UN DINER D'ADIEU
Comment mettre fin à une amitié de trente ans devenue encombrante ? En l’invitant à un dernier dîner, sans qu’il soupçonne que c’est un dîner d’adieu.
C’est le sujet insolite de cette pièce de Mathieu Delaporte et Alexandre de la Patelière, qui avaient déjà œuvré ensemble pour LE PRENOM. Belle référence.
Ici l’on quitte, ouf, le boulevard du libre échange et des turpitudes conjugales pour naviguer dans les méandres nébuleuses de l’amitié.
Plus question de sexe mais toujours de rupture et ici, elle fait mal. Vous allez me dire « ah, donc on ne rit pas. » (si on n'y rit pas on n’ira pas…)
Détrompez-vous. Quand on a sur scène deux natures aussi diamétralement opposées que Eric Elmosnino et Guillaume de Tonquédec, (qui sont de vrais copains de théâtre) et bien non, on ne riit pas, on pleure. Au milieu, la belle Audrey Fleurot joue l’épouse, spectatrice faussement naïve de leur pugilat avec beaucoup de drôlerie.
Dès l’entrée en scène de cet ami invité pour la dernière fois, on sent que ce dîner d’adieu est une fausse bonne idée.
Entre ces deux-là, l’échange est exquis. Ils sont de force égale, même si Elmosnino a la grâce et le métier d’une star.
Les auteurs de la pièce ont la cruauté de leur demander des jeux de scène insensés, de mener l’affaire sournoisement vers un dénouement imprévisible, de nous balancer des répliques et des monologues de haute voltige, dont celui d’Elmosnino qui dure cinq minutes et où il se lance dans un show hallucinant. Soudain seul au monde, il murmure, il déclame, il soupire, il donne à ses effets une touche de retenue qui provoque l’explosion de rires. Comment fait-il ? Les autres surjouent. Lui, il fredonne et ça percute, il se permet un certain détachement, un peu gainsbourien, peut-être ?. L’efficacité est jubilatoire.
La pièce s’offre parfois des délires à la Ionesco, le texte mêle joliment les effets comiques et les envolées lyriques… la quadrature du cercle, quoi.
En sortant, dans ce délicieux square Sacha Guitry, on est heureux et confiant en l’amitié. Et surtout pas honteux d’avoir ri.
A voir d'urgence au théâtre Edouard VII, mise en scène Bernard Murat.
Miss Comédie - Septembre 2014