LA MER d'Edward Bond à la Comédie Française
Le rideau à peine levé, nous sommes saisis d’effroi.
Un violent coup de tonnerre déchire nos tympans, suivi du vacarme d’une mer déchaînée que nous devinons dans l’obscurité zébrée d’éclairs aveuglants.
Les spectateurs des premiers rangs sont durement touchés. Soudain des cris s’élèvent dans la tempête, les hurlements d’un homme appelant à l’aide. Sur la plage, une ombre passe, portant une lanterne. L’homme répond aux appels par des injures.
L’appel se répète, longues plaintes diminuant d’intensité pour se perdre dans le bruit des vagues. Puis c’est le silence.
L’homme à la lanterne est rentré dans sa cahute, c’est le garde-côte, on se demande pourquoi ce refus d’assistance.
Le rideau retombe.
Nous sommes tétanisés. La pièce promet d’être shakespearienne (la tempête…)
Mais le rideau se lève à nouveau sur une scène digne du Bourgeois Gentilhomme. Un marchand de tissus volubile s’évertue à vendre ses coupons à une madame Ratti réticente, exigeante, tonitruante (Cécile Brune, épatante) qui n’en voudra pas.
Cela va durer encore dix minutes où nous entendons ce drapier égrener des récriminations belliqueuses contre les méfaits des extra-terrestre sur les océans, selon lui à l’origine de tous les naufrages, puis il diverge sur les difficultés de vivre de son métier.
Sortie impatientée de madame Ratti. Rideau.
Surpris, le public est encore dans l’attente d’une montée du suspense.
Mais la pièce ne sera qu’une succession de tableaux alternant l’humour et le drame, retraçant l’histoire très banale d’un village vivant au rythme monotone des vagues de la mer du Nord, pour qui ce naufrage est un événement fauteur de troubles.
Je ne suis pas un critique mais une spectatrice naïve qui ne demande qu’à s’émerveiller.
Mais après ces premières dix minutes étourdissantes, et bien… voilà. On peut appeler cela un pétard mouillé.
Les comédiens Français sont à la hauteur de leur réputation. Ils se donnent à fond, ils sont formidables, on reconnaît le style de la Maison à la diction impeccable, à la vérité du jeu où tous les effets sont parfaitement maîtrisés. Ils sont à la fois détachés et habités, ils ne jouent pas un personnage, ils incarnent le personnage. Pas seulement les têtes d’affiche, mais jusqu’aux plus petits rôles, ils sont formatés « Comédien Français ».
Or, dans LA MER, nous avons vu de la fougue, de l’humour, de la cruauté, de la lâcheté, du chagrin, de l’amour, tout cela parfaitement fidèle au texte d’Edward Bond.
Alors pourquoi rien ne s’est-il passé dans nos rangs ?
L’émotion n’a pas passé la rampe.
Cette histoire nous a laissés complètement indifférents.
Cela s’est senti à la politesse des saluts, au petit nombre de rappels.
On dit parfois que « les acteurs ont sauvé la pièce ». Mais on ajoute aussi qu’il « faut leur donner quelque chose à manger », très vulgairement. Ici les acteurs, comme Alain Françon le metteur en scène, ont fait un travail magnifique. Ont-ils sauvé la pièce ? Les avis divergeront peut-être.
Le théâtre est un univers énigmatique. Chaque représentation est porteuse d’ondes positives ou négatives qui vont de la scène à la salle sans rime ni raison. Un vrai mystère transcendental, dirait Salvador Dali.
C’est à la Comédie Française, salle Richelieu, jusqu’au 15 juin.
Miss Comédie