C'ETAIT HIER : ET AUJOURD'HUI ?
C’ETAIT HIER pièce de Harold Pinter
APPEL A CANDIDATURE : QUI LA REMETTRA A L’AFFICHE ?
L’évocation des souvenirs est un exercice périlleux, en littérature comme au théâtre. Chacun a sa manière de remuer ses souvenirs.
L’envie de revoir C’était hier, pièce mythique de Pinter m’est venue naturellement en lisant le dernier livre de Modiano, celui qu’il a appelé L’Encre Sympathique et qui est un envoûtant retour vers un passé quelque peu imaginaire.
Ici, le lecteur est seul avec lui-même, plongé dans un univers onirique qui n’appartient qu’à Modiano, petite musique intimiste difficile à partager.
Au théâtre, c’est une autre histoire.
En 1971, C’était hier révéla au public parisien la vision de Pinter sur le sujet et ce fut un gros succès, grâce à deux monstres sacrés, Delphine Seyrig et jean Rochefort, et à la mise en scène inspirée de Jorge Lavelli.
Mais les temps changent.
Qui, aujourd’hui, pourrait redonner vie à ces dialogues si ambigüs, à ces évocations contradictoires qui laissent perplexe ?
Le pari est tentant pour un homme de théâtre chevronné car la pièce est une oeuvre de haute volée et le sujet intemporel.
C’était hier, titre absolument réducteur par rapport à la foule de nos souvenirs, ne tient que par le talent des comédiens à faire passer le faux pour du vrai – à dire leur réplique tout en pensant à autre chose.... Mais en fait, le propos n’est-il pas seulement l’affrontement de deux femmes sur le prétexte de se souvenir ?
Apparemment, les quelques adaptations qui ont été montées en France n’ont pas convaincu. Pourquoi ?
La très intelligente et sensible critique d’Armelle Héliot, critique de théâtre au Figaro, donne un début de réponse pour ce qui est de la dernière en date au théâtre Montparnasse, mais elle s’attaque aussi à ce texte « flottant » qui ne fait qu’égarer le spectateur.
Alors ? Je suis sûre que les souvenirs peuvent se raconter et se jouer de manière à surprendre et à émouvoir, même s’ils sont confus – surtout s’ils sont confus !
Par Armelle Héliot le 3 avril 2016 10h13 | Réactions (0)
Qui connaît un peu les textes de l'écrivain britannique reconnaît aux premiers mots "C'était hier", pièce très célèbre présentée sous son titre anglais "Old times". Trois bons comédiens sont réunis par Benoît Giros : Marianne Denicourt, Adèle Haenel, Emmanuel Salinger. Une nouvelle traduction de Séverine Magois, un décor soigné et un travail de vidéo, ne réussissent pas à donner au spectacle une densité convaincante.
Tout flotte, chez Pinter. Tout a toujours flotté. On est le plus souvent incapable de dire, en sortant du spectacle de certaines de ses pièces, que l'on a vraiment compris ce qu'il voulait nous suggérer.
Old times que l'on découvre à l'Atelier est l'une de ses pièces les plus célèbres, souvent jouée en langue française.
Elle ne tient à rien, à presque rien.
Il y a un homme et une femme qui vivent en Grande-Bretagne, au bord de la mer. Il y a une femme, qui a fait le voyage depuis Taormina pour retrouver son amie de jeunesse.
Elles évoquent leurs souvenirs. Vingt ans. C'est très bref, vingt ans.
Elles ont la quarantaine.
Kate (Marianne Denicourt) et Deeley (Emmanuel Salinger) se sont éloignés de Londres. Kate est seule souvent puisque Deelley est souvent en voyage tout autour du monde. Anna (Adèle Haenel) est mariée, mais elle est venue seule.
Il n'est pas question d'enfants.
On la connaît cette pièce qui a été créée en France alors même qu'elle était présentée en Angleterre. Elle date de 1971. Dès l'année suivante Jorge Lavelli l'avait mise en scène au Théâtre Montparnasse. Avec, cela fait partie de la légende de Pinter en France, Delphine Seyrig, Françoise Fabian, Jean Rochefort.
On l'a revue mise en scène par Jean-Pierre Miquel, qui aimait beaucoup Pinter. Elle avait été créée par la Comédie-Française à Avignon, du temps d'Alain Crombecque. Au Cloître des Carmes, puis reprise à Paris, toujours au Montparnasse. Claire Vernet, Catherine Ferran, Alain Pralon jouaient la traduction d'Eric Kahane.
Et puis on n'a pas oublié non plus, à Hébertot, une mise en scène de Sami Frey, avec lui, entouré de Christine Boisson et Carole Bouquet.
Un tulle, des projections, images des rêves de Kate que l'on aperçoit allongée sur un canapé, au fond.
Le tulle disparaît. Au fond, un grand paysage maritime. C'est très élégant. Kate est en pantalon, fine et chic. Marianne Denicourt avec ses cheveux noirs, ses yeux saisissants, sa voix bien placée, a beaucoup de charme. Une beauté qui frappe.
Etrangement, Anna est fagotée dans une petite robe chemisier bleue qui ressemble plus à une blouse d'écolière d'autrefois qu'à une jolie robe. Drôle de décision. Elle ne donne pas le sentiment de la vérité du personnage et souvent Adèle Haenel ne sait pas quoi faire de ses bras, de ses mains. C'est une comédienne excellente au théâtre aussi et l'on se souvient comme elle était bien, la saison dernière, dirigée par Maïa Sandoz dans Le Moche, notamment. Là, la mise en scène efface le personnage alors qu'au contraire elle doit être impressionnante et mystérieuse, telle que l'a écrite Pinter et telle qu'elle pourrait la jouer notamment avec d'autres vêtements...Mais la présence, la grâce d'Adèle Haenel, sa jeune intelligence, séduisent.
On ne sait à quoi cela tient mais tout flotte trop encore. Comme si le metteur en scène n'arrivait pas à décider fermement d'une tension.
Emmanuel Salinger ne s'impose pas assez. La pièce est un peu ainsi. Il y a peu d'hommes qui sanglotent, qui ont sangloté dans la littérature. C'est un personnage difficile à incarner.
Mais n'exagérons pas : c'est bien C'était hier, la pièce telle que nous connaissons. Pourquoi n'avoir pas repris ce titre de légende ? Marketing ? Et il y a des moments, notamment lors d'une grande tirade d'Anna, ou on a bien du mal avec les temps du passé. Question de traduction ?
Bref, autant de petites scories qui empêchent, pour le moment, le spectacle bref, deux actes de 40 minutes, de "prendre" et de toucher le public. »
Toucher le public. Là est le vrai mystère du théâtre. C’est aussi un défi, pour ceux qui en veulent.
Miss Comédie