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DÉDiÉ À ALAIN RESNAIS

Publié le par Miss Comédie

 

 

 

  alain-resnais.jpgEN  SOUVENIR DE MARIENBAD

 

 

« C’était l’année dernière au mois d’août.  Le souvenir de cette soirée est si vivace que je peux la raconter comme s’il s’agissait d’un scénario de film.

 

 ENTREE.jpgDans l’immense salon de cette villa palladienne aux abords de Vicenza où nous étions reçus par mon ami le comte Volpini, le soleil couchant venait juste de faire place à une ombre bleutée.

Entre les colonnes qui s’élancaient vers les fresques du plafond peint, jalonnant   un parcours qui semblait  se prolonger à l’ infini, un couple dansait  sur les dalles de marbre noir.

A cette heure tardive ils étaient  seuls, les derniers  invités de la fête avaient peu à peu déserté les lieux.   Je les regardais, ému. Bientôt j’allais être terrassé de douleur.

La musique les accompagne encore, des violons ou bien des mandolines ? 

C’était  un couple magnifique, je les revois encore, la beauté de  l’un défiait celle de l’autre.  Ils le savaient et ils aimaient cette égalité dans la perfection.  Ils se souriaient par instants, mais leur danse n’avait  rien de sensuel.  Pourtant, ils semblaient ne jamais vouloir cesser cette étreinte. Le temps était  suspendu à cette musique et à leurs pas.

 

Ils étaient arrivés en retard à la fête  et notre hôte les avait accueillis  d’un grand « ah, vous voilà enfin, les Bellini-Corti ! » puis il les pressa chacun contre son cœur.

Anita et Charles Bellini-Corti  se séparèrent ensuite pour se mêler à la foule.   On entendait parler deux ou trois langues, italien, français ou allemand, mais tous semblaient se retrouver entre amis.

La musique suivait le déroulement de la fête, d’abord joyeuse et alerte, et au fil des heures invitant à la détente, puis à la danse.  Ici point de be-bop, point de  fox-trott : la comtesse Volpini atteinte d’une asthénie des membres inférieurs ne devait pas entendre ces  sonorités  à risque.

 DANSE.jpgCharles Bellini-Conti l’invita plusieurs fois pour un  boston, valse lente dont raffolent les Anglais  et que l’orchestre se plaisait à multiplier tout au long de la soirée.

 

Anita, elle, virevoltait de groupe en groupe,  ne se séparant de sa coupe de champagne que pour aller fumer une cigarette  sur la terrasse en compagnie de quelques amateurs de cigare.

 

Lorsque  Charles et Anita  se croisaient, leur regard s’illuminait, il lui prenait la main et la baisait en riant, ou bien il l’entraînait à l’écart pour un boogie improvisé .

 

   TABLE-g.jpgSouvent ils  s’attardaient auprès de la table de jeu où mon ami Sacha et moi nous affrontions  dans une partie d’ échecs.  J’échangeais alors avec Anita un clin d’œil complice.  Je venais de remporter une victoire au dernier tournoi d’Hastings et je me sentais auréolé de gloire.

  On me   racontait que l’ancien  champion du monde russe  Dimitri Paviza,  avait  décrété qu’il tuerait le prochain rival qui lui ravirait son titre.   Cette menace  me laissait indifférent :   Paviza était un fou.

 

Peu à peu, les invités avaient pris congé.    Les serviteurs ramassaient les coupes de champagne vides, retiraient les tables et les chaises pour rendre aux salons leur caractère intemporel.

Puis le chauffeur de Sacha   était venu  vers lui : « La voiture est là, monsieur. »

La partie était finie depuis un moment et nous sommes serré la main. 

Je me suis alors avancé vers Charles et Anita, un peu  ivres qui tanguaient encore au milieu du salon et je les ai apostrophés gentiment :

«  Mes enfants, allons, il est tard.  Je rentre. »

Le frère et la sœur s’immobilisèrent et Anita vint se pendre à mon cou :

« Bonne nuit, père. Nous allons vous rejoindre.

Je me suis éloigné  lentement, appuyé sur ma canne et j’avais déjà descendu quelques marches du perron  lorsqu’une détonation avait retenti.

  J’ai entrevu    une ombre furtive  disparaître  dans l’obscurité  de la terrasse.

J’ai rebroussé chemin en hâte  sans aucun pressentiment de ce qui m’attendait et j’ai vu  mon fils  Charles Bellini-Conti gisant sur les dalles de marbre dans une mare de sang.

 

 

Combien de temps suis-je resté là, à contempler Anita effondrée sur le corps de son frère ?

Les secondes se sont  écoulées dans une chevauchée fantastique jusqu’à ce que je vis Sacha surgir en compagnie de son chauffeur qui me cria :

 

« Ecoutez, il y a eu une affreuse méprise !

 

J’appris alors que pendant qu’il attendait l’heure du départ, celui-ci  avait été abordé  par un inconnu qui lui demandait s’il connaissait un dénommé « Bellini-Conti.

« Et bien, il est là, au milieu du salon, il danse… lui avait-il répondu.

« Pourriez-vous reconnaître cet homme ?  ai – je demandé.

« Peut-être… Il avait un fort accent russe,   répondit le chauffeur .

 

C’était l’année dernière à Vicenza.  Depuis, je n’ai plus jamais  approché une table d’échecs.  Ce jeu maléfique m’avait enlevé mon fils par le jeu non moins maléfique du hasard. »lefouseul.jpg

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P
Dis-moi Barbara, j'ai lu avec intérêt ton passage ''L'année dernière à Marienbad'', d'où est-il tiré ? je connais le film, mais y a-t-il un roman ?<br /> <br /> Henri
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M
<br /> <br /> Le film est tiré du roman de Adolfo Boioy Casares, écrivain argentin, et l'adaptation a été faite par Alain Robbe Grillet.<br /> <br /> <br /> Voilà ! Bises et merci pour ton intérêt à mon blog !<br /> <br /> <br /> <br />