LE BAISER DE FERNANDEL
Dans FREDDY, je devais séduire FERNANDEL.
Pendant toute la durée des répétitions nous avions sauté la scène du baiser, qui devait être le clou du spectacle. Un baiser, ça ne se répète pas, ça se fait comme ça. Je le redoutais un peu, mais je n’avais aucune idée de l’effet qu’il allait produire. Fernandel, lui, savait. La veille de la première il m’a dit « Tu le feras durer jusqu’à ce que je te serre le bras. » Il avait ajouté : « Il faudra le faire durer, hein ? » et devant mon air affolé, il avait croassé « quoi, je te dégôute, peut-être ? » toutes dents dehors.
Assis côte à côte face au public, nous faisions connaissance sur un ton plutôt mondain avant le moment fatidique qui devait être totalement inattendu.
Le premièr soir, donc, suivant les indications du metteur en scène, je l’attrapai soudain par le cou et lui plantai le fameux baiser. J’étais dans un état second, ignorant la suite. Il me maintenait fermement par le bras. Et je découvris son jeu de scène avec stupeur. Les yeux exorbités, agitant bras et jambes dans une tentative de fuite, faisant mine de tomber de sa chaise, la bouche collée à la mienne, il faisait du grand Fernandel. Pris par surprise, le public réagit exactement comme il l’avait prévu : un immense éclat de rire, mêlé de cris et d’applaudissements frénétiques. C’était Guignol.
Tétanisée, je réalisai vite qu’il fallait jouer le jeu. Nous comptions donc les secondes. J’attendais le signal. Peu à peu, l’hystérie s’est calmée dans la salle, les bravos faiblirent. Je sentis l’étau se desserrer autour de mon bras. Je m’écartai de lui avec une expression angélique tandis qu’il rajustait son gilet.
Les répliques suivantes se sont perdues dans le brouhaha d’une salle en délire.
Après le spectacle, au bar du théâtre, Fernandel faisait le modeste : « une scène pareille ça ne peut se faire que devant un public. Ca marche à tous les coups. »
Effectivement, nous avons eu droit au même tabac chaque soir sans exception.