MES INTERVIEWS IMAGINAIRES : JEAN ROCHEFORT
JEAN ROCHEFORT, CRIN BLANC !
Lyon, hôtel de la Tour Rose, dans un coin de l’immense bar.
Jean Rochefort est attendu par le comité d’accueil de l’Institut Lumière
où il doit participer à un hommage à Bertrand Tavernier.
Au cours de notre entretien, un chasseur vient lui remettre un pli qu’une inconnue
a déposé pour lui à la conciergerie.
C’est une lourde enveloppe que Jean Rochefort rend au chasseur en lui demandant
de le faire porter dans sa chambre. Il grommelle :
* Encore un manuscrit. S’ils pouvaient, ils viendraient me poursuivre dans les toilettes pour me déposer leur prose en mains propres… enfin presque propres, à cet endroit-là…
* Allez-vous lire celui-ci ?
* Qu’est-ce que vous croyez… Je suis coincé à ce colloque jusqu’à minuit passé, je m’écroule sur mon lit, je m’endors, et j’ai un TGV demain matin à huit heures.
* Alors qu’allez-vous faire de ce manuscrit ?
* Je vais le laisser sur la table de nuit pour le prochain client, il aura le
choix entre la Bible et ce texte inédit.
* Vous passez peut-être à côté d’un chef-d’œuvre ?
* Ben oui, mon cher il faut savoir prendre des risques dans la vie.
* Et cet auteur qui va vivre dans l’espoir que vous l’appeliez un jour…
* Bon, vous voulez me faire pleurer, vous ? Son texte, il a dû le déposer
chez une dizaine de confrères, sur le tas il y en aura un qui plongera.
Si ça se trouve, il sera beaucoup plus intéressant que moi, qui suis
sur la pente descendante.
* Bien, reprenons, si vous voulez bien, notre entretien…
* Ouiii ?
Tout « descendant » qu’il est, Rochefort a encore l’œil qui frise. Il me
regarde avec une malice un peu provocante, et attend la question
suivante.
* Jean Rochefort, quel est votre plus mauvais souvenir de tournage ?
* J’en ai plusieurs, mais celui qui ne risque pas de faire de la peine au
metteur en scène puisqu’il est mort, c’est le souvenir du Fantôme de la
Liberté, de Bunuel. Une torture. Des heures cloîtré dans une loge
inconfortable en compagnie des trois autres acteurs de la scène,
abandonnés grelottants, assoiffés, sans une indication, pour être
ensuite brusquement traînés sur le plateau et se voir attribuer des
places marquées à la craie sur le sol… sans un mot du réalisateur sur
nos rôles… Il faut dire qu’il était déjà très, très handicapé.Mais enfin on délègue ! On délègue ! Non ?
* Oui oui.. Quelle est la partenaire qui vous a le plus ému ?
* C’est Delphine Seyrig, au théâtre. Son souvenir m’émeut encore.
* Sa beauté ou son talent ?
* Sa voix. Je croyais détenir le pompon de la voix - si on peut dire… Mais sa voix à elle….une banderille ! Une estocade !
* A propos d’estocade….
* Vous allez me demander si j’aime la corrida ?
* Non.
* J’aime mieux ça. Je vous aurais giflé, mon vieux.
* Non, j’allais vous demander si vous vous souvenez de votre
premier amour ?
* Bel à propos ! Oui oui, elle s’appelait Blandice, c’était une jument blonde que je montais en dehors des heures de tournage, à
Rio de Janeiro.
* Quel est votre acteur favori ?
* Fernandel.
* Quel est votre héros favori dans la littérature ?
* C’était don Quichotte, avant qu’il ne me porte malheur ! J’allais enfin réaliser mon rêve, incarner ce personnage hors du commun, lorsque le tournage fut interrompu dans le chaos. Et moi, blessé, privé de cheval pendant des années… (il sanglote).
* Hum… excusez-moi. Et dans la vie réelle ?
* Bartabas.
* Que portez-vous de préférence lorsque vous sortez ?
* Des sabots.
* Comment aimeriez-vous qu’on vous définisse ?
* Comme quelqu’un de très chevaleresque.
NDLR : les anecdotes concernant le manuscrit déposé à l’hôtel et le tournage du Fantôme de la Liberté ont été vécues en leur temps par l’auteur.