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QUAND LISZT JOUAIT CHOPIN

Publié le par Miss Comédie

V


 

 

 

  opera_facade.jpgDans la foule  des specta  t eurs qui s’écoule de l’Opéra de Paris, deux silhouettes se font remarquer par leur élégance et leur beauté.  Et puis, ils sont célèbres, ces deux jeunes musiciens que l’on s’arrache dans les salons.

Frédéric CHOPIN et Franz LISZT au coude à coude, ne perçoivent pas les murmures et les regards tant ils sont enthousiasmés par ce qu’ils viennent de découvrir : L’Italienne à Alger de ROSSINI, un opéra qui a fait la tournée des capitales avec le même succès qu’à sa création à Milan, deux ans plus tôt.


 

 Chopin_280-3ffc2.jpgNous sommes en 1832.   CHOPIN a 22 ans, un an de plus que LISZT.

  Ils viennent d’émigrer à Paris après des débuts prometteurs l’un à Varsovie, l’autre à Weimar. Ils ont rejoint le groupe des Romantiques, musiciens, poètes ou peintres,  la nouvelle génération de la vie artistique européenne.

« Fantastique !  s’exclame CHOPIN, cet Italien a du génie et son Italienne est magnifique !

« Les Italiens sont en train de nous donner des leçons, renchérit LISZT, j’ai été subjugué par un concert de PAGANINI l’an dernier, la virtuosité absolue  !

Ils sont sur l’esplanade de l’Opéra et s’apprêtent à héler un fiacre.

« Oû allons-nous ? demande LISZT.

«  Allons chez moi, je n’ai pas envie de me retrouver à Montmartre dans le bruit,Franz+Liszt+scan00012 d’ailleurs il est tard, nos amis doivent être déjà couchés ou aux quatre coins de Paris !

« Volontiers, je jouerai, si tu le permets, ta 4ème Etude que je n’arrive pas à maîtriser…

« Tais-toi, tu joues mes Etudes comme un dieu…

 

Les voilà au 27 boulevard Poissonnière, dans le petit appartement que CHOPIN a loué en arrivant à Paris. Peu de meubles, mais un piano sur lequel il passe le plus clair de son temps.

LISZT s’y installe tandis que CHOPIN remplit deux verres de cherry.  

 

Il écoute ses Etudes jouées comme personne, pas même lui, ne les joue, avec précision et brio à la fois.  LISZT a une véritable passion pour ces Etudes, au point que CHOPIN les lui a dédiées.

Sur le piano trône un portrait de Franz LISZT, comme un témoignage affiché de leur amitié.

Frédéric tend un verre à Franz, qui s’arrête de jouer et quitte le piano pour se laisser tomber dans un fauteuil.

 

« Alors, comment vont tes amours avec ma muse ? demande CHOPIN avec une pointe d’ironie.

LISZT commence par boire une petite gorgée de sherry puis répond avec indolence :

« La comtesse Platen ?  (il rit)  non, je préfère finalement la jolie Adèle de la Prunarède,… mais…

« Mais ?

« Je viens tout juste de rencontrer une femme mariée qui m’a chaviré le coeur. 

Intéressé, CHOPIN pose son verre.

« Qui est-ce ?

«  Elle s’appelle Marie d’Agout. Elle est froide et somptueuse.marie-d-agoult.gif

CHOPIN éclate de rire.

« Tu es un séducteur !  Cela va te mener sur le pré, méfie-toi !

« Non, les hommes de cette société sont très flattés que les artistes s’intéressent à leurs épouses.

«  Où l’as-tu rencontrée ? C’est bizarre, nous sommes souvent ensemble dans les salons, toi et moi, mais je ne me souviens pas de Marie d’Agout.

«  C’est qu’elle ne pratique pas la coquetterie mais lorsqu’elle s’intéresse à toi, elle sait te le faire savoir !

 

CHOPIN n’a pas encore l’intérêt de son ami pour les femmes, lui ne s’intéresse qu’à la musique.  Les minutes passent et il veut savourer encore le jeu de LISZT pour une fois sans sa cour, pour lui tout seul.

 

« Joue-moi la onzième, Vent d’hiver, veux-tu ? je ne me lasse pas de l’entendre. C’est comme si quelqu’un d’autre l’avait composée, un divin archange musicien…

 

  Bechstein_576_Grand_piano_-Franz_Liszt-_-_Wooden_frame.jpgFranz s’exécute et joue cette Etude qui glisse comme un souffle dans la pièce, ses sonorités cristallines naissent sous ses doigts comme s’il improvisait.

Tout en jouant, LISZT murmure :

« C’est toi, l’archange musicien.  Tu n’as qu’un an de plus que moi et tu as déjà composé deux concertos, aussi beaux l’un que l’autre, et  dont la difficulté d’exécution en décourage plus d’un…

« Arrête de parler en jouant, Franz, tu massacres mon Etude !

 

CHOPIN tend remplit le verre de LISZT et les deux musiciens trinquent joyeusement.

« Un jour je composerai, je le sais.  Mais je dois gagner ma vie en donnant des leçons… Je  fais travailler BACH à mes élèves et je me dis que jamais je ne pourrai égaler ce musicien de génie…

« Mais Franz, ne sois pas velléitaire !  Personne ne pourra jamais égaler Jean Sébastien BACH, il est inspiré par Dieu !  Attend ton heure et pense à tes amours…

 

Il vide son verre et son visage s’assombrit soudain.

« Moi, ce qui m’inspire aujourd’hui, c’est la douleur de savoir que je ne reverrai jamais mon pays, la Pologne…

« Tu  regrettes d’être venu à Paris ?

«  Paris ou Rome… c’est ailleurs.  Je suis né à Varsovie. Je n’y remettrai plus les pieds.

«  Qu’en sais-tu ?

« La Révolution a fait de moi un paria.  Mais je ne regrette pas d’avoir choisi Paris.  On y rencontre des artistes extraordinaires.  Non ?

 

Franz est allé à la fenêtre, on entend des cris dans le boulevard, il l’ouvre et se penche.

« Des émeutiers, on ne sait trop à qui ils s’en prennent… Les Parisiens s’enflamment pour des broutilles…

« C’est vrai.  J’ai été stupéfait de la sauvagerie des spectateurs lors de la première d’HERNANI au Théâtre Français !

« Tu y étais ?

« Oui, avec mon ami DELACROIX.  Lui aussi était très choqué. Nous avons quitté un théâtre en plein chaos pour aller boire un verre chez Ruc, et là aussi, il y avait les pour et les contre, qui se bagarraient, complètement exaltés.

«  Et toi ? Qu’en as-tu pensé ?

« Que c’est une œuvre magnifique ! Un souffle nouveau sur le théâtre !  Le jeune Victor HUGO a toute mon admiration car il était là, debout sur la scène, à exhorter les gens au calme ! 

« Tu vois, tu quittes Varsovie en pleine révolution et à Paris les Anciens se battent contre les Modernes pour des motifs de dramaturgie !

 

Ils rient ensemble et finissent leur troisième verre.  Cette fois, CHOPIN se met au piano et improvise, cherchant la note bleue.

 

 

« Je ne la trouverai pas.  Il faut l’ambiance feutrée, érotique, d’un salon plein d’élégantes qui t’admirent…  Ici ; c’est tellement monacal !

 

Accoudé au piano, Franz considère le beau visage  du jeune CHOPIN.   Son teint pâle et le rose de ses pomettes révèlent déjà la maladie qui l’emportera vingt ans plus tard.  Ses mains fines aux doigts démesurément longs couvrent un tiers du clavier.

«  Tu vas  aller de conquêtes en conquêtes, mon cher Frédéric.  Quel est ton idéal féminin ?

 

CHOPIN s’arrête de jouer, pose ses mains sur ses genoux et son regard devient pensif.  Il finit par s’exprimer, les yeux fixés au plafond.

 

« Et bien… je rêve d’une femme énergique plutôt que belle, une sorte de garçon manqué… tu vois ?  Cela t’étonne ?  Oui, je suis las des évaporées qui battent des cils et ne cherchent que des aventures sans lendemain…

La femme que j’aimerai aura un métier, écrivain, peut-être, elle aimera la musique mais aussi tous les arts et partagera ce goût avec moi.

 

Le  clocher de l’église St Vincent de Paul sonne deux heures. La rue est calme.

Franz Liszt se lève pour prendre congé.

 

« Frédéric, je te laisse à ton rêve d’androgyne. Une dernière question : quel est le défaut que tu pardonnerais volontiers à cette femme ?

 

CHOPIN sans réfléchir, répond avec un sourire :

« Elle fumerait le cigare !

 

 

 

Ce fut quatre ans plus tard que CHOPIN rencontra celle qui fut sa compagne presque jusqu’à sa mort :  George SAND.

Leur passion connut des hauts et des bas jusqu’à leur rupture définitive en 1847.

 

Liszt, lui, filera le parfait amour avec Marie d’Agout, qui lui donnera trois filles, jusqu’à leur séparation à Venise en 1839 et l’entrée dans les ordres de Franz Liszt.

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