L'INSTANT T THEÂTRE
TOUT CE QUE VOUS VOULEZ
Au théâtre Edouard VII
Cette pièce est comme le chapeau d’un prestidigitateur. Vide au début, bien vide, et puis après quelques manipulations, gesticulations, jeux de scène et entourloupettes, à la fin on voit sortir du chapeau un beau lapin blanc, c’est magique, le tour de passe-passe est fortiche.
Ici c’est un peu pareil. Ca commence comme un épisode de « Nos chers voisins », je n’en dirai pas plus.
Il est question d’un dégât des eaux, l’inondé vient se plaindre à la responsable à l’étage au-dessus, il tombe sur une jolie dramaturge qui est à cran car elle cherche un sujet de pièce et ne le trouve pas. Il se fait virer, il revient, le dialogue est une passe d’armes entrecoupée de sanglots et de confidences éplorées.
A ce stade j’étais très énervée car pour moi, la panne d’inspiration n’est pas un truc qui se règle en tapant du pied, c’est très douloureux et très intime, il faut au contraire se concentrer, rêver, faire le vide, bref cette fille hystérique m’horripilait. (J’oubliais totalement que j’assistais à une comédie.)
Mais… mais, heureusement, il y avait Stéphane de Groodt. Lui, tout auréolé de sa gloire d’humoriste très médiatique, était prodigieusement calme, sobre, intériorisé. On sentait qu’il était vraiment habité par son personnage car il ne fit aucun jeu de mots.
Pour lui j’avais envie de m’accrocher.
Bérénice Béjot, elle aussi auréolée de sa gloire d’actrice déjà un peu chevronnée, se donnait un mal fou pour exister. Premier rôle au théâtre, peut-être, mal dirigée probablement et pourtant, Bernard Murat… mais enfin.
Donc, je me demandais quel trait de génie allait faire basculer la pièce même si j’avais bien compris que le dégât des eaux allait se régler tôt ou tard par un débordement sentimental.
. Mais entre temps ?
Entre temps, et bien, l’intrigue a pris corps insensiblement, l’affaire de la panne devenait un souci majeur, le voisin s’intéressait davantage à l’inspiration de sa voisine du dessus plutôt qu’à ses mensurations, le suspense s’installait, et puis il y avait ce mari, là, qu’on ne voit jamais mais dont elle parlait beaucoup, n’allait-il pas changer la donne ?
On commence à dresser l’oreille. Cette page blanche, le charmant voisin s’ingéniait à la remplir envers et contre le gré de l’auteur, mais voilà, elle s’est laissée prendre au jeu et nous assistons, amusés, aux répétitions d’une pièce dans la pièce où l’on retrouve les mêmes personnages…
La ruse, c’est cette pièce enfin écrite qui se joue devant nous « in blue light » et qui fait un tabac (les applaudissement enregistrés sont communicatifs-) et puis le retour sur terre, et c’est là que la pièce bascule dans l’émotion devant l’étrange trouble de ce voisin qui devient soudain acteur de la pièce qu’il a aidé à écrire. C’est compliqué ? Ben oui, il faut aller voir la pièce.
La scène finale est effrontément happy end, avec ce baiser très attendu provocant une tempête d’applaudissements bien réelle cette fois dans la salle.
Le public est trop sentimental. Moi j’aurais fait une fin plus inattendue, une rencontre sous le signe de l‘ écriture, une entente dans les sphères de l’esprit, plus platonique que charnelle, beaucoup plus intéressante qu’un banal corps à corps. Mais aurais-je récolté cinq rappels et les cris de joie de ce soir ?
Avec « Le Prénom » et « Le diner d’adieu » Mathieu Delaporte et Alexandre de la Patellière sont devenus des locomotives dans le convoi des auteurs dramatiques contemporains. Ce duo-là a tout pour les faire rester en tête. Non ? Vous pariez ?
TOUT CE QUE VOUS VOULEZ, mise en scène de Bernard Murat, au théâtre Edouard VII à ¨Paris.
Miss Comédie