BARTABAS; LA CHEVAUCHÉE MACABRE
BARTABAS ! Des années, que je voyais passer ses spectacles sans pouvoir y assister – trop tard, trop loin, complet… Les critiques déliraient, les foules se pressaient, chaque spectacle montait en intensité, en créativité.
Et ces titres qui en disaient long : Cabaret Equestre, Opéra Equestre, Chimère, Eclipse, Triptyk…..
Et cette année, Calacas arrive à Lyon.
Ma déception est à la mesure de mes espérances.
Le chapiteau immense et noir promet déjà une messe noire, un rituel équestre que vont partager les spectateurs encore ignorants, encore paisibles, encore au grand jour.
Distillés tout autour de l’enceinte circulaire, par dix escaliers périlleux ils plongent dans l’inconnu, ils descendent dans une obscurité totale vers leurs places indistinctes, tâtonnant, aveugles, distinguant à peine la piste - l’autel –nimbée de rouge et déjà la magie opère, une magie noire qui désoriente et fait craindre le pire.
C’est le noir avant la lumière ? le mystère avant la révélation ? on veut nous préparer au rite par le recueillement…. ?
Bernique ! Nous ne verrons jamais la lumière.
Nous sommes descendus aux Enfers à la rencontre de la Mort.
J’attendais des chevaux exercés au théâtre, bêtes domptées et rebelles à la fois, tout ce que Bartabas avait cherché à démontrer dans ses spectacles précédents : son amour irraisonné pour le cheval et ce que cet amour pouvait engendrer de prouesses et de poésie animales.
J’ai vu quelques chevaux manifiques à la crinière somptueuse, lancés dans un galop contenu comme au manège, un galop d’une légèreté telle qu’on les croyait courir au-dessus du sol. Galop de cirque.
Qu’ont-ils fait d’autre que galoper, ces superbes étalons d’or ou de feu ?
Rien.
Les squelettes ont envahi le chapiteau, suspendus à des fils ou courant à la poursuite de leurs montures, escaladant les croupes, se dressant debout dans des postures guerrières, s’envolant dans leurs costumes allégoriques et leurs voiles aériens pour une danse macabre d’une beauté incontestable, mais… Quand verrons-nous Bartabas murmurer à l’oreille de ses chevaux ?
Quand verrons-nous les chevaux artistes, les chevaux musiciens, les chevaux danseurs ?
Dans cette pénombre peuplée de fantômes, la musique frappait fort. Tambours assourdissants, grosse caisse, cris et chants rituels inspirés de la fête des Morts au Mexique, hurlements hispaniques rythmés par des instruments inconnus.
Quelques pauses dans ce vacarme, pour accompagner des numéros plus calmes, comme le seul qui mit en scène un cheval en équilibre sur un cube, les quatre pattes réunies, le corps oscillant, obéissant aux mots secrets chuchotés par l’écuyer. Là, les flûtes jouaient mezzo voce, respectant le tour de force animal.
La nuit a régné tout au long du spectacle. Il fallait s’y faire. Mais les rares jeux de lumière étaient fabuleux. Il y avait tout autour et tout en haut des gradins une coursive circulaire qui offrait le plus éblouissant des spectacles. On voyait y galoper à tour de rôle un cheval blanc archangélique, un autre luciférien tout de noir luisant, et une ronde infernale de charrettes aux ornements étincelants tirés par des chevaux que l’on aurait dit ailés, tout cela baignant dans une lumière qui passait du bleu au rose, à l’or et à l’argent.
Un ravissement.
Mise en scène époustouflante, costumes, masques, harnachements superbement réalisés, musique atrocement dérangeante, voilà pour moi les ingrédients de CALACAS sur un thème provocateur et totalement intellectuel.
Il n’y a pas de place pour les chevaux dans CALACAS. Bartabas leur a enlevé leur bannière d'acteurs pour les réduire à l'état de montures. Quel dommage.