PHOTO GENIES / IRVING PENN
Encore, oui encore, des génies de la photo on n’en fait pas le tour, et il suffit d’évoquer un nom pour qu’un flot d’images surgisse qui n’appartiennent qu’à lui, reconnaissables entre mille.
Pour IRVING PENN, le flot n’est pas précisément tumultueux… c’est un homme réservé, réfractaire à toute folie créative… Pourtant, il jouit d’une renommée égale à celle des plus grands photographes novateurs de notre époque.
IRVING PENN, pour moi, avant l’inventaire de ses multiples talents, c’est d’abord son inimitable art du portrait. Comme celui de Picasso dont le regard perçant est presque insoutenable.
Et puis tous les autres portraits, aussi impressionnants, de personnages illustrissimes, dont le regard est le point culminant dans un décor réduit à sa plus simple expression.
Les portraits de PENN ne ressemblent à aucun autres.
Pour atteindre au plus profond de l’âme de son modèle, pour abattre la cuirasse de son ego, il connaît les manœuvres d’approche qui créent la complicité et la confiance. Puisant dans l’art du portrait de peintres comme Le CARAVAGE ou GOYA, il réussit à donner à ses photos un relief pictural.
Pour moi, malgré sa notoriété imposée par le magazine VOGUE, le vrai rayonnement d’IRVING PENN provient de sa série de portraits.
On pourrait s’arrêter là et ce serait déjà une belle carrière. Mais le coup d’envoi déterminant de sa notoriété fut cette couverture du VOGUE International d’octobre 1943 réalisée à New-York sur la demande de son directeur artistique qui était un ami.
Cette couverture fut son coup de génie : elle représentait une nature morte, ce qui ne s’était jamais fait. Mais il avait lancé un style (et il réalisa lui-même par la suite 160 couvertures pour VOGUE, et pas seulement des natures mortes…).
Il n’en faut pas plus pour amorcer un bouche-à-oreille dans la presse ou ailleurs, et le nom d’Irving PENN a fait son chemin.
Lui, il n’est pas pressé et ce n’est qu’en 1950 qu’il répond à l’appel des sirènes de la capitale de la Haute Couture, ce Paris étourdissant qui le réclame, et il traverse l’Atlantique pour affronter le cercle très fermé des grands photographes de mode.
Il y avait là, quand même, un Richard AVEDON qui régnait en maître avec quelques autres caïds du genre.
L’univers de la mode, c’est spécial, il faut assumer.
La cohue des défilés, les rivalités des mannequins, le stress des créateurs en mal de reconnaissance,
IRVING PENN n’a pas aimé cette promiscuité. Les dîners mondains, les collections, le fatiguent.
Il s’installe dans un petit local rue de Vaugirard, lumière du jour, rideau de théâtre en fond permanent, et il photographie les top-models à sa manière, c’est-à-dire comme des portraits, pour lui l’essentiel était l’humain avant le vêtement, avant le décor. Il est alors dans un état de grâce, et il réalise une série de photos superbes qui seront publiées dans le VOGUE de septembre-octobre 1950 avec son modèle préférée, Lisa Fonsagrives, une ancienne danseuse qu’il a ramenée avec lui de New-York et qui deviendra sa femme.
IRVING PENN est maintenant reconnu comme l’un des plus grands de la photo de mode, avec un style et une manière de procéder qui lui est propre et qu’il n’abandonnera jamais : la prise de vue en studio.
Jamais d’incursion dans la rue ou la nature, jamais de décor construit autour du modèle, tout doit se passer dans l’intimité et la concision d’un fond en arrière-plan et du modèle, seul sujet de contemplation.
Il ira même jusqu’à se faire construire un studio mobile à la manière d’un mobile-home pour l’accompagner dans ses voyages.
Parce que PENN est un grand voyageur. Un an à peine après ses aventures dans les milieux du chiffon, il entame un épisode nouveau qui n’a rien à voir : LES PETITS METIERS.
Voilà qu’il s’est pris d’intérêt pour les métiers manuels, leurs outils, leur quotidien, leurs acteurs, et il sillonne les quartiers populaires des grandes villes pour mettre en lumière cette corporation qui travaille dans l’ombre.
Il ne fait pas les choses à moitié : un triptyque sera réalisé sur les petits métiers de Paris, Londres et Moscou…
J’oubliais : il est revenu à New-York, s’est installé dans un nouveau studio toujours aussi sommaire, et entre deux voyages il fait des photos de nus, spécialement des danseurs, il travaille sur de nouvelles techniques de tirage, il continue à faire des photos de mode dans le même esprit spartiate que VOGUE continue à publier jusqu’à la fin de sa vie.
Tout cela pêle-mêle, impossible de mettre une logique là-dedans, moi je vous le dis, sa botte secrète c’est le Portrait.
Et au fait : Qu’est devenue Lisa FONSAGRIVES ?
Miss Comédie