STANLEY KUBRICK & ORSON WELLES, rencontre
Octobre 1978. Childwickbury House (Hertfirdsgure) au sud de Londres. Dans son manoir entouré de bois et protégé comme une forteresse, Stanley KUBRICK travaille sur le montage de son prochain film SHINING. Il est de mauvais poil. Stephen KING, l’auteur du roman qui a inspiré le film, vient de lui renvoyer le scénario : il ne l’aime pas. Il ne retrouve plus rien de son roman, à part les personnages principaux et l’hôtel hanté. Il lui a fait savoir qu’il refusait de figurer au générique du film. La tuile, car Stephen KING est un écrivain phare aux US.
Dans la salle de montage installée dans les écuries du manoir, KUBRICK est assis dans l’ombre et repasse en boucle la scène où Wendy et son fils Dannys s’engouffrent dans le labyyrinthe.
« Il n’y a pas assez de menace dans ce labyrinthe ! On les croit à la fête foraine…
KUBRICK se retourne.
« Si tu t’occupais de ta promo de FILMING OTHELLO et me laisses avec mon labyrinthe…
« Stanley, ne le prend pas mal, mais question labyrinthes, je m’y connais ! Tu te souviens peut-être de mon film LA DAME DE SHANGAÏ ?
« Ah oui ! La tuerie dans le labyrinthe de miroirs…
« Avoue que c’était un autre traquenard que tes couloirs en feuillages.
« Mais enfin, on n’est pas dans le même univers, Orson ! Je fais un film d’horreur où l’horreur ne doit pas se voir, mais se deviner, se faire attendre jusqu’à l’insupportable, je ne veux pas d’effets visuels qui casseraient la tension nerveuse !
« OK. Mais ton labyrinthe est quand même très accueillant !
« Stephen KING ne le trouve pas accueillant, il le trouve inepte ainsi que l’ensemble de mon scénario, et il est furieux que j’aie changé la fin.
« Je le comprends un peu !
« Dans son livre Jack meurt dans l’incendie de l’hôtel, et moi je le fais mourir gelé dans le labyrinthe.
Orson WELLES éclate de rire.
« Oui, c’est carrément l’esprit de contradiction !
« Je le fais comme je le sens.
« Tu enchaînes des films qui n’ont aucun point commun. Après BARRY LYNDON, tu passes au film d’horreur…
« Ne me parle pas de BARRY LYNDON, le plus beau bide de ma carrière. Tu n’as
jamais connu ça, toi.
« Moi ? Et mon DON QUICOTTE qui n’a jamais vu le jour, c’est pire ! Moi, après CITIZEN KANE, j’ai cru que le monde m’appartenait. J’ai pris un ego de pharaon. Fais gaffe : si tu fais un succès mondial, tu ne seras plus jamais satisfait. Tu seras condamné au succès. Tu passeras le restant de ta vie suspendu au box-office. C’est ce qui m’est arrivé. Après CITIZEN KANE je n’ai fait que descendre. Et ça ne tient pas à la qualité du film ! Non, c’est seulement que le hasard est maître du jeu.
KUBRICK hoche la tête.
« Je sais. Moi, j’attend mon CITIZEN KANE, film après film mais chacun d’eux est un remède à mes tourments. Ca me suffit. Je méprise la profession et ses honneurs.
« Tu dis ça mais tu aimerais bien présider le jury des Césars ou du Festival de Cannes ! Je t’assure que c’est assez plaisant !
KUBRICK hausse les épaules. Il débranche la table de montage et prend Orson WELLES par le bras.
« Allez, on rentre. J’ai un bourbon d’Ecosse hors d’âge. Toi et moi, nous avons renoncé à la silhouette Beau Brummel, tu pèses combien ?
« J’ai dépassé les cent kilos mais je mesure quelques inches de plus que toi !
« J’avais dix ans quand tu as affolé les Etats-Unis avec ton canular radiophonique Les Martiens arrivent sur terre ! A l’époque tu étais beau comme un jeune premier, et un peu plus tard quand tu filais le parfait amour avec Rita HAYWORTH, je t’enviais beaucoup. Moi j’ai toujours été laid.
« Veinard, tu ne t’es pas vu vieillir. Et tu as gardé ta femme. Moi, elles m’ont toutes quitté, même Jeanne MOREAU !
Sortant de la salle de montage, ils marchent dans le parc éclairé par la lune, entourés d’un monde végétal envahissant et protecteur à la fois. Le monde de KUBRICK Après un moment d’un silence fraternel, Orson demande :
« Tu as quel âge, Stanley ?
« Cinquante ans.
« J’ai 13 ans de plus que toi et je suis au bout du rouleau. J’ai tourné mon dernier film il y a trois ans. C’est fini. J’arrête. Plus envie.
Dans le fumoir, KUBRICK sert un verre de bourbon à Orson WELLES qui allume son dixième cigare de la journée.
« Orson, tu feras d’autres films. F COMME FAKE n’est pas une conclusion.
« Mais si ! Justement ! VERITÉS ET MENSONGES le titre français, le dit bien ! Je suis un prestidigitateur et je raconte l’histoire du plus grand faussaire de tous les temps Elmyr DE HORY, dont les copies de grands maîtres ont trompé les experts du monde entier. Tout ici-bas n’est que mensonge mais l’illusion est universelle.
KUBRICK l’a écouté attentivement.
« Je te rejoins complètement. Mon dernier film sera semblable au tien. Je l’appellerai EYES WIDE SHUT et personne n’y comprendra rien.
Orson WELLES lève son verre , il lance un défi à KUBRICK :
« Je te parie que tu n’oseras pas terminer le film sur un mot-clé qui sera ta conclusion claire et nette !
« Quel mot, Orson ?
« FUCK !
Ils trinquent en riant et boivent leur whisky cul sec. Le pari a été tenu.
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