MES INTERVIEWS IMAGINAIRES : MARIANNE FAITHFULL
MARIANNE FAITHFULL, Sister Morphine
Au Birdland, rue Guisarde à Paris. Nous sommes en 2009 mais j’ai eu envie de situer mon interview de Marianne Faithfull dans ce lieu qu’elle a dû fréquenter dans sa jeunesse, tel qu’il était en ce temps-là. Aujourd’hui ça n’a plus rien à voir.
Dans ce bar bondé, enfumé, la meilleure discothèque de jazz du moment, on ne s’entend pas. il y a là tous les musiciens américains qui vont accompagner Marianne FAITHFULL dans son concert à la Cité de la Musique. Ils occupent la plupart des tables. Au bar sont accoudés les habitués, des musiciens blacks en résidence à Paris, ici la clientèle est jazz, soul ou latino.
Elle est là, coincée entre son manager-boyfriend et un grand blond hirsute, bien entourée, bien gardée. Devant elle, un Coca. Comme on est en 2009, personne ne fume sauf elle. On sait que si on l’empêche, elle s’en ira.
Je me glisse à la place du grand blond qui, justement, sort fumer une clope.
Ca va pas être facile pour se faire entendre.
- Mick Jagger assistera à votre concert ?
Elle croit que la question vient d’une fille de sa bande.
- Non.
- Vous êtes brouillés ?
- Il m’a usée. On ne se voit plus.
- Vous vous sentez libérée ?
- Absolutely. Mick adore les animaux et les enfants, mais il n’aime pas les femmes. J’ai découvert ça trop tard.
- C’est tout une époque de votre vie, que vous effacez ?
- Non, je garde une grande amitié pour Keith Richards, Charlie Watts et même pour Anita Pallenberg, qui m’a trahie un jour mais passons. Cette fille m’a fait plus de mal que de bien. C’est elle qui m’a initiée au cannabis, quand même !! …
- Mais c’était la compagne de Brian Jones, non ?
- Oui, et elle est allée s’envoyer en l’air avec Mick
dans une « pe rformance » …qui a fait scandale et bien sûr je l’ai appris...
- Dans le film Performance de Donald Cammell ?
- Exactement. A l’époque j’étais enceinte de Mick et
j’étais partie me reposer en Irlande. J’ai reçu un tel
choc que j’ai perdu mon enfant.
- Vous étiez donc très amoureuse à l’époque ?
- I was deeply in love, yes. It was in… 1970… Cette enfant aurait… 39 ans maintenant, oh good lord ! Anyway, j’ai pardonné à Anita, mais pas à Mick Jagger.
- On dit que Keith Richards sera avec vous sur scène le 18 ?
- Non, hélas. J’aurais aimé qu’il chante avec moi… Mais il est devenu bourgeois, il fait très attention à lui, il a arrêté de boire… Il est trois fois grand-père, vous savez ?
(Elle rigole)
- Et vous, quand allez-vous arrêter ?
- De boire ? C’est fait. De fumer ? Jamais. C’est tout ce qu’il me reste.
- Non, de bosser, d’enregistrer, d’écrire, de chanter…
- Qu’est-ce que je ferais d’autre ?
- Vous vous occuperiez de vos petits-enfants.
Elle éclate d’un rire rauque, elle se met à tousser.
- Goodness no ! I should go to London… I hate London.
- Vous préférez vivre à Paris ?
- Oui, à Paris je me sens jeune !
On lui apporte ainsi qu’à son manager une assiette de chili con carne, le plat traditionnel et unique du Birdland. Elle se jette dessus, affamée.
Pendant qu’elle mange j’arrête de la questionner et puis le bruit est vraiment assourdissant. On entend à peine la voix de Billie Hollyday en fond sonore.
Mais Marianne enchaîne :
- Vous m’avez connue quand j’étais junkie ?
- Seulement par la presse et les films.
- Vous trouvez que je suis vraiment décatie ?
- Ah mais pas du tout, au contraire je trouve que vous avez maintenant un charme unique, envoûtant.
- Thank you.
- J’adore aussi votre voix maintenant. Au début vous aviez une voix très douce…
- Oui c’est vrai. C’est l’alcool et le tabac qui m’ont fait cette nouvelle voix. Moi aussi je la préfère à celle d’avant…
- Quand vous chantez la chanson de La Fille Sur le Pont, je meurs.
Elle me regarde et elle sourit.
- La scène est mortelle, non ?
-Elle allume une cigarette et me souffle la fumée dans le nez.
- Vous me donnez envie de fumer, mais moi je n’ai pas le droit !
- Ah ah, il faut savoir braver l’interdit, mon petit. J’ai passé ma vie à ça.
- Cet album « Easy come, easy go » c’est le combientième ?
- Vingt-cinquième ou trentième, je ne sais plus…
- J’adore les titres de vos albums. Ce sont des invitations au vice, à l’amour
ou à la désolation.
- Oui, je ne les choisis pas. Ils viennent tout seuls. Vous composez ?
- Non, je décompose.
- Ah, pas mal. « Décomposition », un titre pour la fin. Mon titre préféré c’est le premier de tous, celui que Mick et Keith ont écrit pour moi, j’étais encore
presque pucelle…
- « As Tears Go by » ?
- Sublime, non ?... Les larmes vont et viennent dans une vie, dont’they ?
La lumière s’éteint brusquement. La musique s’arrête. Panne de secteur. `Ca tombe bien, je ne savais plus quoi lui dire. Je me lève et à tâtons je vais vers la sortie. Pour une fois, c’est moi qui me barre, l’interviewée reste sur le carreau dans ce décor qui n’était qu’un prétexte.