PICASSO et woody ALLEN
Cannes, vendredi 13 mai 2011. Deux heures du matin. Woody ALLEN arrive dans sa suite de l’hôtel Martinez. Il est exténué, la présentation de MIDNIGHT IN PARIS a été un succès, suivie de mille salamalecs. Il est rôdé, c’est sûr, mais il a 75 ans.
Il allume la lumière du salon. Dans l’un des fauteuils est assis un homme.
Woody a un sursaut. Qui est-ce ? Comment est-il entré ?
L’homme n’a pas l’air agressif. Woody le reconnaît soudain. Il se croit revenu dans son film. Voilà ce que c’est que de jouer avec les voyages dans le temps.
« Mais… vous êtes PICASSO ?
L’homme décroise les jambes et se cale un peu mieux dans son fauteuil.
« Claro que si. Yo soy Pablo PICASSO. Vous me reconnaissez ?
« Oui, je vous reconnais… mais vous mais je… how do you do ?
« Alors pourquoi les gens ne me reconnaissent pas dans votre film ?
« Euh, well I think they do, but you know it’s difficult to appreciate …
« Vous m’avez donné les traits d’un fantoche.
« Mais Marcial di FONZIO BO est un immense acteur !
« Caramba ! Il n’a pas ma carrure, mon charisme, mon regard !
Woody est anéanti.
I am sorry, sincerely, I believed…
« Un film qui doit diffuser mon image physique à des millions de spectateurs… Mes œuvres parlent toutes seules, le monde entier les reconnaît entre mille, mais moi, moi, l’homme PICASSO, croyez-vous que ce ne soit qu’une marionnette ? J’étais beau, je tombais plus de femmes que vous et je ne me taisais pas, moi !
Woody ALLEN a l’œil qui s’allume. Il récupère vite ce genre de situation.
« Oui, oui bien sûr, vous étiez beau. D’ailleurs, combien de femmes avez-vous séduites ? Je veux dire… combien, à peu près ?
PICASSO se frappe le front.
« Séduit ? Mille, peut-être. Seulement trois ont compté pour moi. Et celle de votre film, Adriana, nada. Fausse information.
« Oh ? Sorry I read it in a book…
« Tout a été écrit sur moi. Sauf la vérité. C’est ce qui arrive à tous les mythes.
Woody pense à présent à enlever sa veste de smoking, et à ouvrir le mini-bar pour en sortir une bouteille d’eau minérale.
« Vous voulez de l’alcool ?
« Les fantômes ne boivent pas.
WOODY avale une gorgée de Badoit et prend un ton de conspirateur.
« Listen, Mr. PICASSO, oh, may I call you Pablo ? Thanks Pablo, il y a quelque chose que je voudrais vraiment savoir …
« … sur le sexe ?
« No no…
WOODY cherche ses mots, comme d’habitude.
« Pablo, j’ai fait beaucoup de films. Beaucoup moins que vous avez peint des tableaux, beaucoup moins. Mais quand je les passe en revue dans ma mémoire, maintenant, je me dis… Lequel garderais-je si tous les autres devaient disparaître dans la nuit des temps ?
« C’est très abstrait comme démarche … et alors ? Lequel ?
Woody prend l’air affligé.
« Aucun ! J’ai l’impression d’avoir perdu mon temps. Je n’ai rien fait d’important.
PICASSO fixe WOODY ALLEN de ses yeux noirs de jais.
« Important. Ce qui est important pour les uns est poussière pour d’autres.
WOODY suit son idée et s’anime :
« Alors voilà, ma question est : Pablo ? Si vous ne deviez garder qu’une seule toile sur 8000, laquelle garderiez-vous ? C’est ça ma question, voilà, je vous la pose… Laquelle ?
PICASSO ferme les yeux et prononce un seul mot :
« GUERNICA.
Woody reste muet. Il a compris, bien sûr. Pour lui, la vraie question est là, sur l’utilité de l’art et tout ça, mais elle est si complexe qu’il n’a jamais su par quel bout la prendre.
PICASSO, lui, en une seule toile, a exprimé toute l’horreur de la guerre, de toutes les guerres.
« Cette toile, dit PICASSO, n’était pas faite pour décorer un appartement. C’est une arme de guerre. Une réponse à Franco qui a pactisé avec les nazis pour bombarder GUERNICA et faire 3000 victimes innocentes.
Woody ALLEN se recroqueville sur lui-même, dans un état de profond abattement. PICASSO poursuit :
« Ce tableau en a fait blêmir plus d’un, croyez-moi. Et le premier, Otto Abetz, ambassadeur du régime nazi à Paris, lorsqu’il est venu me visiter dans mon atelier, à la vue d’une reproduction de GUERNICA, saisi d’horreur, après l’avoir minutieusement étudiée, m’a demandé : « C’est vous qui avez fait ça ? » et que j’ai répondu froidement : « Non, c’est vous ! »
« Magnifique ! J’aurais voulu écrire ça… magnifique ! WOODY exulte.
De glace, PICASSO centinue :
« Son visage est devenu blanc de cire et j’ai eu le sentiment d’avoir fait quelque chose pour l’humanité.
PICASSO se lève.
.
« Mr. ALLEN, je pars. Je vous laisse savourer le succès de MIDNIGHT IN PARIS. Mais vous n’êtes pas couché ! Mon ami Salvador DALI ne va pas tarder. Il est furieux contre vous.
WOODY lève les yeux au ciel.
« Il n’est pas ressemblant ?
« Il dit que vous en faites un pitre capable de dire un seul mot : rhinocéros !
D’ailleurs, le voilà, je me sauve.
Entre DALI, flamboyant dans un costume de satin noir. PICASSO et lui se tombent dans les bras et s’embrassent.
WOODY ALLEN en profite pour aller s'enfermer
dans la salle de bains.