YVES SAINT-LAURENT ET KARL LAGERFELD HÉROS DE ROMAN
L'HISTOIRE DE DEUX FIGURES DE PROUE RIVALES,
L'HISTOIRE D'UNE ÉPOQUE
Ca se lit comme un roman et c’est un roman qui a duré quarante ans.
Le destin parallèle d’Yves Saint-Laurent et de Karl Lagerfeld m’a tenue
en haleine dans le livre de Alicia DRAKE.
Quelle somme d’interviews, de documents consultés, de rencontres et aussi de psychologie, dans cette fresque qui épate par son impartialité !
J’ai revécu au fil des pages toute la flambée créative des années soixante, soixante-dix et quatre vingt, que j’avais subie sans le savoir.
J’avais vécu ces années en admirant ces deux hommes (surtout YSL), et portant leurs vêtements, (surtout ceux de YSL) en écoutant leur musique, en jouissant de l’immense liberté qui régnait alors…
HALETANT
Je ne soupçonnais pas quelles intrigues, quelles jalousies, quelles rivalités entre ces deux hommes et leur cour.
Je ne savais pas, lorsque j’allais au Sept ou au Palace, qu’autour de moi circulait de la drogue, des regards lourds de désir sexuel exclusivement réservés aux hommes… Il est vrai que j’y allais accompagnée de comédiens homos de mes amis, et je me fondais dans leur groupe, mais leur groupe était de ceux qui arrivaient tôt et partaient tôt. Nous n’avons jamais vu les fins de partie, avec leurs épaves titubant sur le trottoir.
EMOUVANT
Mais surtout, je n’imaginais pas une seconde la souffrance qu’a enduré Yves SAINT-LAURENT tout au long de sa carrière glorieuse, ses efforts pour surmonter sa faiblesse, ses moments de découragement, ses recherches infinies pour arriver au style suprême, son style.
Je ne me doutais pas de l’appui inébranlable que lui a prodigué Pierre BERGÉ, que je tenais pour un arriviste au coeur dur.
Je ne me doutais pas de son « amour fou » pour Yves STAINT-LAURENT.
Je ne connaissais pas sa « famille » : Loulou de la Falaise et son mari Thadée Klossowski, Betty Catroux, Anne-Marie Munoz, et son fidèle Jean-Pierre directeur du studio, et Felisa la « première » adorante, tous emplis de dévotion et d’indulgence, Yves était souvent « souffrant », ils le soutenaient, ils le comprenaient.
Du côté de KARL LAGERFELD, j’ai eu davantage encore d’étonnement à
découvrir sa jeunesse de grande folle perchée sur talons hauts, entouré d’une horde d’artistes américains à la sexualité débridée, sans aucune inhibition, se moquant de lui à longueur de journée pour son comportement
anachronique, son goût pour les déguisements historiques, sa passion pour les livres et la culture, et qui faisait mine d’ignorer leurs sarcasmes.
Il les hypnotisait, cependant. Par son talent de styliste, par son allure et ses antécédents aristocratiques, et surtout, surtout : par sa facilité à dépenser de l’argent. Ils vivaient tous à ses crochets, à Paris, à St-Tropez en vacances, en voyage à New-York, rien n’était trop beau, rien n’était trop cher.
Je ne me doutais pas que certains soirs à la COUPOLE, je dînais à quelques mètres de cette bande de fous qui s’amusaient à se draguer, provocants, choquants : Karl LAGERFELD, Antonio LOPEZ, Juan, Donna, Corey, et plus
tard : Jacques de BASCHER.
D’où venait-il, celui-là, dont je n’ai jamais lu ni entendu le nom en ce temps-là ?
Il a pourtant joué un rôle primordial dans l’évolution du groupe, il a inspiré Karl jusqu’à sa mort, il a été son protégé, son amant, son fils adoptif, sans jamais avoir eu droit à un statut officiel.
Ce personnage d’un romantisme fou, parfaitement hors de son temps, beau comme un dieu, d’une élégance suprême, sans aucun talent hors celui de charmer, fut l’une des premières victimes du sida.
Le sida. Je réalise aujourd’hui que j’ai vécu les années les plus importantes de ma vie d’adulte à une époque où l’on ignorait encore ce virus.
Le livre décrit formidablement bien l’écroulement d’une société qui soudain découvrait l’interdit.
Yves SAINT-LAURENT et KARL LAGERFELD ont échappé à cette malédiction,
eux qui pourtant ont abusé des aventures aléatoires et des amours d’un soir…
Le talent a-t-il joué un sôle salvateur ?
Alicia DRAKE brosse deux portraits d’une précision impressionnante, étayés par les notes de la fin qui prouvent l’authenticité des faits.
L’émotion est là, à chaque page, surtout lorsqu’il est question de la carrière d’Yves, avec ses collections de plus en plus inspirées et ses succès planétaires, entrecoupés de ses trébuchements et ses sursauts de phénix.
La vérité est là, imparable : Karl LAGERFELD a toujours souffert de l’ascension fulgurante d’ Yves SAINT-LAURENT. Ensemble ils avaient pris leur envol mais YVES avait su capter l’héritage de Christian DIOR.
KARL a dû attendre trente ans pour capter celui de CHANEL.
Il a assisté à un bouleversement : la disparition de l’esprit « haute couture » au profit d’une mode proche des femmes, le prêt-à-porter, emblématique du style Saint-Laurent.
De ce que je connais de Karl LAGERFELD à travers son comportement médiatique, je ne m’étonne pas d’un détail dont le livre ne cache pas l’importance : Karl a mal vécu cette rivalité et l’a entachée de critiques
mesquines, de piques et de pointes contre Yves qui fut son ami.
Moche. Malgré ses grands airs, ce n’est donc pas un gentilhomme.
Je ne me doutais pas, enfin, que Karl LAGERFELD avait aujourd’hui 77 ans.
Je lis en ce moment le Houellebecq. J’aurai certainement beaucoup à en dire … à moi-même, naturellement.