MES MOMENTS MUSICAUX DE L'ETE
ALEXANDRE THARAUD
La salle est petite, dans le bel espace culturel de la Halle à Dieulefit.
Il a pourtant choisi de jor là, devant un public restreint mais averti, après Aix en Provence, avant une ribambelle de villes où l’on se bat pour l’accueillir un soir.
Tharaud, l’enfant prodige qui parcourt le monde avec le même succès, sans tapage, sans éclipses, sans caprices.
Son talent se reconnaît dans un répertoire très large, de Scarlatti à Bach, de Ravel à Schubert.
Ce soir, il ne nous a pas étonnés avec les sonates de Mozart que l’on connaît bien, mais il nous a quand même bluffés avec l’impromptu D 899 de Schubert qu’il a enlevé avec fougue. Réinventé. Cet impromptu est trop connu pour ne pas lasser, parfois, sous des doigts trop académiques. Là, Tharaud semblait inspiré par on ne sait quelle affinité avec Schubert.
Que nous dit-on de cet impromptu ? Qu’il fait partie des huit impromptus que Schubert omposa en novembre 1827, après un voyage d’agrément à Gratz en compagnie de son ami Jenger, un an avant sa mort.
Alexandre Tharaud a choisi de jouer unr œuvre de Schubert dans le cadre d’un festival uniquement dédié à Mozart. A-t-il imposé ce choix pour répondre à l’invitation des responsables de Saou chante Mozart, alors qu’il ne se sent pas vraiment mozartien ? On ne le saura pas.
Mais peu importe : son bonheur de jouer était visible.
Sans chiqué, un sourire intérieur flottant sur son visage, il était seul, baignant dans un silence religieux, jouant les yeux fermés ces œuvres cent fois répétées et cent fois réinventées.
Avec son physique de premier de la classe, il provoque le même enthousiasme qu’une rock star.
Trois rappels exécutés avec le même entrain que s’il débutait son concert
Où s’en allait-il ensuite ? Où passait-il la nuit ? Ces artistes qui sillonnent la France au hasard des festivals sont des feux follets qui illuminent nos nuits d’été. Malgré notre élan vers eux, il ne faut pas songer à leur dire merci autrement qu’avec nos frénétiques bravos.
FESTIVAL DE PIANO DE LA ROQUE D ‘ANTHERON
26 juillet 2014
NICOLAî LUGANSKY
Nuit sans nuage, une brise légère, les cigales font silence.
L’ovation s’élève dès les premiers pas de Lugansky sur la scène.
La silhouette est toujours agile, le visage s’est un peu épaissi. Il est beau comme dans mon souvenir, il y a cinq ans, sur cette même scène.
Il porte un smoking. Non un costume noir classique, un smoking, les deux pans de la jaquette de part et d’autre du tabouret.
Le tabouret, il est déjà réglé, il ne fait pas le cinéma fréquent des pianistes qui ne sont pas à la (bonne) hauteur.
Il ne fait pas semblant de rentrer en lui-même, il attaque tout de suite les notes claires et vibrantes du prélude de César Franck.
C’est déroutant, tout comme la sonate pour piano de Prokovfiev, mais son choix s’adresse à des mélomanes avertis, et son exécution est si brillante qu’il n’y a qu’à absorber la Musique, sans se poser de question.
Il joue sans partition, dans un enchaînement de rythmes frénétiques ou langoureux, les notes sont en lui, au bout de ses doigts.
Il joue avec sobriété, avec cette élégance naturelle, laissant la musique exprimer d’elle-même ce qu’elle a à dire. La classe. Une classe folle.
Le spectacle est fantasmagorique, comme à chaque concert donné dans le Parc du Château de Florans. Cette conque acoustique qui s’élargit d’année en année pour envoyer les sons de plus en plus loin, de plus en plus haut sur les gradins exponentiels, est comme la voûte géante d’une base de lancement spatial.
En dessous, minuscule, le pianiste et son instrument, comme isolés du monde.
Lugansky nous fait grâce de gestes ou de mimiques qui pourraient détourner l’attention de la seule Musique.
Après l’entracte, les treize préludes de Rachmaninov, rarement joués, nous emportent dans une sarabande faite de contrastes, une succession d’allégresse et de déchirements qui nous révèlent les sources lointaines de son talent.
Quatre rappels très simplement acceptés et le bel exilé s’échappe, emportant avec lui les secrets d’une âme slave intacte.
1er Aout
NICOLAS ANGELICH et RENAUD CAPçON
Toujours le même charme d’un lieu magique, et le délicieux préambule d’un pique-nique sur la pelouse avant le concert, entourés des 365 platanes et de la haute garde des séquoïas centenaires.
Tout cela fait partie d’un plaisir renouvelé, intact, chaque année depuis vingt ans avec la découverte de pianistes venus du monde entier, parmi les plus talentueux.
Aujourd’hui, l’immense Angelich, avec le petit Capuçon. Lorsqu’ils arrivent main dans la main, au milieu des acclamations, on a envie de rire : Angelich est-il anormalement grand ou Capuçon anormalement petit ?
Question talent, ils se donnent la main Nicolas Angelich est célèbre depuis des années, il a partagé la scène avec les plus grands après avoir donné son premier concert à 7 ans.
C’était en 1977 et le piano est devenu son alter ego, son double.
Renaud Capuçon, lui, a intégré le conservatoire de Musique de Chambéry à 4 ans… et n’a plus quitté cette route musicale qui l’a menée au sein d’orchestres fameux en tant que premier violon.
Ce soir il joue sur ce violon mythique de 1733 ayant appartenu à Isaac Stern, sur lequel il a joué dans le court-métrage de Simon Lelouch « 7,57 am-pm » dans le métro parisien, dans l’indifférence générale…
Entre eux deux la complicité est évidente, dès le premier morceau. Ils ont choisi un programme entier consacré à Brahms, après plusieurs disques dédiés à ce compositeur enregistrés ensemble. L’exécution en est acrobatique et ne permet pas le moindre écart de synchronisation. Bluffant.
Ils ont sensiblement la même approche de cette musique toute en surprises, d’allégresse en méditation, on ne sait trop quels sentiments l’ont inspirée.
Il faut « aimer Brahms », sans se poser de question.
Première partie assez rasoir, sans élans d’aucune passion, juste la prouesse technique. Il faut quand même admirer la cohésion du duo qui, lui, semble parfaitement emballé par cette musique.
Après l’entracte, l’orage commence à gronder au-dessus des gradins. Des roulements de tonnerre qui n’annoncent rien de bon. On voit sortir les capuches, le public s’agite.
Mais les deux musiciens imperturbables, attaquent la 3ème sonate et soudain le charme opère : oui, Brahms peut nous émouvoir, en tout cas nous captiver.
Quelques gouttes de pluie tentent de nous distraire de cette écoute mais renoncent : le public les ignore.
Les deux interprètes achèvent le concert sous un déluge… de vivats et d’applaudissements frénétiques. Quatre rappels, toujours de Brahms, ils adorent. Nous aussi, finalement.
Il y a eu aussi du théâtre, un Dom Juan de Molière adapté et interprété par une jeune troupe pleine de fougue et de talent.
Le metteur en scène, Clément de Dadelsen, a joué la carte du respect de l’époque et a dirigé ses jeunes comédiens dans ce sens, le rythme de la langue de Molière restituant tour à tour la drôlerie et l’émotion pure.
La magie du spectacle opérait d’autant plus qu’il se déroulait dans le décor champêtre et charmant de la cour du « Petit Belvédère », propriété de Martine et Fabien Limonta, instigateurs de soirées littéraires ou théâtrales réutées chaque été dans la région de St Paul Trois chateaux, Drôme Provençale. Un vrai bonheur !
J’aurais voulu vous parler du Lucrèce Borgia de Victor Hugo qui se donnait dans la cour du cha^teau de Grignan, cadre merveilleux pour de grands textes du répertoire. Malheureusement, là, le temps n’a pas voulu se mettre en scène. Le spectacle a été annulé à cause de la pluie. Dommage.
Miss Comédie - Août 2014