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LES COURTS MÉTRAGES DE MISS COMÉDIE

Publié le par Miss Comédie

 

L’AMOUR CONJUGAL

 

L’ intérieur d’un café parisien.  Au fond de la salle, sur la banquette, une jeune femme lit un journal en buvant un café.  Elle est d’une beauté étrange, un peu slave, avec des yeux étirés aux paupières lourdes et de hautes pommettes pâles.  Ses cheveux d’un blond cendré, raides, sont tirés en arrière et attachés par un ruban.  Elle ne prête pas attention aux mouvements de la salle, au va-et-vient du serveur, aux clients assis autour d’elle.

Un homme vient s’asseoir sur la banquette, à la table voisine. Lui aussi a un journal à la main et commence à le déplier, tout en guettant le serveur pour lui commander un café et un cognac.

Il est grand et mince, brun aux tempes grisonnantes, son maintien révèle une aisance et une autorité d’homme du monde. Il porte une veste à chevrons sur une chemine blanche au col ouvert.

Ces deux personnages sont absorbés chacun dans leur lecture et sirotent leur café sans se presser, en gardant les yeux fixés sur leur journal.

Au bout de quelques minutes, l’homme dans son geste pour passer à la page suivante, bataille avec le grand format qui refuse de se plier, tente de discipliner les feuillets qui s’obstinent à lui échapper des mains, et dont l’un se détache pour faire un vol plané jusqu’à la table voisine où il atterrit sur la tasse de café.

Consternation, balbutiements, congratulations.   Chacun affiche la plus parfaite civilité, lui se confondant en excuses, elle affichant le plus gracieux des sourires.

LUI

Garçon, un autre café, s’il vous plait !

ELLE

Mais non, voyons, j’avais fini !

LUI

Et bien vous en boirez un deuxième et je vous accompagnerai, si vous le permettez !

Elle ne répond pas à cette invite mais baisse les yeux et re plie son journal.

LUI

Ah, vous lisez le Figaro Littéraire ? C’est drôle, je lisais le Monde Littéraire…

ELLE

Et oui, nous sommes jeudi…

Il se rassied à sa table et se débarrasse de son journal récalcitrant en le posant sur la table à côté.

Il la regarde.  Elle le sent, lève les yeux et lui sourit.

LUI

Vous êtes adorable.

Elle éclate de rire. Elle murmure « à ce point-là ? » et il rit à son tour.

Le client assis à la table contre la vitrine, près de la porte, et qui a assisté à la scène, ne les quitte plus des yeux.  Il voit deux étrangers soudain rapprochés par un incident infime se lancer dans une manœuvre de séduction qui le fascine.  Il n’a pas besoin d’entendre ce qu’ils se disent, il comprend qu’il la drague et qu’elle se laisse draguer. Les regards, les sourires, et maintenant leurs mains qui s’enlacent. Le client est ému à la pensée qu’il pourrait, lui aussi, vivre un instant pareil, il suffit de le vouloir, non ? Les jolies femmes ne manquent pas dans les cafés.  Le coup du journal, c’est un jeu d’enfant.

L’homme et la femme se lèvent, ils vont partir ensemble. Ils passent devant lui et il tend l’oreille.

ELLE

Et en partant ce matin, je parie que tu as laissé la fenêtre de la chambre des enfants ouverte ?

LUI

Raté, mon chéri. J’ai même acheté du pain pour ce soir.

 

 

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