MON COURT-MÉTRAGE
UN DINER CHEZ DALI
Un jeune garçon vêtu de noir accueille Jean et Gloria et les dirige vers une allée blanche bordée de grenadiers.
Il y a beaucoup d’invités dans l’immense patio à peine éclairé par des coupoles lumineuses et ouvert sur le ciel violet où s’allument déjà quelques étoiles.
Tout de suite, Gloria perd la trace de Jean. Happé par un groupe aux allures étranges, il ne s’intéresse plus à elle. Des rires fusent dans l’ombre. La galerie entourant le patio est peuplée de créatures de sexe indéterminé, arborant des tenues insensées.
Elle est en robe de percale blanche, chaussée de ballerines, personne ne remarque sa présence, elle est transparente.
Un plateau chargé de coupes de champagne passe, Gloria en prend une et la vide instantanément.
Autour d’elle personne ne parle Français. Elle ne comprend pas l’Espagnol.
Plus tard : une longue table de bois chargée de plats froids et chauds, de vaisselle en terre cuite. Deux énormes chandeliers en fer éclairent faiblement les convives, une dizaine d’hommes et de femmes placés au hasard. Gloria se retrouve assise entre deux précieux en chemise de soie blanche qui lui jettent un bref coup d’oeil puis lui tournent le dos.
Jean est face à elle, en discussion animée avec un homme aux cheveux noirs laqués.
En bout de table, ce personnage au turban c’est lui, Dali, en veste chamarrée, moustaches dressées comme des bois de cerf. Son regard foudroyant parcourt l’assemblée, cherchant sa prochaine cible.
Chacun aura droit à son apostrophe, plus ou moins incisive, à laquelle il faudra répondre par un éclat de rire.
Gloria cherche des yeux Gala. Elle n’est pas là.
A l’instant où Dali fixe les yeux sur elle, Jean devance l’appel.
- Amiga mia, dit-il seulement.
Dali lance sa flèche :
- Si c’est une fille, elle est d’une platitude sidérrrrale mais... mais !... Si c’est un garçon elle est d’une beauté astrrrale !
Toute la table éclate de rire et tous les regards se portent sur l’absence de poitrine de Gloria.
Le diner s’éternise. Les plats se succédent, les conversations deviennent assourdissantes, avinées. Gloria surprend soudain Dali dans un état de retirement troublant. Ses yeux fixent le vide avec une expression somnambulique. Il était absent, planant au-dessus d’eux dans une extase totalement égoïste. Elle eut alors l’envie de partager sa solitude.
Mais cette fuite ne dura qu’un instant. Il reprit possession de lui-même, il redevint tour à tour provocateur, sybillin, théâtral. Son regard ne croisa plus jamais celui de Gloria.
Maintenant elle marche le long des couloirs, elle gravit des marches, elle s’égare . Elle traverse des salons blancs et vides, sans un seul meuble.
Gloria cherche Dali. Elle a oublié Jean, elle ne cherche pas Jean, elle cherche Dali.
Elle entre dans une pièce vide en forme d’oeuf, et soudain rencontre le regard de Gala fixé sur elle. Un regard effrayant, magnétique. La photo est fixée au plafond et se balance, cadrant les yeux noirs et rien d’autre. Pétrifiée, Gloria soutient ce regard car il est le seul, ce soir, à s’intéresser à elle.
Mais très vite, elle tourna le dos à Gala car il est tard, il faut trouver Dali et lui parler, l’approcher, subir encore une fois son regard.
Gloria arpenta couloirs et galeries jusqu’au lever du jour sans jamais rencontrer le Maître.
On la retrouva au petit matin, endormie sur un banc de pierre de la Voie Lactée, l’allée blanche bordée de grenadiers. La maison de Port-Lligat était plongée dans le silence. Le jardinier appela un taxi.