Dans un au-delà sans concerts de rock ni circuits de Formule 1, Elvis Presley et Juan Manuel Fangio s’ennuient.
Elvis pleure. C’est aujourd’hui le 8 janvier sur la Terre, le jour anniversaire de sa naissance. Il peut voir la foule se presser dans le Jardin de la Méditation à Graceland, où sa tombe disparaît sous les gerbes de fleurs.
Perdu dans ses pensées, il ne voit pas arriver un bolide casqué qui fonce sur lui et s’arrête pile avant de le percuter.
« Hola mec, y a de la place ailleurs !
L’homme, confus, retire son casque et formule des excuses d’une voix fluette qui contraste avec son visage taillé au couteau.
Elvis reconnaît Fangio le pilote fétiche d’Enzo Ferrari.
« Pardon, pardon, justement y a trop de place ici. Sur les circuits on est sur des rails Mais dis-moi le King, t’as un problème ? Pourquoi tu pleures ?
Elvis désigne la planète Terre, au-dessous d’eux.
« Tu les vois, en bas, se prosterner sur ma tombe ? C’est mon anniversaire et je voudrais être avec eux.
« Tu te sens seul, ici ?
« Oui, très seul. J’ai envie de me chanter « Are you lonesome tonight » mais là j’aurai pas le fou rire comme à Las Vegas !
Comme Fangio le regarde sans comprendre Elvis explique.
«Il y a une anecdote autour de cette chanson. Tu la connais ?
« Non, raconte !
« C’était pendant un gala à Las Vegas, je chantais cette chanson avec un ton éploré comme il se doit, quand brusquement j’ai été pris d’un fou rire impossible à retenir.
Fangio attend la suite, intrigué.
« Tu te demandes pourquoi, hein ? Voilà. Avant le concert ils avaient engagé une nouvelle choriste qui venait d’un orchestre philarmonique et elle s’est mise à faire des vocalises à la Maria Callas, tu vois le genre, moi j’étais pas au courant, quand j’ai entendu ça j’ai pas pu m’en empêcher, j’ai éclaté… et plus je voulais arrêter de rire, plus sa voix était infernale, j’ai ri comme ça pendant toute la chanson.
« Et alors ?
« Alors, le public a cru que c’était une variante que j’improvisais, et toute la salle s’est mise à rire en chœur !
« Et alors ?
« Alors les organisateurs ont cru que j’étais ivre, ils ont voulu me virer !…
Elvis éclate de rire à ce souvenir, imité par Fangio qui trouve l’anecdote poilante.
« Après ça, l’enregistrement « fou rire » s’est mieux vendu que le premier qui était carrément fleur bleue…
Fangio soupire. « Un grand chanteur ne sait pas seulement chanter, il sait aussi improviser avec le hasard.
Puis il enchaîne :
« Ca me rappelle une anecdote qui m’est arrivée pendant une course à Monaco, en 1950. J’étais en tête, sur mon Alfa Romeo, et devant moi il y a eu un terrible accrochage, 10 voitures se sont rentrées dedans au virage du bureau de tabac. Je ne pouvais pas les voir, j’arrivais à toute berzingue dans le virage, j’allais gagner, et pourtant… j’ai ralenti, ralenti, inexplicablement j’ai levé le pied et quand je suis arrivé sur eux j’ai pu éviter de les percuter.
Elvis le regarde, ébahi. Dans ses yeux il y a une question.
« A l’arrivée, ils se sont tous précipités sur moi : « Fangio, pourquoi tu as ralenti ? »
Ma réponse les a tous bluffés, et l’histoire a fait le tour du monde, et pourtant, c’est tout simple : j’ai ralenti parce que juste avant d’arriver au virage, j’ai vu la foule qui ne me regardait pas, moi le gagnant, mais qui regardait quelque chose devant moi, et j’ai compris qu’il devait y avoir du grabuge.
Elvis soupire. « Un grand pilote ne sait pas seulement piloter, il a aussi un sixième sens.