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LA GRANDE ÉVASION DE PATRICE LECONTE

Publié le par Miss Comédie

 

A LA CAMERA

 

 

 Le petit garçon pédale comme un fou sur la route du bord de mer.

Il vient d’avoir la trouille de sa vie. Avant de partir pour l’école, alors que la maison était vide, il allait pour pisser lorsque – horreur ! les vécés étaient fermés de l’intérieur.   Qui avait bien pu se glisser dans la maison et s’enfermer là-dedans ?  Un voleur, sans doute, qui n’hésiterait pas à le tuer s’il le surprenait en train de piquer l’argenterie.

Paniqué, le petit garçon sauta sur son vélo et prit la fuite.

 

Donc, il pédalait dur le long de la plage où s’alignaient les bronzés de tout poil, à cette heure matinale mais déjà brûlante.

Il soupira : je reviens de la montagne où les bronzés font du ski, décidément il y en a partout !

Il faillit renverser un garçon qui traversait la route, c’était son copain Fifi.  Il s’arrêta pour lui raconter son histoire de vécés et lui dit qu’il n’osait plus rentrer chez lui car le voleur pouvait très bien l’attendre pour le zigouiller. 

« Viens chez moi, j’habite chez une copine, lui dit Fifi.

Mais sur la plage, un attroupement les intrigua soudain.    Un homme surexcité  se lançait  dans l’eau à la poursuite d’un Riva qui venait de quitter l’embarcadère avec à son bord le pilote et une très jolie blonde. L’homme hurlait « Salaud !  Ma femme s’appelle revient, tu entends ? sinon je te casse la g… » une vague le submergea et il fallut  le ramener sur le sable en  piteux état.  En attendant les secours, le plagiste hurlait « Circulez, y a rien à voir ! "

 

Ebranlés, les deux copains se séparèrent et le petit garçon se remit en selle, toujours hanté par l’idée que  les spécialistes de l’intrusion à domicile étaient des gens dangereux.

Il regrettait de n’avoir pas un tandem pour inviter Fifi à pédaler avec lui.

Il aperçut monsieur Hire, le prof d’Anglais, qui discutait sur le trottoir avec le mari de la coiffeuse. Il le détestait, celui-là depuis qu’il l’avait vu danser le tango avec une minette à la fête foraine, alors que sa délicieuse femme bossait au salon de coiffure.

 

Toujours pédalant, il entra dans un sous-bois où parmi les odeurs de pins parasol il huma une essence particulièrement attirante, c’était le parfum d’Yvonne, la prof d’histoire, elle devait faire son jogging par ici, il ne fallait pas tomber sur elle, il avait bel et bien loupé son cours

ce matin.

Il aurait pourtant bien aimé voir ses cuisses, en short ! Et s’il se cachait derrière un arbre ?  Ridicule, elle verrait le vélo. Non, il vaut mieux continuer  de s’éloigner de la maison.

 

Il passa devant l’auberge Les Grands Ducs où ses parents l’emmenaient parfois déjeuner le dimanche et évita le terrain de tennis où il avait une chance sur deux de tomber sur ses camarades en pleine récré.

 

Tiens, la fille sur le pont, là, c’était Marylou qui promenait son caniche, son coeur déjà en pleine débandade se mit à faire des bonds car il aimait Marylou en secret depuis déjà deux mois et demi.

C’était la fille de la veuve de St Pierre, le village voisin, cette femme toujours vêtue de noir depuis que son mari avait disparu en mer.

Les seuls au courant de son amour  étaient Félix et Lola, le frère et la sœur de Marylou. Ils avaient intercepté un billet doux qu’il avait glissé dans sa capuche sans qu’elle s’en rende compte.  Furieux, il les avait vus choper le billet et s’enfuir en rigolant.  Mais il ne savait pas si Marylou avait lu le billet et depuis, il l’évitait à contre-coeur.

 

Il fit demi-tour et prit la petite rue des Plaisirs qui menait à la gare désaffectée, un endroit pas très recommandable où venaient se réfugier les sans-abri l’hiver.  Dans l’un des trains restés en rade vivait un individu hirsute et agressif que l’on appelait « l’homme du train ».  Personne n’osait s’approcher de ce wagon où l’homme pouvait vous infliger des confidences trop intimes.

 

Il rebroussa chemin et hésita.  Il était déjà assez loin de sa maison et il avait faim.  Pas un sou en poche, il réfléchit deux minutes à sa situation et fut pris de désespoir.   Il mit pied à terre et s’assit sur le terre-plein   à l’ombre d’un  platane.  Il eut envie de pleurer, se sentit

perdu.   Dans ces cas-là, il allait dans sa chambre et se plantait devant la cage où Dogora, la perruche bleue, lui remontait le moral avec un joli gazouillis. Mais Dogora était restée seule avec le voleur.

 

Il entendait, de l’autre côté de la route, les cris des bronzés qui jouaient au volley, amis pour la vie.

Il avait envie de parler à Fifi, son meilleur ami en somme.  Mais il était trop fatigué pour partir à sa recherche.

Sur le tronc du platane, une affiche annonçait l’Election de Miss Cabourg, samedi prochain à 20h 30 au Casino.  C’était demain soir.

Encore une empoignade.  Toujours pareil, la guerre des Miss. Et c’est jamais la plus belle qui l’emporte, c’est le Maire qui décide, c’est Papa qui dit ça.

Avant de reprendre son vélo, il eut envie de voir la mer.

Il traversa la route et se pencha par-dessus le parapet qui dominait la plage.

 

Trop de monde.  Des vagues envahies de baigneurs, des parasols, des serviettes étalées. Des enfants excités, trempés, qui se poursuivaient en hurlant.  Il y       avait des bouées, des planches à voile, des seaux et des pelles, des cordes à sauter, des sacs plastiques, des pistolets à eau, des opinels -  un vrai magasin des suicides.

Il se sentit soudain très vieux.  Il fallait quand même rentrer chez lui, et affronter ce voleur.

Et puis, sa mère ce matin, lui avait fait une promesse : « Si tu as de bonnes notes, ce soir, je te jouerai le Boléro de Ravel  »

Il adorait contempler sa mère jouant  au piano le Boléro de Ravel. C’était pour lui, un ravissement sans fin.

Il revint vers son vélo, l’enfourcha et reprit le chemin de la maison à toute berzingue.  Il n’avait plus peur du voleur enfermé dans les WC.

A mi-chemin, un agent lui fait signe d’arrêter : « Hé, mon garçon, tu vas trop vite ! Comment t’appelles-tu ?

« Patrice Leconte !

 

C’est rare, une carrière qui ressemble  point par point à une histoire d’évasion.   La plus belle des évasions, selon Patrice Leconte, ne se réussit  q’avec une caméra -  ou, à la rigueur, avec un vélo.VELO.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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