REGARDEZ, MAIS NE TOUCHEZ PAS, de Théophile Gautier, une pièce de Jean-Claude Penchenat
L'INSTANT THÉÂTRE
La nuit tombe sur cette place qui domine le vieux village de Grilllon que Jean-Claude Penchenat a choisie pour y planter le décor de cette pièce au titre mystérieux.
La malvoyante distingue, au fond de la scène, un très haut mur de pierres percé de fenêtres qui donnent sur le vide, sur le ciel qui s’obscurcit lentement.
Le plateau est vide, lui semble-t-il.
Mais des ombres se glissent sur scène, se mettent en place, la pièce va commencer.
Elle regarde, mais elle ne voit pas.
Elle entend la musique d’ouverture, une zarzuela martiale qui doit donner des ailes aux acteurs, , et le souffleur annonce le début de la « première journée ».
Très vite, on est au cœur de l’intrigue. Cette nuit, dans la forêt, le cheval de la Reine d’Espagne s’est emballé et la Reine aurait fait une chute fatale sans le secours d’un valeureux chevalier qui l’a recueillie dans ses bras.
Les dames de sa suite racontent et se lamentent, car le sauveur de la Reine risque la peine de mort, pour crime de lèse majesté : persibbe, à part le Roi, ne doit toucher à la Reine d’Espagne.
La malvoyante aimerait voir les échanges de regards sur les visages des actrices, surtout sur celui de Beatrix de Astorga , qui, émue par cet acte chevaleresque, promet sa main à cet inconnu, disparu dans la nuit, promettant de tout faire pour obtenir sa grace. Mais qui peut-il être ?
Un peu plus tard,elle ne voit pas non plus le visage du comte de san Lucar son vieil ami, qu’elle connaît pourtant si bien, Grand Maître de Cérémonie, impitoyable gardien du protocole, mais elle se régale du dialogue ente lui et son jeune neveu, le bouillant don Melchior de Bovadilla , qui va semer la zizannie à la Cour.
La malvoyante oublie qu’elle ne voit pas la même chose que ses voisins. Derrière elle, les rires la réjouissent, elle mêle son rire à ceux du public, elle est émue comme les autres.
Quand surgit sur le plateau, enveloppé de sa cape, essoufflé, échevelé, galvanisé, le jeune don Gaspard , « chevalier de fortune » , qui prétend être le sauveur de la Reine, la malvoyante regrette de ne pas voir son œil qu’elle devine de brause, ni ses traits juvéniles. Est-il plus beau que don Melchior ?
Les acteurs, pour elle, sont devenus des voix, des voix dotées d’un corps plus ou moins svelte, plus ou moins gracieux.
Avec l’entrée de don Gaspard, la pièce prend son second souffle.
Plus besoin de 3D pour frémir aux envolées de capes, aux croisement des épées, aux murmures de couloir, pour s’émouvoir d’une méprise dangereuse, d’un quiproquo à la Marivaux.
L’humour est omniprésent, distillé par des acteurs inspirés, portés par leur bonheur de jouer. La troupe est fusionnelle, les talents se conjuguent dans le même professionalisme.
Pas besoin de 3D pour découvrir la grâce d’une langue aussi pure que savoureuse, classique mais tellement actuelle.
C’est une comédie de cape et d’épée comme on les peaufinait au XIXème chez Hugo, Dumas fils ou Rostand.
C’est un régal.
A la fin, sous les premières gouttes d’un orage que Dieu a bien voulu retarder, le public debout manifestait sa joie, indifférent à la pluie.
La malvoyante m’a regardée (sans me voir !) et m’a serrée le bras.
« Quel bonheur ! j’ai l’impression d’avoir tout vu !..… »
A peine surprise, je lui dis simplement « Claro ! c’est la magie du théâtre ! »
Grand admirateur de Victor Hugo, dont il fut l’ardent défenseur de son « Hernani », Théophile Gautier écrit cette pièce en 1847 sous le titre « Ne touchez pas à la Reine ».
Elle fut créée au théâtre de l’Odeon à Paris en février 1847 et ne fut jouée qu’une fois
Jean-Claude Penchenat nous l’a ressuscitée et après l’avoir créée à Paris au Lucernaire en 2013, puis au Ranelagh en 2014, la troupe l’emmena en tournée autour du monde pour quelques 300 représentations. Ce soir, nous assistions à l’avant-dernière, à Grillon dans le Vaucluse, avant l’ultime adieu au public en Octobre dans le Maine-et-Loire…
Penchenat, œil malicieux, puits de culture, fervent admirateur de Balzac comme Gautier, est une figure majeure du théâtre populaire. Co-fondateur du Théâtre du Soleil, il a ensuite touché à tout, comédien de théâtre, acteur de cinéma, metteur en scène accompli, il est aussi bien l’homme du Bal que l’homme du Campagnol et les initiés le vénèrent.
Son grand défaut : la modestie poussée à ‘extrême. Son nom seul est connu, pas lui. Ce qui lui donne un attrait supplémentaire lorsqu’on découvre son sourire, sa gentillesse, son charme.
Miss Comédie
…
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