Nouvelle Vague
NOUVELLE VAGUE
Septembre 2022 : une nouvelle vague de disparitions nous prive de quelques têtes d’affiche, dont la tête d’un mouvement qui a chamboulé la manière de faire du cinéma.
A bout de souffle, Jean-Luc Godard gravit les derniers mètres qui le séparaient de son dernier domicile fixe. Ebloui par une soudaine lumière, il fut saisi d’étonnement.
Devant lui s’étendait à l’infini un jardin extraordinaire qu’il lui sembla reconnaître… Le Luco ?
En effet, sur sa gauche se trouvait l’enclos de la fontaine Médicis et son couple enlacé.
Mais la surface du jardin était démultipliée, les allées se perdaient jusqu’à l’horizon, bordées par une végétation exubérante et des arbres millénaires.
Godard, surpris de la soudaine agilité de ses jambes, fit quelques pas vers le bassin où des enfants faisaient jouer leurs bateaux à voile, comme toujours depuis la création du Jardin.
Plus loin, il remarqua un très vieil homme assis sur un banc le long d’un tas de sable. L’homme souriait sans raison apparente, l’air heureux. Godard le reconnu nullement aussitôt, c’était Sempé. Il s’approcha, ravi de la rencontre.
« Bonjour cher ami ! Si je m’attendais à vous voir déjà ici !
Sempé :
« Je viens tous les jours surveiller le petit Nicolas qui fait des pâtés de sable, voyez-vous !
Godard remarqua l’enfant absorbé dans son travail.
« Et vos couvertures ?
« Ils ne m’ont pas remplacé. Je m’en fous.
En effet, Sempé paraissait totalement euphorique mais tellement indifférent que Godard s’éloigna.
Il se sentait léger comme l’air et se félicita d’avoir bravé l’interdit qui bannissait l’euthanasie. « J’aurais dû faire ça plus tôt quel con. « Mais il se sentait démuni sans sa caméra. Cela faisait un bail qu’il l’avait mise au rancart devant la pauvreté de son inspiration, mais là… il y avait de quoi refaire surface…
Soudain, la lumière fut voilée par le passage d’objets non identifiés qu’il crut être de grands oiseaux blancs. Mais leur chant était un chœur de voix humaines et il s’aperçut que c’était des anges aux ailes déployées glorifiant l’ascension de la Reine Elizabeth.
Au centre dette envolée séraphique, un trône aérien portant la souveraine était entraîné vers le ciel par deux archanges coiffés de casques d’or aux armes de la couronne.
« Donc, elle ne va pas rester ici… » pensa Godard, « elle a droit au Paradis, elle, mais elle va se retrouver bien seule, la pauvre ! »
Il continua sa découverte de ce qui n’était pas le Paradis mais qui lui convenait très bien.
Il y avait un monde fou, dans ce jardin. Il chercha à reconnaître des amis, des acteurs célèbres. Justement, dans une encoignure végétale un peu à l’écart, il vit une jeune femme à moitié nue, assise dans un fauteuil d’osier, filmée par un vieil homme agenouillé qui devait être Just Jackin. Jean-Luc Godard avait un profond mépris pour ce mec qui n’avait pas de prénom et un tout petit nom ! ( il pouffa en lui-même) Pauvre Emmanuelle… bof. Anna était plus classe … Justement… où était Anna Karina ? Il eut soudain un regret. Tout ce temps perdu. La femme de ma vie, c’était elle et je l’ai prise pour une passante de longue durée. Et où est-elle, maintenant ? »
Abattu, il se laissa tomber sur un banc, la larme à l’oeil. Son chagrin était assez incongru en ce lieu, pour attirer l’attention d’un passant qui le reconnut aussitôt :
« Godard ! Vous pleurez sur vos fautes passées ?
Godard se redressa, furieux :
« Allez vous faire foutre ! ... Ah ! c’est vous, Monsieur Klein ?... Vous êtes rancunier, à ce que je vois...
« Pas du tout ! Ici, c’est le Jardin rédempteur, une réplique du Jardin du Luxembourg où j’ai passé la moitié de ma vie à photographier tout ce qui bouge !...
Sur ce, il braqua l’objectif de son Nikon sur Godard qui hurla :
« Ah non ! Pas de photo ! Vous pouvez pas faire une pause de temps en temps ??
C’est une habitude... Ici – enfin au Luco – passaient les filles les plus canons de Paris. Je les ai toutes shootées !
« Vous les avez toutes sautées ? Chapeau !
« Non, shootées, ! Et vous, vous avez consommé pas mal…
« de pellicule, oui, pas mal !
Ils éclatent de rire. Klein propose alors de boire un verre au bar.
« Au bar ? Quel bar ? Il y a un bar ici ?
« Venez ! Le bar était situé un peu en retrait dans un petit square au milieu de plantations sauvages . Il n’y avait qu’une table, en fer forgé, et deux chaises, les deux tabourets du bar étaient vides. Pas de barman, il fallait probablement se servir soi-même.
William Klein fit la moue.
« Très peu pour moi... Je me tire, et vous ?
Godard hésitait. Quelque chose le retenait là.
« Non, je vais m’asseoir un moment.
Le silence régnait dans ce coin désert. Il détendit ses jambes, regarda autour de lui, pris d’un pressentiment.
C’est là qu’il vit François Truffaut, assis en retrait sous les ombrages, les yeux fixés sur lui.
Il se leva d’un bond et le dialogue s’établit comme s’ils ne s’étaient jamais quittés.
« Alors, tu fais bande à part ?
« J’attendais mon meilleur ami. Tu en as mis, un temps !
« Moi, ton meilleur ami ? c’est ridicule !
« On a quand même fait un sacré tandem, à l’époque !
Pris d’un doute, ils se figent.
« Hé, attend, fait Godard, on serait pas en pleine filmo de Patrice Leconte, là ?
Truffaut s’agite, il n’a pas le sens de l’humour.
« OK, mais c’est du langage courant, non ? Bon, donc tu n’es pas mon meilleur ami ?
« Disons que j’ai été ton meilleur ennemi...
« On a fait les 400 coups ensemble !
« Non, j’étais pas dans le coup, moi !
« Ah oui, c’est vrai... Mais moi, je m’emmerde ici, tu veux pas qu’on fasse une nouvelle vague ensemble?
« Non, moi je veux retrouver Anna Karina et vivre ma vie avec elle, je sais qu’elle est ici, elle m’attend !
François Truffaut se marre :
« Trop tard, mon vieux, elle vient d’épouser Pierrot le fou ! »
Miss Comédie