LES SURPRISES DU DIALOGUE DE SAOULS
Ce fut la rencontre choc de l’année. En ce mois de février 1962, Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo tournent ensemble pour la première fois.
Choc de la Nouvelle Vague contre le cinéma de papa.
La rencontre a lieu sur le tournage du film d’Henri Verneuil, UN SINGE EN HIVER.
L’un est un sacré monstre à qui on ne la fait pas.
L’autre, pourtant, a déjà fait ses griffes : A BOUT DE SOUFFLE, le dernier film de Jean-Luc Godard l’a placé en haut du box-office deux ans plus tôt.
Ils se valent donc, et leur rencontre a quelque chose de cornélien.
Les deux stars viennent de tourner, sous l’oeil scrutateur de la caméra d’Henri Verneuil, la scène périlleuse d’ivresse où chacun doit surpasser son partenaire dans l’état de saoulographie achevé.
Cela se fit avec un fair-play et une complicité qui laissa tout le monde baba.
C’est la pause :
Ils reprennent leur souffle à l’écart, hors de portée des oreilles indiscrètes.
Gabin n’est pas bavard.
Belmono rompt le silence timidement :
" Heu, vous m’avez trouvé comment ? C’était pas facile, pour moi.
« Pour moi, tu crois que c’était facile ? Jouer les mecs bourrés avec du jus de pomme en guise de calva, c’est comme faire un casse avec un pistolet à eau... ..
« Attendez, du jus de pomme ???
« J’t’explique : chuis interdit d’alcool par la production sur ce tournage... Faut assumer, non ?
« Ben moi, j’y ai cru, ça m’a même énervé, j’étais pas assez bourré à côté de vous !
« Non non, fiston, t’étais au niveau… mais c’était du réel, pas vrai ? Du vingt ans d’âge au moins, vu ton état !
Belmondo se rebiffe :
« Ouais ! J’ai pas encore rôdé le jeu de la ruse ! J’ai juste appris à passer l’arme à gauche c’est pas fastoche non plus !
Un long silence s’installe, Gabin marmoréen, Belmondo frétille puis ne se contient plus.
« Dites…
Gabin les yeux fermés, semble somnoler.
« Hmm ?
« Mais vous buvez un peu dans la vie ?
« Un peu, beaucoup, mon pote. Si je buvais moins je serais un autre homme et j’y tiens pas !
Belmondo renchérit :
« Surtout pas, ça ferait chuter les entrées ! ( il rit ) Moi, j’ai compris, je vais me mettre au scotch, un verre à chaque repas, ça peut donner du Gabin Junior, non ?
Gabin sort de sa réserve habituelle.
« Mon p’tit gars, t’as ce qu’il faut pour être un senior, sans la bibine, moi j’te le dis, t’as l’étoffe, je vois d’ici ton itinéraire…..
Ah oui ? Quel itinéraire ?
Gabin sourit :
« Celui d’un enfant gâté… »
« Pourquoi gâté ?
« Parce que tu as encore la morve au nez et que tu démarres dans le cinoche en haut de l’échelle … T’as la baraka, mon pote !
« OK, ça commence bien, mais la chance, ça tourne…
« Pas quand on est un vrai professionnel. »
Sur cette affirmation prémonitoire, on sonne la fin de la pause. Ils se lèvent pour rejoindre le plateau. Gabin passe son bras autour des épaules de Belmondo qui sourit, extatique.
Miss Comédie