COURTS MÉTRAGES POUR L'ÉTÉ
L’EFFET TANGO.
Dans le taxi, une Mercedes bleu marine, je m’enfonçai dans le siège de velours pour revoir dans ma tête les moments précieux entre tous que je venais de vivre.
Le chauffeur était un beau garçon au type métis, jamaïcain peut-être. Chemise blanche impeccable, costume bleu marine assorti à la carrosserie. La radio jouait un tango argentin. Je le vis me guetter dans le rétroviseur. Il était en veine de marivaudage, je n’avais qu’une envie : me taire. M’enfermer, me murer.
- Vous aimez cette musique, mademoiselle ?
- Oui.
- Vous êtes très élégante, c’est une chose que j’apprécie chez les dames. Moi, voyez-vous, je ne pourrais pas travailler en tenue négligée. C’est qu’avant de faire le taxi, j’étais dans la couture...
Mon dieu. Après la couture... le taxi... Pourvu qu’il se taise enfin... Mais non.
- C’était une époque formidable. .. J’avais vingt ans...
Il ne me regardait plus. Il parlait pour lui, pour lui tout seul.
- J’avais une patronne, mademoiselle... C’était une dame exceptionnelle... 45, 50 ans... Très belle... Très élégante... Je suis tombé fou d’amour. Je peux vous dire, mademoiselle que nous avons été des amants heureux pendant presque trois ans... Si heureux... moi surtout... Elle, avait des complexes, elle me disait toujours, mais regarde-moi, j’ai des rides... Pensez-vous, des rides. Elle était belle avec ses rides.... Ah, je l’ai aimée follement...
Il conduisait comme un automate, les yeux fixés droit devant lui.
Il avait accaparé mon attention. Je l’écoutais. Mais il sembla s’éveiller d’un songe et ses yeux me cherchèrent encore dans le rétroviseur.
- C’est loin, tout ça... Pourquoi je vous raconte ma vie, dites ?
Je cherchai quelque chose à dire, une façon de lui prouver ma sympathie.
- C’est le tango...
Il tourna la tête vers moi, sourit de ses dents très blanches dans son visage bronzé.
- Oui... C’est le tango.