pointe de sel dans mon répertoire à l’eau de rose.

« C’est votre façon de la chanter qui est… qui lui donne…

« … non ! c’est la mélodie de Courson qui colle tellement  au texte… Moi je n’aime pas ma voix.

« Heureusement que le public n’est pas de votre avis… vous vendez énormément de… vous êtes célèbre depuis déjà longtemps…alors que ...vous êtes jeune, c’est ça qui…

« Oui,  c’est venu sans que je fasse rien, les choses se sont enchaînées … comme ça…

 

Patrick, essouflé, pose les rames et respire un grand coup.

« J’arrête un peu… c’est que… mes poumons… je suis un peu tuberculeux, vous savez…. mais ce n’est pas grave !  (il s’empresse de continuer à parler avant qu’elle ne s’apitoie) :

 

« Il paraît que Bob DYLAN vous a… on dit qu’il était très amoureux ?

 

 

Françoise rit.   La barque a dérivé le long de la berge,  une branche s’accroche à ses cheveux, elle les secoue et cela semble fasciner Patrick.

 

Françoise Hardy ph034« Il y a déjà six ans de ça.  C’était à son concert à l’Olympia, il a demandé à ce que j’aille dans sa loge avant le spectacle.  Je ne sais pas ce qu’il pouvait bien me trouver…

« Mais… voyons, vous êtes trop modeste !  Moi, je vous trouve…

 

 

Elle le regarde.   Elle est émue par sa fragilité. 

 

« Vous rentrez chez vous, maintenant ?

«  Oui, enfin… non, pas tout de suite, je vais passer chez Gallimard avant.


«  Vous avez recommencé à écrire ?1Gallimard2

« Oui, je…  ça avance.

« Ca s’appellera  comment ?

« Euh… je crois, peut-être… oui, finalement c’est sûr, ce sera La Ronde de Nuit…. à moins que…

«  Encore un sujet réjouissant, je parie  ?

«   Ben oui, enfin non, c’est-à-dire…pas très réjouissant… Une sorte de…

 

François se met à rire et il l’imite. Leur rire est à la fois enfantin et poignant.

 

« Avec votre premier livre, vous êtes devenu célèbre.  C’est très fort !

« C’est grâce à Raymond QUENEAU,  vous savez.

« L’écrivain ?

« Oui oui, mais il était d’abord professeur… c’était mon professeur de géométrie.  Mais aussi…   Il m’a… c’est grâce à lui que j’ai d’abord eu mon bac et puis… comment dire… le pied à l’étrier…  je veux dire chez Gallimard.

 

Une barque occupée par un couple  les double, le garçon est debout à la façon des gondoliers et il chante une canzonetta napolitaine.

 

Patrick MODIANO paraît soudain  à bout de forces.

« Vous êtes très pâle, Patrick.  Je vais vous raccompagner en voiture.

« Oh non, ce n’est pas la peine, je vais très bien.  C’est juste… le mal de mer, peut-être ?

Ils rient ensemble.

« Il suffira que je sente à nouveau le plancher des vaches… La rue… les pavés… marcheur.jpg

Je préfère marcher.

« Mais c’est loin, chez Gallimard !


« Moi je peux marcher des heures entières dans  Paris. c’est cette magie, en fait.

« Vous habitez toujours quai Conti ?

« Oh non, je suis parti, je ne pouvais plus…  Je change souvent d’endroit. En fait, je ne reste pas souvent chez moi, je sors…

« Vous marchez ?

« Oui c’est ça, je marche.

 

 

  L-EMBARCADERE-DU-LAC--site-.JPG La barque se rapproche de l’embarcadère.   Comme s’il  se rappelait soudain une question qu’il aurait oublié de poser  et tout en aidant Françoise à remonter sur le ponton, il demande, l’air de rien :

 

« Vous êtes heureuse avec votre… avec Jacques Dutronc, je veux dire, si ce n’est pas indiscret ?

 

Françoise  détourne son regard, s’écarte un peu de lui.

« Je préfère ne pas en parler, vous savez.   C’est la chanson de BRASSENS que je chante aussi : Il n’y a pas d’amour heureux.

« Pardonnez-moi.  C’est vrai, il me semble… mais qui sait ?

« Je sais que je finirai ma vie avec lui, malgré tout.  Je le sais. C’est mon destin. 

 

  Ils  sont à nouveau sur la terre ferme.   Ils marchent en silence vers  l’orée du Bois et rejoignent  l’allée de Longchamp.

 

 

« Nous allons nous séparer ici.  Pour aujourd’hui, bien sûr.  Parce que nous nous reverrons, n’est-ce pas ?   

«  Oh bien entendu, nous nous…

« Je vous emmènerai de temps en temps au restaurant…  Parce que, vous savez ?   Mireille  - vous connaissez MIREILLE,  Le Petit Conservatoire de la Chanson, c’est mon Raymond QUENEAU à moi, elle est ma marraine et mon amie avec son mari  Emmanuel BERL -  et bien ils m’ont demandé de veiller à ce que vous vous nourrissiez correctement.  

« Mais, Françoise,   je mange très bien vous savez.

« Des sandwiches au café rue de Condé !  Je connais la musique.  Nous irons marcher dans Paris et puis manger dans des restaurants secrets que je connais.

« `Si vous voulez… C’est  merveilleux… je… merci.

 

 

 

  Grande+Cascade3Ils restent un moment indécis, ne sachant s’ils doivent s’embrasser ou se serrer la main.   Finalement ils se séparent   en  marchant à reculons  avec de grands gestes de la main, 

Il la regarde courir jusqu’au parking de la Grande Cascade.

 Lorsqu’elle a disparu,  Il  reste un moment sur place, le nez en l’air, à observer le vol inexplicable des mouettes dans le ciel parisien.  Puis il se met en marche d’un pas tranquille  vers la Porte Dauphine.

Un an plus tard il épousait Dominique Zehrfüss mais son amitié pour Françoise HARDY est restée intacte.

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