UN CERTAIN MODIANO
UN CERTAIN MODIANO
Inlassablement, il marche dans les rues de Paris, égrenant ses souvenirs à la recherche du temps perdu.
Inlassablement comme Marcel Proust, il raconte ce qu’il croit avoir vécu, et sa mémoire est un gouffre vertigineux dans lequel il cherche à retrouver des repères.
Et pour les fixer à jamais, il les relate, roman après roman, comme les cailloux que l’on sème pour retrouver son chemin.
Lire Modiano, c’est tenter de démêler le vrai du faux parmi tous les indices accumulés soigneusement, détails insignifiants qui apparaissent comme des preuves et que l’on retrouve de livre en livre.
Ces personnages réels qui côtoient des fantômes, ces numéros de téléphone qui sonnent dans le vide, ces quartiers de Paris qui deviennent les lieux de rencontres hasardeuses, toutes ces amours fugitives qui ne portent jamais le même prénom et qui l’accompagnent dans sa fuite éperdue.
Les gens qui ont les pieds sur terre, les cartésiens, disent que Modiano écrit toujours le même livre et que rabâcher ses souvenirs n’a aucun intérêt.
Les autres, les rêveurs, les âmes sensibles , se plongent avec délices dans cet univers confus où la tragédie de la vie s’éparpille en réminiscences plus ou moins probable.
C’est là où l’imaginaire ajoute sa part de drame ou de volupté.
Je suppose que si les livres de Modiano cessaient de se vendre, Gallimard lui conseillerait amicalement de changer de registre...
Mais avec son prix Nobel ( l’Art de la Mémoire ) , son Goncourt ( Rue des Boutiques Obscures ) ainsi que ses multiples récompenses il peut continuer à soigner son amnésie sans déranger personne et ses romans continueront à s’arracher en librairie.
Marcel PROUST, lui, n’a qu’un seul best-seller à son actif, même s’il compte sept volumes sous le même titre. Mais quel titre ! A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU est notre credo à tous, comme AUTANT EN EMPORTE LE VENT, le Requiem du temps passé à jamais disparu , titre magnifique qui résume toute l’oeuvre de Marcel Proust.
Pourquoi le rapprocher de Patrick Modiano ?
Pour moi, leur point commun ne concerne pas seulement le récit très minutieux de leur jeunesse envolée, c’est surtout l’obsession du Temps qui passe et qui transforme dans notre mémoire les faits les plus anodins en fantasmes récurrents.
Mais la comparaison s’arrête là.
Car l’écriture de MODIANO possède l’art de suggérer l’infinie profondeur de la pensée à travers un style d’une ingénuité enfantine.
Dans ses phrases courtes, presque murmurées, se lisent tous degrés de la tristesse, toute l’étendue de sa solitude.
Chacun de ses livres est un carnet intime où il s’amuse à s’inventer une histoire, comme un scénario dont il reste le personnage principal entouré de figurants insolites, mais nous ne sommes pas dupes, c’est toujours lui le héros, il ne change même pas son nom et nous suivons ses aventures comme celles d’un ami proche.
Modiano, nous savons tout de lui. Nous connaissons son enfance solitaire privée d’amour, de lycée en collèges, loin de cet appartement du quai Conti où il est indésirable, dans ce Paris encore figé dans l’ambiance sinistre de l’Occupation.
Il était beau à fendre l’âme, cet enfant qui ne demandait rien à personne, et qui avait en lui les germes d’une revanche éclatante.
1968, il a 23 ans et publie LA PLACE DE L’ETOILE, son premier roman. Je me souviens de l’avoir lu à cette époque, sans vraiment comprendre ce qu’il contenait d’ironie amère dans ce récit où la fiction se mêle au vécu avec une violence juvénile.
Le roman a un succès fou . Alors MODIANO comprend qu’il est désormais libre de laisser parler sa mémoire,
qu’il n’y a rien qui soit plus important à écrire.
Livre après livre, il va nous rendre insatiables de ses souvenirs dormants que l’on connait trop bien, ces moments illuminés qui se sont évanouis à jamais et que l’on peut revivre à l’infini.
Nous sommes ses compagnons de route dans ce voyage sans fin.
Le temps passe vite, trop vite. Où en êtes-vous, Patrick Modiano ?
Miss Comédie