COURTS METRAGES POUR L'ETE
La mouette
L’été, Julie laisse sa fenêtre grande ouverte la nuit pour être réveillée par le jour. Ce matin pourtant, le lever du soleil n’aura pas lieu. Julie regarde les nuages lourds de pluie qui encombrent le ciel. Les toits ont la brillance grise d’une aube pluvieuse et la ville semble prostrée dans un refus de s’éveiller.
De cette fenêtre au sommet de sa tour elle domine Paris. Parfois elle s’imagine que d’un geste, d’un regard, même, elle commande les mouvements de la ville. Julie est heureuse au sommet de sa tour.
Julie descend de chez elle. La plaque “Place Corneille” apposée sur le mur à droite du porche de l’entrée lui semble aujourd’hui incongrue.
“Un oiseau de malheur”, pense-t-elle. Et pourquoi, tout-à-coup, cette hésitation, ce pressentiment ?
Elle se souvient qu’elle a laissé sa fenêtre grande ouverte.
Elle leve la tête et regarde au-dessus d’elle, les rangées de baies vitrées de la tour Ouest , avec leurs stores bleus. Elle pense que même là-haut, tout peut arriver. Un orage, un vol de corneilles... Elle pourrait très bien ce soir retrouver son appartement saccagé.
Elle regarde sa montre. Avec le métro, elle peut encore être à l’heure au rendez-vous. Elle fait demi-tour et se met à courir vers l’ascenseur.
Julie ouvre la porte de sa chambre et se fige. Quelque chose d’énorme bouge sur la rembarde du balcon. Un oiseau monstrueux. Une mouette.
Elle est gigantesque, effrayante dans sa proximité. Ses pattes roses et griffues s’aggrippent à la barre de fer. La masse de son corps fumant, plumes hérissées, obscurcit la pièce comme une menace venue du ciel. Son bec est entrouvert, comme prêt à saisir une proie. Son oeil rond est porteur de haine
Une peur subite s’empare de Julie. Les mouettes arrivent-elles jusqu’à Paris ? Les mouettes volent-elles à la hauteur d’un vingt-deuxième étage ?
Puis lle fait un geste du bras et l’oiseau s’envole pesamment, prend de la hauteur et pousse son cri de désespoir avant de disparaître , grise sur le gris du ciel.
Julie met la main sur son coeur qui bat follement. Pourquoi cette peur ? C’est ridicule. “Une mouette en vol, pense Julie, est une autre sorte d’oiseau. On aime la voir tournoyer, presque irréelle, comme un symbole d’évasion, et son cri nous parle de l’immensité de la mer. La voilà posée sur mon balcon et elle est menaçante, épaisse et prosaïque comme un pigeon géant. Un oiseau de malheur.”
Julie pense à ce pressentiment qui l’a fait remonter en toute hâte. Depuis combien de temps la mouette était-elle en observation sur son balcon ?
Ne s’était-elle pas engouffrée, par l’ouverture, pour aller se poser, qui sait, sur sa couverture, sur sa table de chevet, sur son bureau ? Quel esprit maléfique habitait ce corps répugnant ? L’idée que l’oiseau eût pu frôler ses vêtements, déposé ses immondices dans quelque endroit de la chambre qu’elle ne découvrirait que plus tard, “à l’odeur”, lui donne la nausée.
Elle reste là, ne sachant quoi faire.
“Elle va revenir.” Cette certitude l’envahit de terreur. Elle sait qu’elle ne pourra plus jamais regarder le lever de soleil avec la même quiétude. Maintenant elle saitu’elle doit quitter cet appartement. Elle se sent soudain au centre d’une sinistre machination, obligée de fuir sur un ordre d’évacuation venu d’ailleurs.
Elle aurait dû se méfier de la plaque. C’était ici la place des corneilles et autres oiseaux de malheur.
Julie se dirige vers la fenêtre avec repugnance et la ferme, au moment où le premier coup de tonner fait trembler les vitres. Elle s’allonge sur son lit. L’heure de son rendez-vous