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MARTIN SCORSESE : "REVOIR MÉLIES"

Publié le par Miss Comédie

 

 

  Hugo-Cabret-Affiche-1-750x1000.jpg14 décembre 2011.  Le cinéma Le Marignan  à Paris est en train de se vider de ses spectateurs après la première projection de HUGO CABRET,  le dernier   film de Martin SCORSESE.

Dans un des fauteuils du premier rang, celui-ci attend la dernière image du générique de fin pour quitter la salle.  Les lumières s’éteignent peu à peu et le dernier spectateur est sorti.

Martin SCORSESE est seul.  Il est encore sous le charme de ce film qui ne lui ressemble pas.

Soudain une silhouette se profile sur l’écran comme un prolongement du générique et  SCORSESE sursaute car  il reconnaît Georges MELIES – le vrai, pas Ben KINGSLEY qui l’incarne dans son film.

 

 -Melies.jpg« Qu’est-ce qui  vous a pris, Martin SCORSESE, de faire ce film

sur moi  ? Vous devenez passéiste  avec l’âge ?

 

Abasourdi, SCORSESE ne répond rien.   MELIES poursuit  :  Ecran.jpg

 

-  Si j’avais cherché un metteur en scène pour raconter ma vie, j’aurais pensé à plusieurs Français dont j’admire le talent, mais jamais, jamais  à  vous, l’Américain,  l’auteur de TAXI DRIVER  !

 

 SCORSESE.jpgSCORSESE  enchaîne :

-  … et de LA DERNIERE TENTATION DU CHRIST !

 

-  … et de RAGING BULL, des GANGS OF NEW YORK, et de CASINO !    Vous êtes passé maître dans l’éloge de la violence. Et, tout à coup : HUGO CABRET.   Vous avez fait une conversion tardive ?

 

SCORSESE a  maintenant accepté le prodige et trouve même normal que MELIES se manifeste ainsi, s’échappant de sa propre histoire pour lui demander des comptes.

-  Allons, Georges MELIES, vous êtes trop intelligent pour ne pas avoir décelé le vrai ressort du film !

 

-  Le ressort… qui anime l’automate ?

 

Sur l’écran, le rire de MELIES répond  à celui de SCORSESE.

 

-  L’automate,  le mystère du carnet volé, les deux enfants en pleine enquête policière, tout ça… n’est qu’un prétexte pour amener la découverte d’un génie, le vôtre, monsieur MELIES !

  -  Tout ça pour ça !!

  -   Ne faites pas le modeste.  Oui, tout ça pour arriver à replonger dans la magie de votre cinéma.

  -   Cette magie  aurait paru bien pâlotte aux spectateurs si vous ne l’aviez entourée de tous vos préliminaires fantastiques…

  -   Par exemple ?   

 

    HorlogeEt bien,l’effrayante présence des rouages, des ressorts, des mécaniques déréglées, ces escaliers sans fin, ces grilles, cette horloge géante et ce petit  garçon perdu…   Il ne manque que  Robert de Niro pour nous faire croire que Hugo est un enfant de la mafia.  Finalement, mon histoire arrive comme un cheveu sur la soupe !

  SCORSESE s’agite sur son fauteuil :

  -  Comment ?  Votre histoire sauve le film !  Sans vous il ne serait qu’un documentaire sur la vie parisienne  entre deux guerres.   En réalité, Hugo croit chercher son père et il trouve Georges MELIES, le véritable inventeur de l’automate !

 

L’image sur l’écran se voile de brume.   SCIRSESE  se lève :

 

-  Attendez !   Restez encore un peu !   Vous  savez, tous ces préliminaires fantastiques, comme vous dites, ne sont que des artifices ! Les effets spéciaux, comme on les appelle ! Des trucages qui impressionnent mais n’ont pas le quart de la poésie et de la beauté de vos films !… C’est ça que je veux montrer aux gens, c’est ça qu’ils découvrent à la fin avec émerveillement : comment vous pouviez faire rêver un public avec juste des balançoires et des statues vivantes qui s’envolaient dans le ciel…

 

 decor.jpgSur l’écran Georges MELIES s’incline.

 

- Merci, Martin SCORSESE, merci...   J’ai compris. Mais il y a  deux petites  choses qui me chiffonnent dans votre film…

  -  Ah oui  ?   lesquelles ?

  - D’abord, pourquoi m’avoir rendu si méchant au début ?  Jamais je n’aurais malmené un pauvre garçon avec cette violence  !

  -  On comprend à la fin votre impatience… et vous devenez infiniment touchant.

  -  Oui, mais un spectateur qui part avant la fin emporte de moi une opinion désastreuse…

  - Dans mes films, personne ne part avant la fin ! Et quoi d’autre ?

  -  Et bien, voilà, pourquoi avoir organisé cette première pour des spectateurs malvoyants ? Ca n’est pas une bonne publicité pour votre film !

  -  Comment ça, malvoyants ?

  -  Oui, ils portaient tous des lunettes noires !

 

A cet instant, l’écran devient noir et le  rideau rouge tombe.  Les portes de sortie claquent.  Le cinéma va fermer.

SCORSESE n’a pas eu le temps d’expliquer à MELIES le  système 3D… un  trucage  de plus qui l'aurait émerveillé, sans doute...

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SAINT - LAURENT, PRIEZ POUR NOUS !

Publié le par Miss Comédie

 

 

  YSL-priere.jpgIls sont là tous les deux, attendant leur récompense, Yves SAINT-LAURENT et Karl LAGERFELD, sur le podium du concours de stylisme organisé par le Secrétariat  International de la Laine.

Nous sommes en 1954.   Yves SAINT-LAURENT a 18 ans, Karl LAGERFELD en a 21.   Ils portent le même costume sombre, chemise blanche, cravate noire.


 concours003.jpgils sont encore modestes, loin des excentricités qui vont marquer l’ère nouvelle.

Yves SAINT-LAURENT  a remporté le 1er prix dans la catégorie « robes du soir », Karl LAGERFELD le premier prix  dans la catégorie « manteaux ».

Ils sont maintenant armés pour  affronter  la gloire, ce qui ne saurait tarder pour Yves SAINT-LAURENT.  Karl LAGERFELD, lui,  devra attendre beaucoup plus longtemps  la consécration.

Aujourd’hui, ils sont l’un comme l’autre  aussi timides, aussi effarouchés, aussi peu conscient du destin qui les attend.

 

  yves-saint-laurent-h-robe-longue-en-velours-noir-1288866397.jpg- J’aime beaucoup le fourreau noir que vous avez créé, dit Karl de sa voix saccadée aux accents germaniques.

- Merci,  répond  Yves.   Votre manteau jaune est d’une originalité folle.

- Diriez-vous qu’il est « élégant » ?

-  Le manteau est un thème qui m’est moins familier. Mais pour parler de la robe du soir, je dirai que « l’élégance  c’est une robe trop éblouissante pour oser la porter deux fois. »    ( Heureusement, il a vite élargi sa définition de l’élégance…)

Haute couture, hautes sphères. Ils se séparèrent sans état d’âme ce jour—là mais leurs  trajectoires  allaient   se côtoyer avec   panache   au coeur de ces années flamboyantes où la Mode régna sur Paris.

 

 

 

 

 

 

Defile.jpg7 mars 2011. Défilé Prêt à Porter Yves-Saint-Laurent par Stefano Pilati à l’hôtel Salomon de Rothschild.

Comme à chacun des défilés de son successeur, Yves Saint-Laurent se glisse dans l’assistance et assiste à tous les passages.  Il est debout devant le backstage, tendu, nerveux comme il l’a été à chacun de  ses défilés, pendant toute sa carrière.

Aujourd’hui, l’ambiance est électrique car la collection a un bouche-à-oreille très flatteur. Les mannequins  sont parfaites, comme il les aime : hiératiques, racées.

 

Fillesjpg.jpgA côté de lui, une voix murmure :

« Tu as eu la gloire avant moi, mais moi, je suis vivant et je vois mes défilés.

 

 

SAINT-LAURENT sait que son ami Karl l’a toujours  admiré  et  jalousé.

- Crois-moi, Karl, je suis mieux là où je suis.  J’ai  rencontré  la sérénité. Regarde, mes mains ne tremblent plus.

 

- Es-tu satisfait de ton successeur ? 

 

-  Oui. Stefano PILATI  suit mon inspiration.  Il  a tous mes dessins en tête.  Il traduit les désirs des femmes d’aujourd’hui avec mes secrets d’hier.

 

-  Il fait du SAINT-LAURENT comme moi je fais du CHANEL, éternellement.

 

-  Préfèrerais-tu faire du GALLIANO et détruire la notion même de l’élégance ?

 

-  Ah, non !  Il faudra des décennies pour refaire l’image de DIOR.

 

SAINT-LAURENT soupire.

-  Mais est-ce que les femmes souhaitent  toujours  être  élégantes ?  J’en doute.

 

-   Moi non.   J’entre parfois rue Cambon et je vois des femmes qui ne sont pas des milliardaires, les yeux brillants en enfilant une de mes vestes. 

 

-  Tu as raison.    Regarde  le succès que remporte cette collection : les clientes du premier rang sont éblouies,  alors qu’on les croyait ciblées rock n’roll  !

Karl applaudit le passage sur le podium d’un manteau spectaculaire en marabout blanc.

-  Sublime.  Tu me bats ! Pardon, Stefano me bat !   Je m’en vais, j’en ai assez vu, tu es encore très présent, Yves.

Yves SAINT-LAURENT le retient :

- Attends !   Dis-moi, est-ce que tu vas toujours dìner à la Coupole avec ta bande ?

Karl ricane.

-  Je n’ai plus de bande, et la Coupole n’est plus dans le vent.

 

SAINT-LAURENT  est parti dans ses souvenirs :  24987-yves-saint-laurent-karl-lagerfeld-copie-1.jpg

- Nous avions toi et moi notre table réservée pour douze ou quinze, nous ne nous mélangions jamais, nos bandes se détestaient  et tout ça finissait au Sept jusqu’au petit matin…

 

-  Je n’ai jamais aimé ces débordements.  Toi, la nuit, tu étais un autre homme.

 

SAINT-LAURENT sourit  :

-  J’essayais d’oublier mes angoisses.  LOULOU DE LA FALAISE me communiquait sa gaîté.    Je viens de la retrouver, c’est un bonheur.  Et toi, Karl ?  Quand viendras-tu ?

 

Karl  émet un grognement de colère et   frappe  YVES  de son gant.

-  Tais-toi !  Ce monde-ci me convient très bien !  Je ne suis pas névrosé comme toi.  Adieu !

 

Karl LAGERFELD quitte le salon d’honneur de l’hôtel alors que les applaudissements frénétiques  saluent la fin du défilé.  

Cet  homme me  fera  toujours  de l’ombre.   Même  quand il est dans les ténèbres.yvessaintlaurent.jpg

 

 

 

 

(ndlr : cette conversation imaginaire est dédiée à Jacqueline et Martin, de la Maison Saint-Laurent, qui ont gardé la mémoire du Maître.)

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