PHOTO GENIE : CARTIER BRESSON
L’INSTANT DECISIF DE CARTIER BRESSON
Oui, parce que ce regard n’a duré qu’une fraction de secondes, bien sûr, il fallait presque prévoir cet instant décisif pour appuyer sur le déclencheur au moment même où le mépris, le dégoût, la désapprobation, l’incompréhension, tout cela allait être fixé à jamais.
Et puis, au premier plan, comme séparé par un mur invisible, ce bloc d’indifférence en flagrant délit de modernité.
Ultime cerise sur le gâteau, elles ont entre les mains un exemple palpable de leur quotidien... ce qui pourrait faire croire à un photo montage... mais non n’y pensons pas, c’est juste un coup de bol du « tireur ».
Cette photo, contrairement à mes deux précédentes, ne pose aucune question, les réponses sont là, date, lieu, humeur : nous sommes aux Deux Magots à la fin des années soixante, en plein conflit des générations.
Si, il y a une question que je me pose : le photographe était-il là, posté depuis des heures à une table en face mais hors de leur champ de vision, pour attendre ce qu’il prévoyait peut-être ou plutôt ce qu’il espérait ?
C’est peut être la seule question qui compte pour expliquer cet instant décisif qui semble être pour Cartier Bresson l’équivalent de la « note bleue » pour Chopin – le moment où le doigt obéit à l’âme du tireur en pleine inspiration irrésistible, forcément infaillible. .
A l’entendre, il n’y a pa secret
« être sensible, essayer de deviner, être intuitif : s'en remettre au « hasard objectif » dont parlait Breton. Et l'appareil photographique est un merveilleux outil pour saisir ce « hasard objectif ». »
Il avait un côté pédagogue qui prétendait tout expliquer, mais comment expliquer son talent ?
Il a dit aussi
« La photo, c’est la concentration du regard. C’est l’œil qui guette, qui tourne inlassablement, à l’affût, toujours prêt. La photo est un dessin immédiat. Elle est question et réponse. »
La photo ci-dessus s’appelle « Le regard ».
Il détestait que l’on mette des légendes à ses photos :
« Laissons les photos parler d’elles même et, pour l’amour de Nadar, ne laissons pas les gens assis derrière des bureaux rajouter ce qu’ils n’ont pas vu ! ».... C’est envoyé !
L’homme n’était pas commode. Le photographe, pourtant, avait l’œil bienveillant pour les gens de la rue, les scènes d’exode ou de combat, les visages célèbres qu’il tirait à bout portant..
Quel parcours ! Quelle longévité ! Quelle diversité dans sa représentation du monde depuis sa période surréaliste qui faillit l’absorber définitivement, jusqu’à la création de la mythique Agence Magnum qui fut sa plateforme vers l’inconnu.
Et pour finir, nonagénaire, dans la quiétude des paysages alpestres, dans l’écriture, le dessin et la méditation.
Ce regard, il a dû le cueillir dans ses années parisiennes, il devait avoir dans les quarante ans et son œil devait savourer l’humour de la situation plutôt que son amertume – du moins je l’espère !
Miss Comédie