MARIA CALLAS DIT NON A SERGIO LEONE
Novembre 1971.
Dans une salle de la Julliard School à New York, Maris Callas donne son cours de chant. Devant elle, s’accompagnant au piano, une jeune étudiante fait des vocalises.
La diva a choisi l’exil et l’anonymat après l’inexorable défaillance de sa voix. Ici, elle oublie qu’elle fut un phénomène planétaire, elle oublie que son unique amour l’a délaissée pour une autre figure emblématique de l’époque.
On frappe à la porte et avant qu’elle ait eu le temps de répondre, un étudiant fait irruption, et annonce, visiblement ému : « Miss Callas, il y a là quelqu’un d’important qui demande à vous voir de toute urgence. »
Maria Callas reçoit cette intrusion comme un affront.
« Faut-il que ce soit le Président lui-même, pour oser me déranger dans mon travail, sans rendez-vous ?
« Madame, il s’agit de… Sergio Leone.
Là-dessus, l’imposante carrure du réalisateur italien pénètre à son tour dans la pièce. Craignant le pire, l’étudiant file en vitesse, les laissant face à face.
Callas, pétrifiée, ne peut articuler un mot.
Sergio Leone s’incline devant elle, prend sa main et y dépose un baiser.
La diva s’est ressaisie. S’adressant à l’étudiante :
« Charlotte, vous pouvez partir, le cours est fini.
La porte à peine refermée sur la jeune fille, Maria Callas laisse éclater sa colère.
« Relevez-vous, monsieur Leone, vous êtes ridicule. Vous avez des manières de mascalzone ! Je n’ai pas l’habitude de recevoir sans rendez-vous. Vous avez forcé ma porte, c’est indigne de vous ! (elle prend une profonde inspiration) Que me voulez-vous ?
Sergio Leone s’est relevé, un peu gêné, mais sent qu’il faut aller vite.
« Madame, comment vous dire… Je suis à New York pour très peu de temps, je savais que vous aviez quitté Rome pour enseigner à New York. (Il place sa main sur son coeur) ô ma bella donna incantadore Il faut que je vous parle.
« Mà de quoi ? Je n’ai rien de commun avec vous. Asseyez-vous.
Elle a mis un bémol à sa voix divine. Elle craque. Le numéro de charme agit sur elle, comme toujours.
Leone approche une chaise tout près d’elle et sans préambule :
« Je suis amoureux de vous depuis que je vous ai vue chanter Elvira d’Il
Puritani de Bellini, à la Fenice.
Elle frémit.
« Mon dieu, c’est loin !
« 1949. J’avais tout juste vingt ans. J’étais subjugué.
« Ca n’était que le début ! Vous m’avez entendue, ensuite ?
« Bien sûr. De la Scala à Covent Garden, j’ai suivi votre ascension irrésistible…, jusqu’à cette aventure grecque qui vous a coupée du monde de l’opéra. J’ai toujours rêvé de pouvoir vous approcher un jour.
Elle se tait. Il la regarde avant de lui asséner sa requête. Elle est encore belle, à 48 ans. Elle dégage encore une aura prestigieuse malgré sa robe noire, ses cheveux tirés et son visage anguleux. L’ancienne séduction qui brillait dans son regard a fait place à la mélancolie.
Lui, seulement six ans de moins qu’elle, est dans la maturité triomphante d’un homme qui vient de réaliser « Il était une fois dans l’Ouest », un succès énorme.
Il constate avec un trouble croissant, que la voir, plus proche qu’elle ne l’a jamais été, l’émeut profondément. Il est toujours amoureux d’elle. La perte de sa voix unique et de son statut de star, ne la rend que plus désirable.
« Et alors ?
Elle feint l’impatience, en réalité elle a hâte de savoir.
Il revient sur terre et hésite encore.
« Et bien… Maria, je voulais vous faire une proposition.
Silence.
« Oui, continue-t-il, vous avez décidé d’abandonner les concerts, c’est entendu… (elle ferme les yeux) mais vous avez encore une voie royale devant vous…
Là, elle réagit :
« Ah ? Une voie royale ? Et laquelle ?
Il se lève, cela va l’aider. Il s’éloigne d’un pas.
« Le cinéma.
Réaction brutale.
« Ah ouiche ! s’écrie-t-elle. Parlons-en, du cinéma ! Je viens de faire une expérience désastreuse avec Pasolini et j’ai juré de ne plus mettre les pieds là-dedans. J’ai dit non à Zéfirelli avant vous.
Elle le fixe Leone dans les yeux, c’est un défi.
Lui, arpentant la pièce de long en large, est dans l’anxiété. Il se doutait bien que ce serait difficile, il avait préparé des arguments, mais dans cet instant, troublé par sa présence, il ne sait plus quoi répondre.
Un silence qui s’éternise. Puis, elle reprend, voulant masquer un possible revirement :
« De plus, votre univers est très loin de moi, l’Ouest américain, la violence, les hommes entre eux - il n'y a jamais de rôle féminin dans vos films ?
Elle lui donne l’argument qu’il fallait.
« Ah non ? Et Claudia Cardinale ? Qu’est-ce qu’il vous faut !
Il sent qu’elle n’a pas dit le dernier mot.
« Vous seriez l’héroïne d’une épopée étourdissante dans les décors fabuleux du Nouveau Mexique, accompagnée par la musique sublime d’Ennio Morricone… Ce sera un grand film, je vous jure.
Elle se lève et va vers lui. Elle a retrouvé ses mouvements de scène, sa grâce féline. Elle s’approche à le toucher.
« Sergio, je ne suis plus une star.
Ils sont face à face, émus l’un et l’autre de cette soudaine attraction.
Il murmure :
« Les stars ont leur moment d’éloignement. C’est pour mieux revenir sur le devant de la scène.
« C’est trop tard.
Il voudrait la prendre dans ses bras pour la rassurer.
Elle aimerait qu’il la prenne dans ses bras pour se rassurer.
Ni l’un ni l’autre ne bouge. Ils savent que ce serait la fin de leur rêve.
Elle s’éloigne et revient s’asseoir sur sa chaise. L’air indifférent, elle dit :
« C’est quoi, le sujet de votre film ?
Il hésite.
« La révolution.
« Quelle révolution ?
« La révolution mexicaine.
« Il y a un rôle pour une femme, là-dedans ?
« Oui.
« Mais est-ce que c’est un rôle qui domine l’action ?
« Non, à vrai dire, non. Les hommes dominent l’action.
« Quel type de personnage est elle ?
« C’est la maîtresse d’un des révolutionnaires.
Maria Callas soupire.
« Je ne peux pas jouer ce rôle-là. Je suis désolée. Vous devez me comprendre.
Sergio Leone vient derrière elle, pose ses mains sur ses épaules. Un courant électrique traverse leur corps. Ils se forcent à l’ignorer.
« C’est vrai. Mais le scénario est ainsi fait que je ne peux y ajouter un rôle de femme primordial.
Elle se lève, se plante devant lui et les yeux dans les yeux :
« Pourquoi êtes-vous venu ici semer le regret et le doute ?
Leone reste immobile pour lui répondre :
« C’était ma seule chance de vous revoir, autrement que dans mes rêves…. Ce projet de film aurait pu nous réunir. Je crois que ce sera un grand film.
« Un petit rôle dans un grand film, ça ne m’intéresse pas. J’ai encore en moi le souvenir de ma gloire passée.
Elle se détourne , va vers la porte, et l’ouvre :
« Vous me plaisez, Sergio Leone. L’espace d’un instant, j’ai eu envie de vous suivre. Mais j’ai passé l’âge de l’aventure.
Il s’incline, pose sur elle un regard résigné, et sort.
Longtemps, elle reste le dos appuyé à la porte, les yeux fermés.
MM