LES AMOUREUX DE LA SALLE D'ATTENTE - scène 8
Un mois plus tard.
UNE ALLERGIE INSOLITE
La sale d’attente.
ELLE, LA DAME, LE PETIT HOMME
ELLE est assise, tout en noir, très élégante. Elle tient un magazine mais ne le regarde pas, elle semble tendue. En face, le petit homme, tout au bout de la rangée de chaises. A l’autre bout, une dame entre 30 et 40 ans, habillée avec recherche , chapeautée. Elle est en train de fouiller dans son sac fébrilement.
LA DAME, voyant qu’ELLE la regarde.
Excusez-moi, je m’agite, mais je crois que j’ai perdu mes clefs. Ah ! C’est affeux. Les clés c’est déjà la tuile, mais surtout le porte-clefs Hermès. (Elle marmonne) Un cadeau de mon ex. Non... (elle sort tout le contenu de son sac) ... décidément non... Et bien, c’est un signe... mon ex n’a plus rien à faire dans mon sac et surtout accroché à mes clefs, c’est vrai çà m’apprendra... Mais enfin quelle tuile... comment je vais rentrer chez moi...
(Elle remet tous les objets dans le sac et tapote sur son portable)
Allo chéri ? Je te dérange ? Oui ? Ah tu es en réunion... écoute, ça va pas être long, c’est pour te dire que je suis fermée dehors...
Non, pas dedans, (elle hausse les épaules) ... dedans ça serait pas un drame, non : dehors ! Dehors dans la rue, quoi, enfin là je suis chez le docteur tu sais bien mais tout-à-l’heure il faudra bien que je rentre, alors comment je vais faire ? ... Comment ? Mais je les ai perdues, les clefs ! Non ! Nulle part ! Merci, c’est vraiment sympa de ta part ! “Démerde-toi” c’est une très sympathique réponse, ça, je devrais savoir que je ne peux AB-solument jamais compter sur toi, et surtout en cas de coup dur.... Personne...il n’y a personne, un mur d’égoïsme... et imaginons que je sois répandue sur un trottoir, perdant mon sang, qu’est-ce qui arriverait ? Monsieur serait en réunion et sa femme décèderait dans la solitude anonyme d’un café dans l’attente d’un hypothéthique secours... Quoi ? Ton client s’impatiente ? Oui les clients sont là pour s’impatienter, ils ne comprennent pas les problèmes, c’est connu.... Bon, d’accord, je te laisse, et bien tu veux que je te dise une bonne chose avant de te laisser ? Ce soir tu ne trouveras personne à la maison, puisque je NE PEUX PAS RENTRER ! (elle hurle). Bon. Il a raccroché.
(Elle range le portable dans son sac, pose le sac sur ses genoux et se tient raide sur sa chaise, les yeux droits devant elle.)
Le petit homme a relevé le col de son manteau sur ses oreilles et on n’aperçoit plus que ses yeux fermés et son front dégarni.
ELLE, assez secouée, prend sur elle.
Ca m’est déjà arrivé. Vous appelez SOS clés et ils arrivent dans la demi-heure.
LA DAME
Et comment je trouve le numéro ? Mon Lady Dior est grand mais les Pages Jaunes ne rentrent pas.
ELLE
Vous pouvez téléphoner d’ici, je suppose qu’ils ont aussi un minitel...
LA DAME (boudeuse)
Je ne veux plus rentrer chez moi.
ELLE
Ah, ça... c’est une autre histoire. (Elle se plonge dans son journal).
LE PETIT HOMME (à peine audible)
Putréfaction.
LA DAME (après un bref regard dans sa direction)
Les hommes ne valent pas la peine qu’on se donne tant de mal pour eux. Ce matin, je n’avais pas envie de m’habiller, rien. Le ciel gris, le bruit...
LE PETIT HOMME, haineux
Incarnation du mal sortie de l’homme !
LA DAME (sans faire attention à lui)
... la routine infernale du quotidien... J’allais enfiler un méchant petit pantalon noir Agnès B avec un tee-shirt Gap, et basta... Et puis je me suis dit “non”. Il faut faire un effort pour Lui. Il faut créer l’exception, le surnaturel. J’ai choisi dans ma garde-robe l’ensemble Lolita Lempicka le plus sexy, et je me suis botté les fesses pour aller lui acheter un panier pique-nique chez Fauchon, tout ce qu’il y avait de plus rare, du hors-saison, hors normes, hors de prix, hors tout, et je lui ai installé tout ça sur une nappe blanche de Porthault à même la moquette du salon, pour que ce soit ludique, quoi, la fête ! la surprise ! La pause-déjeûner transformée en festin chez le roi Pausole, en agapes romaines, en déjeûner sur l’herbe !... Et une femme appétissante, changeante, imprévisible... Une INCONNUE !
(Un temps. ELLE boit ses paroles, fascinée. La Dame enchaîne sur
un ton détaché)
C’est une stratégie comme une autre pour les fidéliser... vous comprenez ? Mais une stratégie diffi-ci-le ! Qui demande du doigté ! De la persévérance ! De l’imagination ! (Elle marque un temps, guette la réaction d’ELLE) Et vous avez quoi en retour ?
(Elle se lève) “DEMERDE-TOI” ! (Elle se rasseoit) Voilà. On retombe sur terre, non ?
LE PETIT HOMME
Salmigondis.
LA DAME (le regarde)
Sale ami de qui ? Oh, et puis je vous ennuie avec tout ça. Je veux bien qu’on soit dans l’antichambre d’un illustre allergologue payé pour vous écouter... Mais vous... Excusez-moi.
ELLE
Non non... Je vous en prie. Je vous comprends très bien. Et même...
Je vous admire...
(A suivre)
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