MES INTERVIEWS IMAGINAIRES : MARILYN MONROE
NORMA JEAN AU BOUT DE LA ROUTE.
5th Helena Drive, Brentwood, fin juin 1962.
La gouvernante Eunice Murray nous introduit dans la chambre de Marilyn. « Ten minutes, no more ! » nous dit-elle avant de se retirer.
Marilyn est en plein tournage de « Something’s got to give », qui ne se passe pas très bien. Elle a pris une journée de repos. Allongée sur son lit, elle semble dormir.
Nous sommes, la photographe et moi, pétrifiées d’émotion à la vue de la star dépourvue de tout artifice, d’une beauté angélique, presque immatérielle.
« Miss Monroë, merci de nous accorder un peu de temps…
Marilyn ouvre les yeux. Sa main droite pend dans le vide, blanche et potelée. Elle a déjà quelques tâches brunes, annonciatrices de la vieillesse qu’elle ne connaîtra pas. Impossible de distinguer les lignes de sa paume, qui forment, paraît-il, un M dans chaque main.
- Je ne veux pas parler de ce tournage, s’il vous plait…
Elle parle d’une voix enfantine qui donne le frisson.
- Nous voudrions vous parler des DÉSAXÉS, votre dernier film.
- Que voulez-vous savoir ? tous les journaux ont déjà tout dit.
- Vous avez dû éprouver un grand chagrin en apprenant la mort de votre partenaire, Clark Gable ?
Elle soupira, se souleva et saisit un verre d’eau posé sur sa table de nuit. Elle but une gorgée, puis se laissa retomber.
- Vous savez ce qu’on dit ? Que c’est moi qui l’ai tué. Pourquoi les gens sont-ils si méchants ?
J’adorais Clark, il était comme mon père.
- Mais il ne supportait pas vos absences répétées, vos retards…
- Il avait le coeur malade…. Le tournage était éprouvant pour lui. Il ne ù’a jamais fait un reproche.
- On a dit aussi que vous aviez essayé de le séduire ?
- Il était mon amant dans le film, nous avions des scènes très hot, cela ne veut pas dire que…
- Et Montgoméry Clift ?
- Il ne m’adressait pas la parole en dehors du plateau. Son accident de voiture l’a défiguré, physiquement et moralement. Il s’est refugié en lui-même… Avant, il était très sexy.
- Etes-vous très proche du Président John Kennedy ?
Elle sourit vaguement, presque amèrement.
« Le 19 mai dernier j’ai chanté pour lui devant dix mille personnes, on
entendait à peine ma voix tellement ils criaient… quoi, c’était une petite chanson, rien de plus, d’accord il y avait ma robe… un peu sexy, c’est vrai… Mais il a eu l’air heureux… Ca n’était pas mon idée, on m’avait demandé de chanter pour lui. Quelle actrice ne l’aurait pas fait ?
Elle ferma les yeux, tourna la tête pour cacher son visage. A ce moment, la gouvernante, entra dans la pièce.
- Miss Monroe, l’entretien a assez duré. Le docteur Greenson sera là dans dix minutes.
Elle prit un comprimé dans un flacon et le tendit à Marilyn avec un verre d’eau. Marilyn se redressa, son visage prit une expression de soulagement.
- J’ai grand besoin de lui…
Elle avala son comprimé et dans un mouvement d’une grâce infinie, elle
jeta ses jambes hors du lit et sauta sur ses pieds.
- Mes amies, je suis tellement désolée…
Elle alla vers la coiffeuse et se pencha pour étudier de près son visage. Sans maquillage, elle avait l’air d’une toute jeune fille. Tout en brossant ses cheveux blonds elle poursuivit comme pour elle-même :
« Je crains d’avoir parlé uniquement de moi… Toujours à me justifier…
Toujours coupable, Norma Jean…
La photographe et moi nous levâmes pour prendre congé. Il n’y avait pas eu un seul cliché de pris, c’était impossible, une sorte de viol. J’osai une dernière question :
- Miss Monroe, quel est votre meilleur souvenir de tournage ?
Elle arrêta le geste et la brosse à cheveux s’immobilisa en l’air.
- Oh… le meilleur souvenir ? Mon dieu, je ne sais plus… Les Hommes préfèrent les Blondes, peut-être… Jane Russel fut une merveilleuse partenaire, elle avait un cachet dix fois plus élevé que le mien, mais elle était sans prétention aucune, on s’amusait bien.
_ Et votre plus mauvais souvenir ?
Elle se raidit, avec une moue de révolte.
- Sans hésiter, Le Milliardaire ! Oui, un cauchemar, qui m’a laissée vidée de moi-même… Je n’aimais pas mon personnage. Chaque jour était une torture
et j’arrivais de plus en plus tard sur le plateau. La production a monté en épingle cette histoire avec Montand, pour la promotion… et pour me punir aussi !
- Merci, miss Monroe.
Ce sourire, qu’elle nous offrit à ce moment-là, s’évanouit quelques semaines plus tard, à jamais.