BARCELONA
Flash-back : nous roulons dans une avenue bordée d’immeubles cossus, dont certains arborent des façades ouvragées, ornées d’incrustations de céramiques colorées, de balcons torturés. L’architecture de Gaudi. Je le reconnais, c’est le paseo de Gracia.
Barcelone me parait immense et vide - ce n’est pas le souvenir que j’avais gardé de mon premier voyage. Mes parents et moi avions arpenté les ramblas à l’heure du paseo, au milieu d’une foule bigarrée. Des odeurs d’épices et d’huile d’olive montaient des ruelles inquiétantes. La Sagrada Familia avait imprimé en moi l’image d’une cathédrale de cauchemar.
Hubert ne parle toujours pas. Où m’emmène-t-il ? Je commence à éprouver quelque chose comme de la peur. Il ne reste rien de notre complicité du premier jour. Pourquoi m’a-t-il proposé ce voyage ? Je le connais à peine. Des histoires d’enlèvement me reviennent en mémoire. Les filles disparaîssent, direction Marrakech et plus jamais on ne retrouve leur trace. J’écarte ces idées noires et attend la suite.
Nous nous engageons dans une rue étroite, puis une autre, et soudain nous sommes enveloppés d’une ombre bienfaisante. La Mercedes s’est glissée sous un porche en pierre et débouche dans une cour plantée d’un palmier miteux. Hubert coupe le moteur et se tourne vers moi.
- J’ai quelqu’un à voir ici, dit-il. Ce ne sera pas long. Peux-tu m’attendre dans la voiture ?
Le tutoiement m’agace. Quelle sorte d’intimité avons-nous gagnée pendant ces deux heures ?
Il n’attend pas la réponse et sort prestement de l’auto, son blouson sur l’épaule. Il disparait dans un couloir sombre encombré de poubelles.
Je suis descendue pour me dégourdir les jambes et je me suis approchée de ce couloir nauséabond au bout duquel un escalier en bois s’enfonçait dans le noir. Sur la façade, une plaque en émail à moitié écaillé : “Vicente Gonzalez, Import-Export. Primero piso derecha.” Mais peut-être Hubert était-il monté plus haut.
Je suis remontée m’asseoir dans la voiture de plus en plus inquiète.
J’ouvre alors la boite à gants comme ça, pour chercher de quoi lire, un mouchoir, que sais-je ? et je tombe sur un revolver posé là, comme une vulgaire paire de jumelles. Mon coeur fit un bond. Tout ce que j’avais imaginé me semble maintenant une réalité.
Je ne réfléchis pas longtemps. Je glissai de mon siège sur celui du conducteur, tournai la clé de contact, entamai une marche arrière pour me retrouver dans le bon sens et démarrai en trombe. Je devais quitter cet endroit où Hubert était en train de marchander ma petite personne.
Je refis en sens inverse le trajet que j’avais bien observé et me retrouvai dans Diagonal. La ville commençait à s’animer. Je roulai vers le Nord et trouvai vite l’autoroute qui menait à Gijona et puis la frontière. Je savais que ma fuite ne me délivrerait pas d’Hubert mais en France il ne pouvait rien. Il serait furieux de ne pas retrouver sa voiture et risquait de venir m’attendre en bas de chez moi pour me demander des comptes. Je m’en foutais, tout plutôt que de rester à Barcelone, pseudo capitale, ville de sangre y sol.
J’ai eu de la chance, aucun carabinier ne m’a arrêtée avant la frontière, et au Perthus la file d’attente était bien trop longue pour s’éterniser dans les détails. Je me suis retrouvée à Toulouse et dès le lendemain je quittai mon studio pour retrourner chez ma mère.
J’avais laissé la Mercédes dans un parking de supermarché, avec le revolver dans la boite à gants.
Au bout d’une année de silence, j’ai conclu que j’avais eu raison de m’enfuir : si Hubert ne s’était plus jamais manifesté, c’était qu’il n’avait pas la conscience tranquille.