FRANCOIS TRUFFAUT, le fétichiste
Est-ce parce que ce magasin se situait rue de la Pompe à Paris, que Truffaut en a fait le magasin de chaussures de M. Tabard dans son film BAISERS VOLES ? Dans ce magasin Antoine Doinel tombait sous le charme de Mme Tabard, alias Delphine Seyrig. et ça donnait des scènes d’anthologie que l’on se repasse sur YouTube.
Ce magasin s’appelait MARALEX et il existe toujours. François TRUFFAUT y fait quelques apparitions, au hasard des clientes de passage…
Il se cache derrière la glace sans tain où celles-ci font des effets d’escarpins. Je joue l’apprentie vendeuse.
« Vous êtes vraiment l’homme qui aimait les femmes, v ous !
« Oui, je peux le dire maintenant. J’aimais tellement les femmes que j’ai fait jouer mon rôle à Charles DENNER et voyez, il en est mort..
« Vous aimiez toutes les femmes ?
« Toutes. Enfin, les attirantes. Comme celle-ci, regardez, n’a-t-elle pas le même regard clair que Claude JADE ?
« Vous avez été amoureux de Claude JADE ?
« Evidemment ! J’ai même failli l’épouser, je me suis ressaisi à temps.
« Vous n’étiez pas fidèle à un type de femme ?
« Oh non, non toutes m’allaient, voyez un peu la différence entre une Claude JADE, angélique, et Fanny ARDANT à la beauté luciférienne… Non je n’étais pas fidèle, loin de là. je tombais amoureux de de toutes mes actrices, systématiquement.
« Toutes ?
« Oui, toutes. Ca a commencé très tôt, avec l’AMOUR A VINGT ANS. J’ai été fou amoureux de Marie-France PISIER, Dieu ait son âme…
« Mais vous ne pouviez pas être amoureux en même temps de Claude JADE et de Delphine SEYRIG ?
« Si, quand on aime les femmes on les aime toutes mais pas au même moment, vous voyez ? Delphine c’était spécial, elle était aussi féministe que moi !
« Vous les engagiez parce que vous étiez amoureux d’elles, ou l’inverse ?
« Ca dépendait. Isabelle ADJANI, par exemple, j’ai eu le choc de ma vie lorsque je l’ai vue au théâtre dans L’ECOLE DES FEMMES. Elle disait « « le petit chat est mort » avec un ton unique, bouleversant. J’ai cherché une histoire pour elle et j’ai écrit « ADELE H. »
« Elle ne vous a pas déçu ?
« Absolument non ! Au montage, je repassais en boucle ses gros plans et je pleurais d’émotion.
« Bon, il y en a sûrement une ou deux qui ont eu moins de pouvoir sur vous ?
« Je ne m’en souviens plus. Nathalie BAYE, peut-être… Et Jeanne MOREAU : elle m’effrayait. Mais quelle actrice !
« Pourquoi revenez-vous ici ?
« Parce que je retrouve des fétichistes comme moi. Les femmes ont une relation obsessionnelle avec leurs chaussures.
On voyait se succéder dans le miroir des paires de jambes de tous gabarits dans une chorégraphie pleine d’imprévus.
« Vous aimiez aussi les acteurs, quand même ? Jean-Pierre LEAUD, par exemple…
« Ah, lui, c’était pas pareil, c’était moi. C’était moi petit, puis moi jeune homme. Il m’a absolument bluffé dans son imitation involontaire, juste sur quelques indications. En fait, il me ressemblait vraiment.
« Vous suivez sa carrière ?
« Oui… (il ferme les yeux et paraît tout-à-coup triste) Mais je ne supporte pas de le voir vieillir. Je trouve inacceptable qu’il vieillisse alors que je suis mort. Il n’a pas le droit…
Tout à coup il semble distrait de sa contemplation, plongé dans la mélancolie, absent. Je crains qu’il ne m’échappe et je relance :
« Vous allez faire un tour à Cannes, dans dix jours ?
« Peut-être, si Godard y va, je veux voir comment un ex-Nouvelle Vague devenu vieux chnoque se comporte devant la nouvelle génération de cinéastes…
« Vous avez saboté ensemble le Festival de Cannes en 68 !
« Oui mais lui, il avait déjà fait Le MEPRIS et PIERROT LE FOU, il pouvait tout se permettre. Moi, je suivais. Je l’admirais, il était beaucoup plus intellectuel que moi.
Moi je faisais des petits films romantiques. Lui, il a détruit toutes les règles du cinéma. Ce n’est pas moi qui le dis.
Il reste songeur.
« J’aurais voulu faire Le MEPRIS.
« Vous seriez peut-être encore avec Brigitte BARDOT ?
Là, il revient sur terre et éclate de son petit rire grêle. Je suis attirée par la vue de deux jambes fines gaînées de noir perchées sur des talons vertigineux, qui esquisse un pas de danse. Celle-là va lui taper dans l’œil. Je me retourne, il n’est plus là. Dommage, il a raté la plus belle cliente de MARALEX.