HERNANI, BATAILLE POUR UNE REFORME
« La première d’Hernani » par Albert Besnard (1849-1934)
Depuis la nuit des temps, le monde est en perpétuel changement car l’immobilité c’est la mort. Cela se fait tout naturellement, mais certains êtres humains participent, volontairement ou non, à ce changement , provoquant ainsi des réactions qui peuvent tourner au pugilat, à la grève, voire à la violence.
Voyez la bataille d’Hernani.
Victor Hugo en a eu marre d’être soumis aux codes imposés par Boileau dans l’écriture dramaturgique.
Il écrivit une magnifique pièce de théâtre qui avait tout pour rendre fous les gardiens de la tradition.
Comme on n’est jamais trop prudent, il soumit la pièce à la censure royale et Charles X du moment qu’on ne touchait pas à sa majesté, donna son accord pour la représenter au Théâtre Français. Pour ce qui était de la censure littéraire, il laissait aux puristes le soin de se manifester.
La veille de la première, Victor Hugo convoqua chez lui son groupe d’amis intellectuels et artistes pour une lecture de la pièce.
Le bruit avait circulé que l’oeuvre piétinait certains tabous, mais lesquels, au juste ?
Tout émoustillés, toujours prêts à renverser les vieilles idoles, la jeune garde fit bloc avec la réforme.
Elle était de taille, la réforme : finie les trois unités, les alexandrins, la tragédie se mêlait à la comédie et le tout finissait par un drame.
Il fallait s’attendre à une levée de boucliers, ce fut un combat à mains nues et lancer d’injures . L’évènement resta dans l’histoire sous le nom définitif de « bataille d’Hernani ».
Le soir de la première à la Comédie Française, le 25 février 1830, la salle était pleine et l’ambiance survoltée entre les deux camps .
Les classiques et les romantiques déchainés, devenus ennemis par le seul motif de la forme donnée à un divertissement, donnant à ce prétexte la force d’un credo inaliénable.
Le peintre Albert Besnard réalisa une fresque de l’évènement.
Le tableau représente la salle Richelieu avant le lever du rideau. D’emblée on remarque l’agitation régnant dans un endroit où le calme et les mœurs policées dominent en temps normal ; « une rumeur d’orage grondait dans la salle », dira Théophile Gautier. Au premier plan, portant les cheveux longs et des vêtements excentriques en signe d’appartenance à la mouvance romantique, les partisans d’Hugo ne peuvent tenir en place. Plusieurs d’entre eux, la bouche ouverte, lancent insultes et quolibets à leurs adversaires. Sur la gauche du tableau, on reconnaît Théophile Gautier, bravant l’adversaire avec son torse bombé et son gilet rouge. L’un de ses alliés, monté sur la scène, semble vouloir singer les gestes et la pose d’un spectateur de l’autre camp. Entre ces deux personnages, tous les occupants des premiers rangs se regroupent en une cohorte informe, parcourue par l’effervescence de la joute oratoire qu’elle mène avec les autres spectateurs du balcon. Parmi les défenseurs de la pièce venus pour l’occasion, citons Gérard de Nerval, Alfred de Musset. La plupart étaient déjà là à l’ouverture des portes du théâtre en début d’après-midi et se sont livrés pour passer le temps à un chahut où les chansons l’ont disputé aux cris d’animaux. Entre les « pro » et les « anti » Hernani, la salle compte d’autres éminents spectateurs venus par simple curiosité. Parmi eux citons en particulier Chateaubriand.
Dès les premiers vers, la querelle est engagée. « Il suffisait, écrit Théophile Gautier, de jeter les yeux sur ce public pour se convaincre que deux systèmes, deux partis, deux armées, deux civilisations même, — ce n'est pas trop dire — étaient en présence, se haïssant cordialement, comme on se hait dans les haines littéraires, ne demandant que la bataille, et prêts à fondre l'un sur l'autre. »
(Michel Winock, dans L’HISTOIRE PAR L’IMAGE, juin 2012)
Le sujet de la pièce ? La mise en scène ? Les comédiens ? Tout cela n’était pas leur problème.
Les amours d’un proscrit avec la jeune infante dona Sol, les turbulences de la cour d’Espagne présentées avec le lyrisme et l’élégance de l’auteur des Misérables, tout cela passait au second plan, derrière la Réforme.
HERNANI fut un vrai succès, alimenté par le bruit de la bataille qui attisa la curiosité, et 39 représentations suivirent cette « première » mouvementée.
Victor Hugo avait 27 ans, il était déjà célèbre et devint grâce à cette bataille la coqueluche des beatniks de l’époque férus d’art dramatique et poétique, menés par un Théophile Gautier au gilet rouge et un Gérard de Nerval déjanté – mais aussi, malgré son âge (62 ans) un Chateaubriant admiratif et désenchanté.
La réforme d’HERNANI, si elle déchaîna les passions, annonçait la fin de la dramaturgie classique. Depuis, les alexandrins sont passés de mode et les trois unités sont passées au rancart.
Ce qui n’empêche pas les foules de se pâmer devant LE CID de Corneille ou BERENICE de Racine, sans parler des éternelles merveilles linguistiques de notre cher Molière !
Il faut se rendre à l’évidence, ça ne sert à rien de lutter contre les réformes.
Miss Comédie