PHOTO GENIES : ROBERT DOISNEAU
ROBERT DOISNEAU
Cette photo m’intrigue. Elle me fait penser à un tableau de Hopper, avec là aussi une jeune femme pensive, tournée vers une fenêtre ouverte, à la recherche d’on ne sait quel souvenir, ou rêvant d’une mystérieuse rencontre, d’un amour impossible ou de l’envie soudaine d’une toilette extravagante pourquoi pas ?
Cette photo pose d’innombrables questions :
Et d’abord, où se trouve cet immeuble ayant pour seul vis à vis l’Arc de Triomphe ?
La jeune femme s’est-elle approchée de la fenêtre, intriguée par un bruit insolite venant de la rue, un cri, ou l’approche d’un orage ?
Est elle en proie à une immense douleur, un choc dévastateur qui la fait imaginer un instant de se jeter par-dessus la balustrade ?
Est elle à la recherche d’un appartement et s’arrête-t-elle, subjuguée, devant la vue époustouflante vantée par l’Agence immobilière ?
Hésite-t-elle avant de sortir, à prendre un manteau ou un simple blazer ?
Ou tout simplement à refermer la fenêtre à cause d’un courant d’air frais ?
Robert Doisneau a-t-il passé la nuit dans cet immeuble avec cette jeune femme rencontrée dans un bar, et l’a-t-il photographiée en train d’admirer l’Arc de Triomphe ?
Ou bien a-t-il résidé un temps dans cet immeuble et la jeune femme est-elle son épouse ?
En plus, Doisneau quitte rarement le pavé de Paris et sa faune pittoresque pour s’introduire dans les étages.
Que faisait-il donc là haut ?
On n’en finirait pas d’explorer le passé, le présent et l’avenir de cette femme devant sa fenêtre, et de se demander par où est passé le petit oiseau pour animer cette photo de l’intérieur.
Par quel courant magnétique le photographe a-t-il pu communiquer leur mystère à quelques photos de légende qui éveillent en nous des questions sans réponse, ou d’obscures réminiscences, c’est encore l’un des mystères de l’alchimie entre l’oeil du photographe et son modèle.
Chez Doisneau, chaque coin de rue, chaque passant, chaque clochard est une histoire vraie, vivante et pleine de questions.... Paris regorgeait de poésie et de mystères à saisir, il ne s’en est pas privé.
Itinéraire d’un gamin de Paris :
Robert Doisneau est né en 1912 à Gentilly (Seine et Oise) au 39 de l’avenue Raspail.
L’immeuble porte la plaque commémorative de sa naissance, ce qui démontre son immense popularité.
Depuis , une foule de rues, d’avenues, de squares, de salles d’expositions, ont fleuri sur le territoire français en hommage et reconnaissance au photographe célébrissime.
Sa célébrité n’est pas le fruit du hasard, il la doit à quelque milliers de clichés exposés durant des années dans tout ce qui existe comme lieux destinés à la contemplation d’images saisies par la grâce .
Ces images vestiges d’un Paris de l’après-guerre, Doisneau les a glanées en promeneur curieux , saisissant au passage ces images volées au temps qui passe comme cette photo-culte LE BAISER DE L’HOTEL DE VILLE, qui n’en finit pas de nous émouvoir.
Amoureux de Paris, Doisneau l’est aussi des paysages éternels de la France provinciale, des photos prises avec le coeur et relayées avec son inséparable Rollei Flex,
Robert Doisneau aurait pu continuer, avec son diplôme de graveur-lithographe, à dessiner pour des industriels si sa voie n’avait été détournée vers la photo grâce à un ami (c’est une stratégie qu’utilise couramment le destin pour nous ramener sur la bonne voie)
On le branche sur un labo qui le forme à la photographie et de fil en aiguille il se retrouve embauché chez le constructeur Renault comme photographe industriel.
Mais son manque d’assiduité et surtout la découverte de ses cartes de pointage falsifiées, le fait renvoyer au bout de cinq ans.
Mais la route était tracée. Il travaille avec l’Agence Rapho qui lui commande reportages sur reportages, dont certains seront publiés dans des magazines à diffusion internationale.
Voilà, c’est parti. Il photographie tout ce qui bouge, et particulièrement dans le Paris populaire des années d’après-guerre.
Il est catalogué « photographe humaniste », il est dans le vent avec plusieurs de ses confrères qui ont la même ambition. C’est pourtant lui qui tient le haut du pavé, ce pavé parisien qui lui inspire jour après jour ce fabuleux album du souvenir.
Il se marie en 1934 , à 22 ans, avec Pierrette Chaumaison et leur union dura toute leur vie. Elle partit la première, et il la suivit de près, inconsolable, il avait 81 ans.
O toi, l’amoureux de Paris, si tu existes encore quelque part au dessus de nous, et que ton regard cherche à se raccrocher à quelque merveille au coin d’une rue de cette ville aux trésors, détourne ton regard car Paris n’est plus ce que tu as connu, irrémédiablement.
Miss Comédie