MES INTERVIEWS IMAGINAIRES : ALBERT CAMUS
ALBERT CAMUS, LE DON JUAN HUMANISTE.
4 février 1959. Le foyer du Théâtre Antoine à Paris, durant l’un des deux entractes de la pièce LES POSSÉDÉS d’Albert Camus, qui dure trois heures vingt-cinq
.
- Albert Camus, la salle est pleine et le public applaudit beaucoup. Votre pièce LES POSSEDES est en train de faire un tabac. Que ressentez-vous ?
- Je ne me fais pas d’illusion. Nous sommes au tout début, la curiosité remplit la salle. Mais la pièce est trop longue, je le sais. Les critiques sont très partagés. On est loin du « tabac ».
- Cette mise en scène vous a-t-elle enthousiasmé ou dépassé ?
- Les deux. Les répétitions m’ont épuisé : depuis novembre 58, à tâtonner sans cesse… Mais le travail des acteurs m’a émerveillé. D’ailleurs, à la fin, je ne les dirigeais plus, ils faisaient ce qu’ils voulaient et c’était prodigieux.
- Quel est votre endroit favori pour écrire ?
- Mon bureau aux Editions Gallimard, où j’entends chanter les oiseaux dans
la cour. Et aussi, parfois, le salon de l’hôtel Montalembert, à deux enjambées. On m’y laisse une paix royale.
- Que répondez-vous lorsqu’on vous traite de séducteur ?
- Je remercie pour le compliment.
- Quel est, pour vous, le mot qui définit le mieux notre société ?
- Absurde.
- Et celui qui vous définit le mieux ?
- Révolté.
- Révolté et séducteur, c’est un peu contradictoire, non ?
- - L’homme est fait de contradictions. Non ?
- Parmi toutes les femmes qui vous entourent, laquelle est pour vous la plus belle ?
- Maria Casarès.
- La plus touchante ?
- Catherine Sellers qui joue Maria Lebiadkine dans la pièce.
- La plus indispensable ?
- Micheline Rozan, mon agent très spécial.
- La plus admirable ?
- Ma femme Francine. Mais n’allez-vous me questionner que sur les femmes ?
Albert Camus allume une cigarette. On fume encore dans le foyer des théâtres, en 1959. Il ne s’impatiente pas, il sourit.
- Quel est selon vous l’homme - ou la femme ! - qui a fait le plus pour l’humanité ?
- Jésus. Il a tenté de répandre l’amour sur notre planète. Hélas, il a échoué.
- Votre prix Nobel vous a-t-il donné l’impression d’être utile à l’humanité ?
- Non. Mon prix Nobel n’a fait de moi qu’un écrivain jalousé.
- Vous êtes pessimiste ?
- Non, réaliste. Mais je ne perds jamais espoir.
- Qu’y a -t-il de beau en l’homme ?
- La jeunesse.
Les réponses arrivent, nettes, instantanément. Autour de nous les spectateurs vont et viennent, impatients de regagner leur place. On entend la sonnerie de fin d’entracte. Camus éteint sa cigarette et me regarde.
- Vous êtes jeune, que vous importent toutes ces vérités éphémères ?
- Je les retrouverai plus tard, et je les lirai en pensant à vous. Une dernière question : Albert Camus, comment aimeriez-vous mourir ?
- Dans un accident de voiture, sur le coup, sans m'y attendre.
Il s’éloigna, je rangeai mes notes et revins lentement m’asseoir à l’orchestre.
Un an plus tard jour pour jour, il allait être exaucé.