SOUVENIRS MILLESIMES
Ma mère jouant du piano. Ca la prenait un soir, comme ça, quand elle revenait du travail et qu’elle n’avait pas envie de parler, elle s’asseyait devant le piano, soulevait le couvercle et restait quelques minutes immobile, comme cherchant dans sa tête la musique qui pouvait le mieux convenir à son état du moment. Elle fouillait dans le tas de partitions, en choisissait une et la plaquait sur le pupitre.
Encore une minute de concentration, les yeux fixés sur les notes, et ses mains commençaient à courir sur le clavier.
Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été fascinée par son jeu comme l’oiseau devant le sifflement du serpent.
J’arrivais en catimini, j’avais sept ans, puis dix, puis quinze et toujours sa musique me prenait à la gorge.
Je sais pourquoi maintenant. Je sais maintenant que je recevais sa douleur. Après sa mort j’ai compris beaucoup de choses sur ma mère. Je l’ai comprise trop tard, comme tout un chacun…
Quand elle jouait, c’était comme d’autres entrent en méditation.
Leur esprit s’évade de leur corps et la sérénité prend possession de tout leur être.
Je la voyais, habitée, les yeux fixés sur le papier ou bien fermés, son corps avait des élans vite réprimés, des balancements, elle scandait, elle murmurait pour elle toute seule.
Son mal de vivre passait tout entier dans ses doigts et se mêlait au mal de vivre de Chopin, de Liszt ou de Schuman.
Ma mère aurait été une comédienne hors pair.
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